Oui, "jamboree" me semble plus approprié que "festival". Est-ce l'origine zoulou du terme? Le chatoiement des costumes? Le bel enthousiasme de toutes ces minorités rassemblées ce matin? Une grande et belle fête.
Au retour de mes deux marchés, le directeur de l'agence de tourisme, M. Wu Zengou, évoque un grand rassemblement de ses frêres et de ses soeurs dong, auquel participeront aussi des miao, des yao, des zhuang...
Problème: cette fête, programmée le surlendemain, se déroulera à Congjiang, grosse ville sans aucun charme que j'ai déjà traversée en me rendant à Basha. Or il m'a fallu plusieurs jours pour rallier Kaili, où je me trouve. M. Wu me détrompe: avec les autocars dernier cri mis récemment en service et les nouvelles autoroutes qui passent à l'ouest, il me faudra moins de cinq heures. Banco!
Lever 6h, petit déj, la gare routière à deux pas, en voiture Simone. Première belle surprise: à moins d'une heure de Kaili, je découvre une architecture rurale de rêve. Les maisons, le plus souvent orientées vers l'ouest, ont trois niveaux, les deux premiers pour l'habitation, le troisième a les allures d'une grande terrasse qui surplombe l'ensemble, le protège. Une sorte de grenier couvert par un haut toit, où les paysans font sécher certaines plantes à l'abri des intempéries.
Toutes les maisons sont blanches, la structure en bois clair apparaissant. Des colombages. Les toitures reprennent la forme courbe de l'architecture dong, plus précisément celle des tours de tambour et des ponts de vent et de pluie. Belles harmonies.
Parfois, les maisons possèdent quatre niveaux, avec des variantes. Par exemple une autre terrasse couverte venant s'incruster sur un flanc. Les villages, qui s'étirent le long des collines, ont un charme fou.
Autre "attraction": les convois exceptionnels que je retrouve une fois encore transportant du matériel hors norme. Ils avancent, telles des chenilles géantes, se déroulent sur plusieurs kilomètres, provoquant des bouchons.
A ma gauche, est assise une jeune femme au look intello. Une institutrice de trente ans, mariée, un garçon, native de Congjiang. Elle s'excuse d'abord de ne pas connaître notre culture, mentionne tout de même Paris, la Tour Eiffel, le Penseur. Je lui souffle le nom de son créateur, que l'on prononce en chinois "luodan", et lui parle de la grande expo que nous avions montée à Pékin en 1993...La glace est rompue.
Elle se souvient qu'il fallait deux jours pour aller de Kaili à Conjiang il y a tout juste quinze ans. D'origine han, elle enseigne surtout à des petits "minoritaires". Sur les 34 enfants de six à huit ans de sa classe, il y a 23 petits dong, 5 han, quatre miao et deux yao, qui se révèlent être les plus brillants.
Elle m'assure aussi que malgré leurs différences - dialectes, costumes, coutumes - il n'y a, au sein du groupe, aucun ostracisme et encore moins de racisme et d'esprit de clan. A ses yeux, les points de convergence, d'entente, d'unité, priment sur les différences. D'ailleurs, force est de constater que les enfants portent de moins en moins le costume traditionnel de leur minorité. Les garçons surtout.
Nous parlons du Guizhou. Elle se dit très consciente de l'essor explosif de sa province, provoqué par les nouvelles routes, les nouveaux moyens de communication. Elle est persuadée que d'ici peu, à l'horizon 2014-2020, des usines, des "unités de production" par centaines vont se délocaliser ici. Au risque, me dit-elle, de multiplier les problèmes de pollution dans des villes commes Kaili, Zunyi - qu'elle vient de visiter pour la première fois, elle voulait y voir le site de la fameuse réunion qui allait changer la face de la Chine, je lui dis que ce sera ma prochaine étape - et Guiyang, la capitale, industrialisée dès l'invasion japonaise et encore plus après la "Libération" (1949).
Demain, me fait-elle comprendre, pas question d'aller assister à la fête des minorités. Demain, elle reprend l'école. Finies les petites vacances. En revanche, elle compte bien montrer à ses marmots les images qu'elle a prises à Zunyi et leur parler de cette fameuse "Longue Marche"...
Le lendemain matin, je prends soin d'arriver tôt, badgé, au stade où sont déjà rassemblés des milliers de "minorités nationales". Peu de han, même parmi les spectateurs. Les participants portent tous leurs costumes de fête et de cérémonie: des dong - les plus nombreux -, des miao, des yao, des zhuang...
Aux quatre coins du stade, on peut assister à des séances d'habillage, d'ajustement, de maquillage, à des petits réglages chorégraphiques et à de multiples séances photo car tous les "pros" de la région, munis d'appareils rutilants, semblent s'être donner rendez-vous. Je croise une journaliste de Hong-Kong parlant anglais. Aucun long nez en vue. Du coup, me voici pris en photo sous toutes les coutures. Et oui, à l'évidence, la France - faguo - est devenue une des minorités de la fête!
Les medias sont omniprésents, télévision nationale en tête, avec une régie d'enfer, une luma, un plateau immense prêt à accueillir speaker et speakerine - lesquels s'expriment en han - et ballets...Déjà les discours ronflants des ganbu - les cadres locaux - résonnent dans l'enceinte du stade.
Au hasard de mes traversées, je rencontre une belle chanteuse dong, une star, très entourée, coiffée d'une tiare somptueuse, souriante et réservée; un groupe de guerriers de Basha portant fusil sur l'épaule, parmi lesquels je repère bientôt mon guide de l'autre jour; sur scène, les danses s'enchaînent dans la bonne humeur, avec, en fond d'écran, les paysages et les villages des interprêtes. La confusion visuelle et sonore est à son comble.
Les personnages les plus impressionnants: des sachem yao, sérieux comme des papes, au long costume de soie multicolore, portant un couvre-chef (!) de peau tannée où figurent, peintes, des divinités taoistes. Certaines jeunes filles miao, avec leurs pommettes saillantes, leurs yeux sombres cachés derrière une haie de perles, ont des airs de déesse.
Sur scène, une dernière sarabande mêle plusieurs ethnies. Déjà la foule reflue vers l'entrée.
Dans la rue, commence un autre spectacle. Je ne sais plus où donner de la tête. Des centaines de participants rejoignent les autocars; d'autres décident de casser une petite graine à l'échoppe du coin; des gamins miao se régalent d'une barbe à papa; des jeunes pénètrent sur une aire de foire et tentent leur chance à des jeux de massacre pour gagner des peluches géantes ; un vendeur propose pêle-mêle des cartes de Chine, du Guizhou, du Guangxi, des colifichets, des jouets de plastique, des flûtes dont il joue tout en avançant à pas lents dans la foule...
Un petit bonhomme tient dans ses mains une nuée de ballons gonflés à l'hélium. J'aperçois un jeune yao - c'est ce qu'il me dit - à la chevelure décolorée, avec un look de rocker. Il domine la foule du haut de son double mètre. Plusieurs hui - des musulmans - font cuire des brochettes de viande. Qui résisterait?
Je salue une dernière fois le groupe de guerriers miao de Basha qui s'engouffre dans un vieil autocar, avant de rejoindre moi-même la gare routière, direction Kaili. Cinq heures d'autoroute.
Demain, dernière étape: Zunyi. La première ligne de mon premier livre - La Longue Marche, collection Archives, Julliard / Gallimard, 1971 -: "Tout commence à Zunyi." Cela fait exactement 40 ans que j'attends ce moment.