Comment décrire les quatre soeurs Pan? Leurs visages ont tous une forme lunaire, les traits épais, la bouche surtout, le menton aussi. Des yeux plus grands que ceux des han, des yeux rieurs, voire moqueurs. La peau tannée par le soleil. Des rides franches. De larges pommettes et sur leur chef, une incroyable coiffure alambiquée, enroulée, qui se dresse à une quinzaine de centimêtres au-dessus de leur front!
Toutes quatre portent des boucles d'oreilles si lourdes que leur lobe s'allonge, s'allonge...Pas des beautés, non, mais coquettes, avec leurs chemises presque fluo, une petite veste noire croisée très seyante, leurs chaussettes bariolées et leurs petits chaussons de toile noire. A l'exception de Damei, qui porte des tennis vertes de l'armée. Elles semblent menues, peu de poitrine, mais en revanche des mollets bien ronds! Les deux aînées paraissent presque grandes; Xiamei - comme son prénom l'indique! - et Simei, la Quatrième, ne mesurent guère plus d'un mêtre cinquante.
Très vite, je comprends, par leur regard un rien goguenard, par leur propositions sans fard, qu'elles n'ont pas froid au yeux. Sans parler des échanges entre elles à mi-voix en langue yao, qui les font pouffer de rire à tout instant. Je donnerais cher pour comprendre leurs plaisanteries. Leurs gloussements, leurs regards pour le moins effrontés ne trompent pas.
Premières questions: d'où je viens, ma nationalité - apparemment, la France ne leur est pas inconnue, Demei mentionne même "Pali" (Paris) avec une pointe de fierté -, mon âge. A moi de jouer et de me moquer d'elles car, comme souvent en Chine, elles se "plantent", persuadées d'avoir à faire à un "long nez" d'une quarantaine d'années. Je bois du petit lait, et fait durer le plaisir. Une autre information les intrigue: elles sont incapables de comprendre que je me suis marié à deux reprises et s'entêtent à penser que je vis avec une "laopo", une "tatai", et une "seconde"...Et entêtées elles sont: le lendemain, elles reviendront à la charge, hilares comme toujours.
Leurs âges: l'ainée, Demei, approche de la cinquantaine, a des enfants et des petits-enfants. ( La politique de l'enfant unique ne concerne pas les "minorités nationales", comme le prouve la démographie: elles représentaient environ 5% de la population chinoise il y a cinquante ans; elles atteindrait aujourd'hui entre 8, voire 10% de celle-ci. Avec toutes les précautions d'usage, car leur dénombrement s'avère aléatoire. ) Les trois autres sont aussi dans la quarantaine. Chacune a deux enfants, j'y reviendrai.
Au fil de la conversation, je comprends qu'elles vivent dans un village de montagne nommé Zhong Liu, à deux bonnes heures de marche à l'est de Ping'an. Très vite, je suis invité à déjeuner le lendemain chez Damei, à dormir chez Demei, laquelle suggère dans un grand éclat de rire une nuit à cinq!!! Faut voir...Pas froid aux yeux je vous dis.
Le soleil couchant les éclaire, les caresse. Elles ont quitté la table de bois rustique et les bancs pour se lever et se placer au bord d'un précipice, par ordre d'âge. En fond de décor, au sud, le bourg de Ping'An, les monts du Guangxi, bleutés, les terrasses. Depuis le début de notre rencontre, je n'ai eu de cesse de les filmer. A chaque nouvel échange, il est question de quatre billets roses de 100 yuan ( environ 10 €). Elles sont gourmandes, les quatre soeurs Pan. Je propose un premier billet pour voir leur show. Petit conciliabule. Proposition acceptée.
Commence alors un savant rituel, consistant, pour chacune d'entre elles, à défaire sa coiffure, pour mieux la reconstruire ensuite. La séance dure une douzaine de minutes. Comme je le découvrirai plus tard, des variantes existent, la plus spectaculaire étant non seulement de mener à bien cette entreprise déjà passablement complexe, mais aussi de laver dans l'eau d'un torrent sa longue chevelure et les postiches naturelles que chacune a hérité de sa mère, de sa grand-mère, de sa tante...
Lorsqu'elles commencent à défaire leur chevelure, celle-ci mesurant près d'un mêtre cinquante, je vois, à ma grande surprise, surgir d'autres cheveux, longs d'un bon mêtre, aussi noirs que les leurs, très certainement teints, qu'elles posent sur leur épaule le temps de se peigner soigneusement, puis d'entremêler l'ensemble en tresses majestueuses et lourdes qui viennent, au final, couronner l'édifice. Fascinant.
Ce qui ressemble fort, pour le spectateur, à une cérémonie ésotérique, - même si leurs échanges perpétuels en yao tend à désacraliser celle-ci -, provoque un certain malaise. Qu'il le veuille ou non, celui-ci entre brusquement dans une vraie intimité avec les donzelles. Toutes quatre le savent bien. Leurs plaisanteries masquent mal leur gêne. Lorsqu'elles se voient ainsi décoiffées, leur visage et tout leur être deviennent différents, comme démunis. Elles sont, au sens propre du terme, défaites, sans défense, mimant pour le "long nez" les premiers gestes censés se dérouler au sein de leur foyer, au lever, loin des regards étrangers...