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Billet de blog 21 novembre 2012

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Sur les pas de la Longue Marche (10): fin du parcours

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

5 septembre (1993). Le lendemain matin, la visite se poursuit par l’école et sa petite foule mouvante d’enfants. Le sentiment diffus d’un remake oriental du Joueur de flûte de Hamelin. La caméra a remplacé la flûte, voilà tout. A l’entrée, Marx, Engels, Lénine et Mao vous saluent bien.

 Retour à la pharmacie qui sentait si bon. Une dame en blanc pose des questions sans sourire. Un petit homme jovial la relaie, propose à l’étranger de venir boire un thé. Celui-ci décline l’invitation, faute de temps. L’autre insiste, puis disparaît.

 Devant une façade à étoile rouge, un troisième individu muni d’un talkie-walkie précise les questions. Le petit homme réapparaît comme par enchantement. Accompagné cette fois par deux amis. Peut-être vaudrait-il mieux accepter l’invitation ? Le thé est servi dans un petit salon de la municipalité.

 Echanges de politesses. Le guide arrive à point nommé. Le thé est bu man-man-de, lentement, comme il sied. Merci messieurs. Où l’on apprend tardivement que Ningyuan est une ville « non ouverte ». Que ne le disiez-vous plus tôt ?

Départ pour Quanzhou après un dernier regard sur le pont sublime. Dernière journée « Longue Marche ». Les paysages annoncent les montagnes de la région de Guilin. Après le Jiangxi, le Guangdong et le Hunan, voici le Guangxi. Pitons, pains de sucre couronnés de verdure, monts en forme de mâchoires de requin, rizière vert tendre…

 Rien n’y manque. Pas même le pont de marbre surplombant une eau claire dans laquelle plongent en riant des garçons. Deux jeunes paysans en vélo s’arrêtent. La conversation s’engage. Il leur faudra attendre 23 ans pour se marier. Et puis, ajoute l’un deux, ils regrettent surtout de ne pas avoir de télévision !

 Sur la table du déjeuner, des piments rouges et verts poêlés, une friture de poissons de rizière, des aubergines à l’ail, du cochon, un tombereau de riz et une bière bien glacée.

 Après-midi, découverte d’un village rose enroulé autour de trois arbres centenaires. Dans le grand magasin désert figurent des articles dont certains datent des années 60. Seul un bébé au crâne rasé et au cul nu se promène.

 Rouge est la terre. Les briqueteries à très haute cheminée se multiplient ; des fours domestiques de forme ronde qui crachent une fumée blanche parsèment la campagne. L’odeur du souffre prend à la gorge.

 Fin du parcours. Sur une route digne de nos départementales, Xiao Lu, le chauffeur, montre, triomphant, le compteur. Pour la première fois depuis vingt jours, le minibus vient de franchir le mur des 100 kilomètres /heure. Et ce, après 2500 km de chemins défoncés, boueux, poussiéreux, caillouteux et parfois goudronnés.

 Bientôt, les travaux en cours raccourciront les distances, du moins entre les grandes métropoles du Sud. Les « nationales » auront la forme d’un tapis de béton. Quant aux chemins de traverse, il faudra attendre longtemps avant qu’ils ne se transforment en routes carrossables.

 Et quid de ces villages, de ces maisons dont la structure semble immuable, quid de ces paysans qui vivent et travaillent comme au temps des Tang, aux seules différences qu’ils s’éclairent à l’électricité et se nourrissent probablement mieux ?

 Il existe en Chine des milliers de « vallées perdues » à des années-lumière des zones d’expansion économique et des grandes villes du littoral qui explosent. Quoi qu’on en dise ces temps-ci, ce mode de vie ancestral est encore dominant. Aucun signe n’indique que l’économie de ces villages, pourtant à moins d’une journée de route de Canton, soit actuellement aspirée par le développement forcené de cette province voisine. Demain peut-être, après le retour au bercail de Hong Kong.

 Pour l’heure, chacun continue de travailler la terre avec ses mains et un bon vieux buffle. Les enfants s’en vont apprendre le mandarin avant d’aider aux champs, de se marier et de faire le fils qu’ils espèrent de tous leurs vœux.

 Quanzhou. Toujours pas de « long nez ». Ce sera pour la prochaine étape. L’armée rouge serait passée par là en novembre 1934. Mais ici qui s’en soucie ? Chacun préfère guigner Guilin et sa forêt de pierre, mine à dollars. Quitte un jour, tel Yukong, à déplacer les montagnes. 

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