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Billet de blog 21 octobre 2012

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Le joueur de flûte de Shanghaï (1)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La soirée commença à 19h pétantes, car Emmanuel Lenain, le Consul Général de France à Shanghai, avait aimablement accepté de saluer les musiciens dès leur apparition sur scène. D'autre obligations l'attendaient ensuite. 

Et quelle scène: la terrasse du Kathleen's 5, au cinquième étage du Musée des Beaux-Arts de Shanghai - lequel fermera très bientôt ses portes pour se transporter dans le pavillon chinois de l'Expo Universelle - domine en effet le jardin de la Place du Peuple. Au sud, le Grand Théâtre construit par Jean-Marie Charpentier brille de tous ses feux. A l'est, signé dans les années 40 par Ladislas Hudec, le Park Hotel, qui fut longtemps le plus haut gratte-ciel du Paris de l'Orient, écrasé aujourd'hui par d'autres géants côté Pudong. Le prochain, en construction, mesurera 642 m! 

A l'entrée du restaurant, Kathleen Lau elle-même, parfaite hôtesse, accueille ses invités avec quelques mots de bienvenue. En anglais - elle-même est américaine d'origine cantonnaise -, en putonghua - la "langue commune", le mandarin - et dans la langue de Molière, qu'elle manie presque parfaitement. 

Au bar, une jeunesse très "branchée", très mélangée, se bouscule déjà. Premiers ganbei, premiers toasts en l'honneur des ZAGO. Ceux-ci achèvent ce soir, au Kathleen's 5, une série de concerts qui a décoiffé des centaines de Shanghaiens et visiteurs de passage. Tout d'abord, l'autre samedi, entre 8h et 10h du mat, au Parc Fuxing, où le Huaihai Group avait organisé une rencontre peu ordinaire entre nos quatre musicos poitevins et le Sunday Chorus

La légende de cette Marseillaise, "chanson de Marseille", entonnée par une voix de stentor à la surprise générale, y compris celle des ZAGO,  lesquels réagirent au quart de tour, a déjà fait le tour de la ville. Autres temps aussi mémorables: les interventions de la famille lors de la Semaine Française de Shanghai. 

Vous avez dit "famille"? Oliver Rassat, organisateur de la Semaine, présentant l'autre soir les quatre musiciens, tint à préciser, en chinois, que c'était "un orchestre familial". A quoi un spectateur lui rétorqua avec un bel aplomb: "Nous sommes tous une Grand Famille!" Eclats de rire dans toute l'assistance. 

Autre moment fort, le concert donné dans le "ballroom" du Grand Mercure Shanghai Hongqiao jeudi dernier devant un parterre d'aficionados reprenant en choeur "Aux Champs Elysées", "Besa me", "La mer", toutes générations confondues. 

Au Kathleen's 5, les ZAGO ont posé leur matos sur la terrasse en plein air, quitte à se déplacer de table en table, grâce à la hf, dans la grande tradition des musiciens tziganes. 

David, l'aîné des fils, n'hésite pas à s'approcher à quelques centimètres de certains visages en écarquillant les yeux, ses mains agiles courant sur le clavier de son mélodion.

Jérôme, avec son double tambour ventral zizague entre les spectateurs, esquisse un pas de danse et se lance dans un de ces solos époustoufants dont il a le secret, tandis que Tony s'amuse à restituer un son rock de chez rock digne des plus grands legend heroes. Avec ses mimiques, il fait immanquablement penser à feu Louis de Funès! 

"Pijack", patriarche et Grand Manitou, clarinette au bec, fait pénétrer ses sons magiques au plus profond des entrailles de chacun.

Parfois, tous quatre se regroupent comme un seul homme, se frôlent, s'affrontent, se toisent...pour le plus grand plaisir d'un public déjà conquis. 

Les surprises succèdent aux surprises. A peine "la partita" s'achève-t-elle que les voici jouant avec délicatesse une vieille valse "bien de chez nous", avant d'enchaîner leur nouveau tube, "Ye Shanghai", que tous les spectateurs chinois fredonnent. 

Comme souvent, la mélodie commence piano piano, avant un embrasement, un déchaînement provoquant les premiers pas de danse de la soirée.

C'est parti! Sur la terrasse, mais aussi au bar, dans les coursives, personne ne résiste. Des couples se forment. Un petit bonhomme occidental, crâne rasé et lunettes, s'empare d'une grande dame asiatique abasourdie et hilare. Dubout pas loin. Patrick K fait virevolter Olivia; ZTH soi-même gesticule comme un beau diable au bras d'une cavalière dont la chevelure rousse flotte au vent...

Le ciel a viré au rose. Etoiles et lune sont de la fête. Kathleen elle-même est entrée dans la danse avec le Consul Général d'Argentine. Viva el tango y el paso doble tambien! 

Il est 23h. "Elle" fait son entrée. Celle que tous les lao Shanghai attendaient, espéraient, "the voice",  Anne Evenou qui hante ici les nuits, pour la plus grandes joie des noctambules mélomanes. 

ZAGO et elle ne se connaissaient pas? Pas grave. Il suffit d'un accord de David sur son mélodion, de deux notes de Tony sur sa guitare. Ainsi commence la "troisième mi-temps" de la soirée. Et là, messieurs mesdames, tous les coeurs fondent. Avec "La vie en rose" d'abord. La voix d'Anne s'en va dans des graves à vous couper le souffle. Le quintet infernal enchaîne avec un beep hop d'anthologie. Puis, "tout doucement", tombent "les feuilles mortes", tendance jazzy. 

Alors. Alors, Pijack sort de son gilet noir sa petite flûte à bec. Le grand homme, coiffé de son feutre noir, quitte la terrasse, suivi par Anne et toute la famille. Il glisse entre les panneaux transparents, salue la foule de l'oeil. 

Puis descend les marches de l'ancien Jockey Club. Le voilà, Les voilà sur l'esplanade, puis dans la rue de Nankin. Pijack joue, joue sans arrêt, accompagné par Anne, David, Jérôme et Tony. Les notes s'envolent, viennent résonner le long des hautes parois de verre et de béton. 

Tous  les convives du K5 suivent. En tête, Annick de KB et Hervé, TM et son beau crâne luisant sous la lune, "Doctor" L, chinois de "Pali", avec son look d'éternel intello, tandis que Christian de L, alias l'Artiste, avance d'un pas décidé, maniant avec dextérité une canne à pommeau d'argent, tel un maître de danse.  Une longue procession s'étire vers le Bund. 

Minuit. Nos musicos se taisent le temps d'entendre résonner Dong Fang Hong, "L'Orient est Rouge" tout en haut de la Custom House

Soudain, une brume épaisse comme une purée de pois tombe sur le waitan. Une corne lancinante mugit. Un autre silence. Au bord du quai, seule une silhouette. Anne, le regard perdu au loin.

Sur le Huangpu, une jonque fantôme éperonne le brouillard. A sa proue, Pijack Flûte, David Mélodion, Jerôme Tambour, Tony Guitare...

Lentement, très lentement, ils égrènent les premières notes de Nanniwan...

(1) En souvenir de ce "joueur de flûte de Hamelin" que me contait jadis ma grand-mère dans l'ancien presbytère de Saint-Thibault, en Côte d'Or. "Il était une fois (...) Et alors, pour se venger du méchant bourgmestre, le joueur de flûte commença de jouer une musique si ensorcelante que tous les enfants de la ville de Hamelin le suivirent, quittèrent le village et disparurent au loin..." 

 Et ma grand-mère, une ancienne institutrice lettrée, prenait bien soin de prononcer "Hameline" car c'était un conte allemand.

PS. "La plus belle des fêtes" se déroulera effectivement demain soir avec les ZAGO et Anne Evenou (celle-ci sous réserve), lundi 22 octobre 2012 au Kathleen's 5, 325 Nanjing Xilu. Réservations: 6327.22.21. Menu spécial concocté par le Chef: prix 368 rmb, boissons non comprises. Menu à la carte ou consommations au bar.

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