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Billet de blog 20 octobre 2013

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La Chine en construction, dernière: la propagande

Fin de notre histoire bolognaise - et de la biennale FOTO/INDUSTRIA, qui ferme ses portes aujourd'hui - avec une salle entièrement consacrée à la très puissante propagande maoïste. 

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Fin de notre histoire bolognaise - et de la biennale FOTO/INDUSTRIA, qui ferme ses portes aujourd'hui - avec une salle entièrement consacrée à la très puissante propagande maoïste. 

Qu'il me soit permis, au moment de boucler ce feuilleton, de remercier l'équipe ayant porté ce projet: Isabella Seràgnoli, Présidente de G.D et de la fondation MAST, Mariella Criscuolo, responsable de la communication; François Hébel, directeur artistique, Claudia Huidobro, chargée de la scénographie; et Juliette Vignon, Alice Walser, François Perrono, John McKellar, Riccardo Vecchiarelli, "the Dream Team"!

"La dernière salle enfin rassemble une centaine d’images de propagande, sous forme de cinq séquences : (1) La propagande par le travail ; (2) Aînés, tuteurs, modèles ; (3) La révolution au poste de commande ; (4) Les leaders jouent les travailleurs ; (5) Les minorités nationales.

 La propagande par le travail

Quelle meilleure valeur que celle du travail pour motiver les masses populaires au temps de la révolution communiste chinoise ? Il faut imaginer des équipes de photographes motivés, zélés sillonnant le pays tout entier, villes, zones industrielles, campagnes, choisissant les personnages – on dirait aujourd’hui opérant leur « casting » - et le bon cadre, éclairant le tout quand c’est nécessaire avant de prendre la photographie qui sera exploitée ensuite de plusieurs façons.

Celle-ci servira la propagande du régime en étant publiée dans les journaux régionaux, voire nationaux. Elle se verra multipliée et intégrée dans une exposition thématique à la gloire du travail et de la révolution, les deux étant indissociables. Et sera aussi montrée, à titre d’exemple, sur les lieux même de production.

Au demeurant, le thème du travail, avec son aura, où se mêlent les qualités, hautement symboliques, que sont le courage, la bravoure, la force, le sens –mesuré – du risque, celui du devoir à la fois révolutionnaire et patriotique, ce thème sied à la représentation photographique. Il produit ici certaines des plus belles images de l’exposition, qui ne sont pas sans rappeler les travaux de Sebastiao Salgado.

Deux clichés pris l’un dans une aciérie, l’autre dans une usine de locomotives en témoignent. Toutes deux ont un souffle, une dimension mythique, la lumière jouant le rôle de catalyseur, que n’aurait pas renié le maître brésilien. La force de ces images, comme de quelques autres, tient aussi à l’affrontement entre l’Homme, l’Homme nouveau, et le monde industriel qui semble vouloir écraser celui-ci. Mais comme chacun sait, l’Homme nouveau triomphera !

Aînés, tuteurs, modèles

De tous les thèmes exploités par la propagande maoïste, c’est certainement le plus riche et le plus instructif.

En Chine, les anciens ont toujours été honorés. La civilisation de l’Empire Céleste a été bâtie sur le Culte des Ancêtres. Le système confucéen, dont les fondements continuent encore aujourd’hui d’influer sur la société chinoise, malgré de nombreux avatars, avait inscrit le respect des parents, des grands-parents et des aînés en première ligne. Ceux-ci, toujours vertueux, toujours exemplaires devaient être pris comme modèles par les générations suivantes.

Le régime communiste / maoïste, qui s’en prendra nommément, à la fin de la Révolution culturelle, à Confucius – et pour faire bonne mesure à un autre « traitre », Lin Biao – a utilisé jusqu’à la corde, dans sa propagande, la relation entre les aînés et la jeune génération.

La recette est simple : choisir un vieux travailleur si possible souriant, un rien hâbleur. Le placer au centre d’un petit groupe de jeunes collègues, au sein de l’unité de production. « Action ! » Le héros du jour ouvre la bouche, lève le bras. Les jeunes fixent celui-ci en marquant leur admiration est le tour est joué.

C’est la nuit. Un vieillard aux vêtements rapiécés, debout, s’adresse à une assemblée de jeunes paysans attentifs, bouche bée parfois. Les jeunes femmes portent la natte, signe d’arriération patent. (Autrement dit, nous sommes loin ici du grand chaos qui secoue les villes au même moment, l’image datant de la Révolution culturelle).

Tous les regards, sans exception, convergent vers le petit bonhomme. Un lumière violente éclaire la scène. Un autre homme, la casquette vissée sur la tête, écoute lui aussi. Dans un arbre, une grande cloche est suspendue dans un arbre. Tout ici est rustique. Tout est vrai. Tout est faux.

La révolution au poste de commande

Ce slogan maoïste fut appliqué à la lettre pendant toute l’ère durant laquelle régna le Grand Timonier, particulièrement lors de la Révolution culturelle. Mises en scène, comme toutes les autres photographies de propagande prises à cette époque, elles reflètent néanmoins la réalité. Au cœur du dispositif, le fameux Petit Livre rouge, diffusé à près d’un milliard d’exemplaires quand le pays ne comptaient que 700 millions d’habitants. Une bible qu’il fallait connaître par cœur, que l’on devait porter avec soi. Celui-ci était lu à haute voix et même parfois chanté. Chez soi, dans la rue, dans les moyens de transport et bien entendu sur les lieux de travail, lors de longues séances qui désorganisaient la production.

Le second moyen de propager l’idées et idéaux maoïstes, c’étaient les fameux dazibao, « journaux de grands caractères » que les activistes affichaient sur les murs, les slogans que l’on écrivait sur de longues banderoles ou près des machines. Les affiches étaient légions. Troisième moyen : la radio qui ne cessait de diffuser, jusque dans les usines et sur les champs, des discours édifiants, des citations du Grand Educateur, des chants révolutionnaires.

La plus extraordinaire des images montrent les ouvriers d’une usine, tous le poing fermé dressé vers le ciel, sur fond de hauts fourneaux et de slogan contre Confucius et Lin Biao – ce qui permet de dater la photo : 1972 -, il suffirait presque de tendre l’oreille pour entendre les mots magiques : Pi Lin Pi Gong – « Critiquer Lin Biao, (c’est) critiquer Confucius ! » Grandiose. Et semble-t-il authentique.

Les leaders jouent les travailleurs

Aujourd’hui, cette thématique prête à sourire et même à rire. Que de vieux messieurs, qui Secrétaire Général du Parti Communiste – Mao Zedong -, qui Président de la République – Liu Shaoqi -, qui Premier Ministre – Zhou Enlaï -, qui chef de l’Armée chinoise – Zhu De – se livrent sans vergogne à de telles comédies semble en effet pathétique.

Une fois encore, la lecture plus minutieuse de cet ensemble s’avère riche en informations de toutes sortes. Observons la série consacrée au Maréchal Zhu De. Celui-ci, meilleur comédien au demeurant que ses pairs, accepte de bon cœur de mettre la main à la pâte en tournant une noria, en portant vaillamment une palanche sur l’épaule, en portant le grand chapeau de paille, digne émule de son patron, bref, il est, en bon soldat de la révolution, sur tous les fronts !

Mais celui qui va le plus loin dans le leurre, la mascarade, c’est indéniablement le « bien aimé  Premier Ministre », Zhou Enlaï, certainement le leader le plus intelligent de tous, le plus obséquieux aussi vis-à-vis de son maître, au risque d’apparaître comme son esclave.

Une image ô combien symbolique rassemble dirait-on le personnage, dans toute sa complexité. Zhou tire, dans la nuit noire, une brouette transportant de grosses pierres. Dans l’ombre, un jeune homme lui prête main forte. Dans la main droite du Premier Ministre, une corde. Il est affublé d’une casquette, porte un costume « mao » tout frippé et des chaussons de toile, signes catégoriques de sa condition ambiguë : mi dirigeant, mi prolétaire déguisé. Lui, le fils d’aristocrate, une tare qu’il portera comme un rocher tout au long de sa vie !

Excellent comédien lui aussi, il semble croire à sa tâche…et à sa mission. Et puis, il y a ce chemin très, très étroit. Cet équilibre instable. Ainsi en était-il de cette révolution toujours sur le point de basculer, de se transformer en guerre civile, une guerre qu’il lui fallait éteindre lors même que « le Président » venait de mettre le feu. Il y a enfin cette petite ampoule qui brille dans la nuit…

Les minorités nationales

On dénombre 56 « minorités nationales », la majorité des Chinois étant des Han, soit 90% de la population totale. Ces minorités qui occupaient jadis l’ensemble du territoire, ont été reléguées, au fil des siècles, sur le pourtour et dans les régions les plus arides et les plus inaccessibles.

Malgré ces barrières, celles aussi de la culture et de la langue, le pouvoir maoïste a tout fait pour les intégrer dans la formidable vague de propagande qui secoua le pays notamment pendant la Révolution culturelle. Elles aussi ont eu droit à des mises en scène auxquelles elles se prêtaient avec grâce et souvent avec le fou rire, prouvant par là qu’elles n’étaient pas dupes.

Deux images en disent long. Sur la première, des Mongols sont assis autour d’une table avec des cadres han et miment joyeusement une réunion politique. Hilares. La seconde, prise dans les montagnes karstiques du Guangxi, dans un paysage paradisiaque, montrent une demi douzaines de Zhuang en costume traditionnel pour les anciens, habillés à la chinoise pour les plusieurs.

Un « médecin aux pieds nus », probablement han, prend la tension d’une femme, laquelle est couvée des yeux par son mari. Ce qui n’empêche pas celui-ci de fumer la longue pipe (de tabac ou d’opium). Sur la table, un instrument de mesure et la sacoche de la doctoresse. On devine la croix rouge. Au second plan, une jeune femme zhuang et son bébé ; un couple, un cheval. Au loin, un village, et le fameux reliefs de la province du Guangxi. La composition est parfaite. Même l’arbre penché contribue à l’harmonie paisible de l’ensemble.

Cette photo est la douzième (12) d’une de ces expositions itinérantes qui ont irrigué la Chine pendant plusieurs décennies."

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