CLAUDE HUDELOT (avatar)

CLAUDE HUDELOT

Historien de la Chine contemporaine, réalisateur de documentaires tv

Abonné·e de Mediapart

300 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 juin 2012

CLAUDE HUDELOT (avatar)

CLAUDE HUDELOT

Historien de la Chine contemporaine, réalisateur de documentaires tv

Abonné·e de Mediapart

Les quatre soeurs yao (3)

Après la séance coiffure et nos palabres, les quatre sœurs Pan avaient tenu à me montrer leur petite échoppe en plein vent, tout là-haut, sur ce nid d'aigle dominant l'incroyable paysage sculpté par la main de l'homme. A vendre: des guides et des cartes postales, des broderies - je constaterai de visu le lendemain qu'elles les fabriquent elles-mêmes - des bijoux en "argent", des pièces de tissu, des foulards...

CLAUDE HUDELOT (avatar)

CLAUDE HUDELOT

Historien de la Chine contemporaine, réalisateur de documentaires tv

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après la séance coiffure et nos palabres, les quatre sœurs Pan avaient tenu à me montrer leur petite échoppe en plein vent, tout là-haut, sur ce nid d'aigle dominant l'incroyable paysage sculpté par la main de l'homme. A vendre: des guides et des cartes postales, des broderies - je constaterai de visu le lendemain qu'elles les fabriquent elles-mêmes - des bijoux en "argent", des pièces de tissu, des foulards...

Damei et Demei se sont mises, vite fait, à plier bagage et à fermer boutique tandis que Xiaomei et Ximei chargeaient sur leurs épaules une palanche avec, aux deux extrémités, deux bottes de foin et de feuilles séchées. "Ming tian tian Lao Yu!" m'ont -elles dit, puis crié en s'éloignant.  A demain, Vieux Poisson! (*) Je les voyais, dans mon objectif, s'éloigner à la queue leu leu, à flanc de colline, disparaissant derrière des bosquets de bambous géants, réapparaissant, me faisant des signes, et encore des adieux qui résonnaient dans la vallée. 

Je les ai vues longer un cimetière, puis monter, monter jusqu'à un col, et disparaître. J'ai admiré une dernière fois le paysage, en pensant aux images de rêve prises jadis au Yunnan par l'ami Yann Layma, ces terrasses gorgées d'eau prises au soleil couchant, et à son film, la belle histoire d'un buffle et de son maître. 

Le lendemain matin, lever à l'aurore, omelette aux champignons, crêpes, café. "Zaijian, zaijian", je laisse à la patronne mon gros sac, prêt à bondir sur le sentier, direction Zhong liu avec le strict minimum. Les vieilles miao et zhuang - les ethnies dominantes à Ping 'An - commencent à installer leurs étals. "Nihao, nihao!". Des chevaux paissent à flanc de côteau. Le sentier de grosses pierres gris clair monte par paliers vers le col. Des centaines et des centaines de marches...

Personne, si ce n'est trois femmes en habit traditionnel. Belles couleurs. Nous nous saluons joyeusement. Puis je pénêtre dans le cimetière, qui s'avère être zhuang. Quelle vue ont ces morts! Un fengshui idéal. Sur les pierres tombales, le nom, en caractères chinois, des défunts et des inscriptions dont le sens m'échappe. Chacune est coiffée d'un animal, mythique ou non. Toutes font face à la vallée, au sud-ouest.

Je m'attarde, avant de reprendre mon sentier et d'entendre des éclats de voix. Elles sont là, mes copines, du moins trois d'entre elles - manque Damei, l'aînée - en grand marchandage avec une famille venue de la province côtière du Fujian. Une triple conversation s'engage: les essais, de foulards, de coiffes, de bijoux vont bon train. Bracelets argentés: 15 yuan, I,5 €; petite coiffe brodée à 30 yuan ( "c'est du boulot!" dit Xiaomei en se marrant)...

Demei m'entreprend pour savoir si je suis toujours décidé à déjeuner et à dormir à Zhong Liu. Vas pour le déjeuner. Elle sort son portable et alerte Damei, tandis que je cause à la famille, des commerçants de Xiamen venus "war war", se distraire, s'amuser, visiter...Ensemble, nous évoquons cette île paradisiaque qu'est Gulangyü, face à l'ancienne Amoy, sa si jolie petite plage, ses magnifiques demeures coloniales, ses petites gargottes en plein air où l'on vous sert de délicieux fruits de mer...

"Alors, on y va Lao Yu?"....A suivre!  

(*) Comme je crois l'avoir expliqué ailleurs, mon nom chinois, choisi par un ami artiste à Pékin lors d'une soirée endiablée chez un de mes chers amis, Xing Xiaosheng, c'est "Yu de le", 鱼得乐, mot à mot "le poisson gagné par la joie", citation tirée d'une histoire du philosophe taoiste Zhuangzi, que Simon Leys a récemment (re)traduite avec tout le talent que l'on lui connait. Ce nom fait rire tout le monde. Il est aussi un excellent moyen de tester la culture de mes interlocuteurs: le plus souvent, les jeunes ignorent tout du taoisme et de Zhuangzi. Les plus âgés , au contraire, s'en souviennent. "Lao", vieux, et donc ici "Lao Yu", 老鱼,"Vieux Poisson", expression chaleureuse et respectueuse, trouve ses origines dans le confucianisme. Chez Maître Kong, les anciens avaient en effet la place d'honneur. Les enfants leur devaient le respect le plus absolu et avaient le devoir de les prendre en charge jusqu'à leur mort. Il en reste encore aujourd'hui quelque chose. Pour combien de temps? 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.