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Billet de blog 28 mai 2013

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Au fil du temps: «Short cuts» de Thomas Fuesser

C’est un grand et gros livre d’allure moderne, une petite surprise pour le vieil amoureux que je suis des éditions SKIRA. Il me souvenait d’ouvrages de style très classique, un rien compassé. Celui-ci vous interpelle, vous intrigue, avec sur la tranche son très gros titre, SHORT CUTS, orange sur fond noir, Skira écrit en minuscule minuscule, pas de nom d’auteur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est un grand et gros livre d’allure moderne, une petite surprise pour le vieil amoureux que je suis des éditions SKIRA. Il me souvenait d’ouvrages de style très classique, un rien compassé. Celui-ci vous interpelle, vous intrigue, avec sur la tranche son très gros titre, SHORT CUTS, orange sur fond noir, Skira écrit en minuscule minuscule, pas de nom d’auteur.

Sur la couverture, “Artists in China, Short Cuts”, le nom de Thomas Fuesser, et une image étonnante, forte, un rien dérangeante, celle d’un Hasseblad transpercé par une flèche.

Une image – et une oeuvre, signée Madein Company, un collectif d’artistes travaillant à Shanghai – tellement étrange que l’auteur, photographe allemand, et l’éditrice, Rosa Maria Falvo, ont cru bon de s’en expliquer dans un texte liminaire. (En attaché, une image de la couv).

Au verso, une bande de couleur grise avec plusieurs débords de peinture. On devine le cadre d’un tableau. Et la liste des artistes que le Thomas Fuesser a choisi de montrer aux lecteurs: Ding Yi, Liu Wei, Zhang Enli, Cai Guo-Qiang, Zhang Ding, Zeng Fangzhi, Wu Shanzhuan, Inga Svala Thorsdottir, Zhang Peili, Sun Xun, Chris P.Gill, Pu Jie, Yu Hong, Feng Mengbo, Ai Weiwei, Madein Company, Zhou Tiehai.

Soit une écrasante majorité d’hommes, ce qui n’a rien d’étonnant – il en va en Chine comme dans le reste du monde - et une forte dominante de Shanghaiens.

Voici précisément vingt ans que Thomas a décidé de poser son sac à Shanghai où il a entrepris un travail de longue haleine: photographier, inlassablement, celles et ceux qui à ses yeux comptent le plus dans le domaine de l’art. Des peintres essentiellement.

Certains de ces artistes s’aventurent sur d’autres territoires, installations, sculptures, video-art, films d’animation mais la peinture-peinture et la figuration tiennent le haut de ce gros pavé.

En cela aussi celui-ci reflète les grandes tendances de l’art chinois actuel.

L’ouvrage, cependant, commence avec Ding Yi, prince de l’abstraction, le plus en vue là-bas avec son compère lui aussi shanghaien, le tout aussi talentueux Shen Fan.

Cette ouverture n’est pas anodine. La complicité entre cet artiste secret, taiseux et le photographe allemand saute aux yeux.

A l’évidence, Thomas a su non seulement se faire accepter par Ding Yi mais sa discrétion coutumière lui a permis, au fil du temps, de se fondre littéralement dans l’atelier pour mieux saisir l’authenticité d’une démarche qui se veut à la fois créatrice et répétitive, comme l’artiste s’en explique dans un entretien accordé à Linghu Lei et Hu Jinhong du China Life Magazine .

Il suffit de se balader dans cette vingtaine de pages pour saisir l’entêtement tranquille de Ding Yi. J’aime particulièrement cette image où apparaissent les toutes premières croix que son pinceau pose délicatement sur une toile sombre que l’on devine immense.

Ce que Thomas Fuesser désigne ainsi, c’est la solitude de cet artiste.

Il suffira pour me faire comprendre de rappeler par exemple que Zhang Huan, l’un des ténors de l’art chinois, lui aussi porté aux nues par les collectionneurs, la critique et le marché, emploie dans ses ateliers shanghaiens une centaines de peintres, d’artisans…et de cuisiniers.

Chez Ding Yi, ce sont ses ébauches, quelques objets du quotidien, ici un fauteuil, là un escabeau, ses lunettes rondes, qui lui tiennent compagnie.

Puis vient le temps d’une exposition.

Et quelle exposition: Zhou Tiehai, alors directeur artistique du Minsgheng Art Museum, lui a consacré une retrospective remarquable à la fin 2011, intitulée “Specific Abstract: Ding Yi Exhibition” saluée comme un des plus grands événements artistiques de ces dix dernières années. La scénographie était signée Margo Renisio, architecte française qui oeuvre elle-même en Chine depuis une dizaine d’années.

Thomas Fuesser finit cette séquence avec plusieurs plans laissant entrevoir le tableau immense qui décore désormais la réception d’un grand hôtel de la métropole, pas moins d’une dizaine de mètres, un long trait fluo couleur fuschia.

Le photographe aurait pu choisir de nous montrer la foule lors de l’inauguration ou les “people” courant au cocktail offert par ce grand hôtel. Il a préféré nous mettre face aux oeuvres, avec parfois un visiteur auprès pour l’échelle de celles-ci.

Avec ces dernières images et celles de la façade du Minsheng Museum, strié de grandes croix blanches de néon le temps de l’exposition, l’évocation voulue par Thomas Fuesser vire à la fiction…et à l’abstraction!

“Servir le Peuple”, tel était le slogan majeur du Grand Timonier. Thomas Fuesser, lui, a choisi de servir les artistes qu’il aime. Et il les sert bien.

A observer ce livre au plus près, chacun comprendra qu’il a mieux soigné, consciemment ou inconsciemment, les artistes shanghaiens ou proches de Shanghai.

Je pense par exemple à Zhou Tiehai, qui conclut d’ailleurs le livre, à Zhang Enli et à Zhang Peili, qui travaille à Hangzhou. Peut-être tout simplement est-ce le résultat d’une amitié, d’une longue familiarité, un mot qu’affectionne Ding Yi.

Il y a aussi, dans Short Cuts, l’épaisseur de Ai Weiwei et cette photo de la Modern Tate avec ces seuls mots géants: RELEASE AI WEIWEI.

Il y a Zeng Fangzhi et une image où il est en conversation avec Lorenz Helbling, patron de Shanghart, le premier accoutré comme le grand bourgeois qu’il est devenu, tel un Matisse, le second comme l’éternel étudiant qu’il sera toujours.

Et il y a Sun Xun, que nous tenons, comme l’artiste le plus brillant, le plus prometteur de sa génération. Né en 1980, Sun Xun a choisi le film d’animation comme moyen d’expression, un genre qu’il emmène très loin, très haut, du côté d’un lyrisme grinçant, d’une poésie, d’une fantaisie incomparables.

J’avais, il y a maintenant un an, suggéré au Jeu de Paume, qu’il investisse ce lieu, comme il le fait toujours, commençant par travailler in situ.

Las, le message est resté lettre morte. Peut-être la Chine est-elle passée de mode chez nous. Lorenz Helbling ne s’y est pas trompé qui le soutient depuis plusieurs années et le présentera en majesté à la toute prochaine foire de Bâle.

L’ouvrage est accompagné d’un appareil critique bienvenu, avec un texte de ce dernier, fait rarissime. Fondateur de Shanghart, la galerie qui très certainement compte le plus en Chine depuis une bonne quinzaine d’années, il a su accompagner la plupart des artistes qui comptent à Shanghai et au-delà.

A ce propos, une question mériterait d’être posée: que serait l’art contemporain chinois sans un Lorenz Helbling à Shanghaï et un Li Xianting – théoricien et grand inspirateur de la fameuse école du réalisme sarcastique – à Pékin? Nobody knows!

Short Cuts n’existerait pas sans Lorenz Helbling, dont la générosité va jusqu’à soutenir un projet incluant des artistes qui exposent ailleurs qu’à Shanghart. Certains n’en sont pas encore revenus.

Il faut aussi saluer les contributions de Jean Loh, qui signe un texte éloquent intitulé “Portrait d’un photographe”, de Shen Qilan, celle de Rosa Maria Falvo, au titre évocateur, “Inside”, et le travail accompli entre cette jeune éditrice australo-italienne de talent et Thomas, Germain placide et souriant.

De cette alliance, est né un livre sans concession, passant avec bonheur de la couleur au noir et blanc, avec quelques beaux chocs visuels et surtout, ces vues qui nous montrent une oeuvre en gestation, “a work in progress”. Comme une fenêtre grande ouverte sur la création.

Thomas et ses compagnons de route auraient-ils trouvé leur tao?

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