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Billet de blog 24 mai 2012

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Victor Hugo habite à Macao

Ce designer de renom, qui tient table ouverte dans l'un des meilleurs restaurants portugais de la ville, le Don Galo, porte effectivement ces deux prénoms magiques, car sa mère vénérait notre grand écrivain et poète.

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Ce designer de renom, qui tient table ouverte dans l'un des meilleurs restaurants portugais de la ville, le Don Galo, porte effectivement ces deux prénoms magiques, car sa mère vénérait notre grand écrivain et poète. A Macao, la plupart des intellectuels parlent notre langue, se passionnent pour notre culture, mais aussi pour toutes celles qui ont façonné ce minuscule territoire depuis le XVIème siècle et la constitution, dès 1557, d'une petite colonie portugaise où se mêlaient déjà des marchands de Lisbonne, des Anglais - comme en témoigne encore aujourd'hui le cimetière protestant, dominé par un flamboyant géant -, et d'autres aventuriers venus d'Europe.

Plus qu'à Hong Kong, ce cosmpolitisme, ce métissage sautent aux yeux: le peuple macanese qui prend plaisir à se promener le soir sur le Largo do Senado en témoigne avec grâce, comme l'architecture baroque où transparaissent certains stigmates de l'Empire du Milieu. L'ombre des Jésuites qui façonnèrent ce port, est encore très présente. Le coeur de Macao, ce sont, encore et toujours, ses églises, ses cimetières, ses musées, son théâtre D. Pedro V, miraculeusement préservé, ses demeures anciennes désormais ouvertes au public - le Palais Lou Kau, la Maison du Mandarin - , sa magnifique Biblioteca Sir Robert Ho Tung, et cette Livraria Portuguesa, au 16-18 de la Rua S. Domingos, qui m'a si bien  accueillie. Merci à Ricardo Pinto, son grand animateur et à toute son équipe. 

Macao, c'est aussi cette ribambelle de casinos, tous plus kitsch les uns que les autres, défigurant la cité, la transformant chaque année un peu plus en un monstrueux dysneyland pour accros des tapis verts. Hier, y rêgnait en maître absolu Stanley Ho. Le vieil homme, ses quatre épouses et ses dix-sept enfants sont aujourd'hui empêtrés dans un conflit sans fin. La dynastie Ho, avec son navire amiral, le Lisboa, immense gratte ciel zarbi aux allures de lotus - la fleur symbole de l'enclave - a perdu de sa superbe. D'autant que des concurrents, et non des moindres, montrent les dents. 

Une autre famille, venue de HK, fait vaciller l'empire du vieux lion aux célèbres rouflaquettes. A sa tête, un petit homme de 83 ans, une éternelle casquette très british vissée sur le crâne: Lui Che Woo. Contrairement à Stanley Ho, dont les liens avec la mafia locale sont souvent évoqués, ce qui ne l'a pas empêché d'être fait Commandeur de la Légion d'Honneur par le Président Chirac lors de l'Année de la France en Chine, l'argent n'ayant pas d'odeur comme chacun sait, le patriarche du clan des Lui, est présenté comme un parangon de vertu, multipliant les gestes de solidarité et de charité. Son histoire est édifiante: venue de la Chine du sud à HK à l'âge de quatre ans, il tient d'abord une gargote avec de se lancer dans l'immobilier. M. Lui préside aux destinées du très puissant K.Wah Group, possède la chaîne, très présente aux USA, des Stanford Hotels, dirigée par l'un de ses fils, Lawrence, et le Galaxy Entertainment Group, un ensemble de casinos qui fait la nique à ceux du clan Ho, avec ses 2200 chambres, ses cinquante restaurants, ses 450 tables de jeu, sa plage artificielle et depuis peu, le très sélect club "China Rouge", dont la décoration, imaginée et conçue par le designer Alan Chan, s'inspire du Shanghaï des années 30. Le grand manitou du groupe Galaxy n'est autre que le fils aîné de Lui Che Woo, Francis, aussi discret que son paternel, qui compare ce nouveau joyau à une "Chambre interdite - "Forbidden chamber" - destinée aux seules élites", comprenez aux joueurs qui jouent gros, très gros.

Où est le temps, pas si lointain, où les "gamblers", placés en haut d'une mezzanine dominant le vieux tapis vert, déposaient leur enjeu dans un petit panier d'osier guidé par des mains expertes jusqu'au chiffre choisi? Ce petit casino flottant, construit en bois, était délicatement posé le long du vieil embarcadère d'où partaient les ferries reliant la colonie portugaise à Victoria, où les jeux d'argent étaient et sont toujours interdits.

Macao: minuscule enclave littéralement coupée en deux, avec d'une part sa vieille ville, une vie culturelle à l'ancienne, un vrai art de vivre, cette promenade, tout en haut du Jardim de Luis de Camoes, où chacun peut marcher pieds nus sur un sentier de galets, miradoura e massage de pies,  les plages désertes de Coloane, la petite forêt tropicale, et tout au sud de l'île, Fernando, ce fabuleux restaurant portugais; d'autre part ce monde démesuré, artificiel et vulgaire qui chaque nuit renait de ses cendres.

Reste déjà dans mon souvenir - et sur l'écran de mon portable! - l'image sublime de la petite chapelle St François Xavier, au village de Coloane. En son choeur, mur et plafonds couverts par un ciel bleu matiné de nuages blancs, divins, forcément divins, et d'une d'une colombe prenant son envol, le saint lui-même flottant dans les airs, à l'aplomb deux chaises chinoises d'un pur style ming. Un rêve baroque. 

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