7 heures. Crêpes au miel, thé noir, et me voici chevauchant un "moutain bike" loué la veille au soir. Direction: plusieurs villages perdus "au bout de la route". Perdus au point que je m'égarerai à plusieurs reprises...
Belle route goudronnée d'abord, bordée de grands feuillus. Le vélo file le long du lit d'une rivière. Rizières, la brume matinale se lève, les ponts de pluie et du vent se succèdent comme par enchantement. Tout va bien. Si bien que je filme tout en roulant. "La route de Gao You? C'est celle qui monte, à droite"...
Elle monte sec! Au point que je mets bientôt pied à terre, avant d'atteindre une autre vallée. Quelques maisons de bois d'ici de là, mais le plus souvent, je découvre au fil de la route des champs de rizières, de betteraves rouges, de haricots, comme un immense jardin verdoyant bordé de bambouseraies et de grands arbres couvrant les collines avoisinantes.
Peu ou pas de paysans aux champs. A un carrefour, cachée derrière plusieurs rangées de résineux, une grande école blanche avec étoile rouge. J'entends le chant des enfants qui résonne dans toute la vallée. Nouvelle montée, nouveaux lacets.
Je manque la route de Gao You....et débarque à Gao Jin. Quelques petits bonheurs: ados qui jouent au basket au pied de la porte du tambour du village; tailleur coupant de beaux costumes dong tout en écoutant sur sa radio une mélopée chantée par un homme accompagné d'un seul erhu ( vielle à deux cordes); fabricant de scies de long dans une arrière-cour. Celles-ci se dentèlent sans aucune intervention de sa part, son seul boulot consistant à suivre les opérations. Il me sourit tout en fumant sa clope, le bruit de la machine couvre nos voix.
Le tailleur m'indique la route pour Gao You: fini le goudron, c'est un chemin de terre rouge et de rocailles à peine praticable qui monte fort, puis descend. Il faut marcher...Un homme avance devant moi, une palanche sur l'épaule. Pas un mot.
Plus de cultures sinon parfois des champs de thés. Tantôt une forêt de résineux, tantôt des fougères géantes qui ondulent sous la brise, tantôt des arbustes à fleur blanche. Puis le chemin épouse la crête des monts. A perte de vue, ceux-ci succèdent aux vallées, un paysage qui me rappelle la fameuse peinture de Liu Chunhua, "le Président Mao en route vers Anyuan": même ciel bleu avec sa traîne de nuages blancs, mêmes doux sommets caressés par le soleil. Ne manque plus que Mao, sa longue robe et son parapluie!
Gao You enfin, la faim au ventre. Maisons traditionnelles en bois, petits lopins de terre admirablement cultivés. Au centre du village, un très haute tour du tambour. Une vingtaine d'hommes assistent à une scène hilarante: sur l'étang qui jouxte la tour, deux d'entre eux, juchés sur une petite barque, essaient tant bien que mal de planter un arbuste dans l'eau, sous les rires, les commentaires et les exclamations. Probablement pour la prochaine fête du village. Les conseils pleuvent! Mission finalement accomplie.
J'entends un air d'opéra chinois. Une quinzaine de vieux fumant parfois de longues pipes suivent un épisode à la télé dans la tour du tambour, décorée de grandes bannières et de photos de groupes montrant les grandes fêtes du village, hommes, femmes et enfants en habits traditionnels.
Tout en haut de l'édifice de bois haut d'une bonne vingtaine de mètres, des singes sculptés marquent les quatre points cardinaux. Sur la haute mezzanine, des costumes, des masques, des armes de pacotille sont entassés dans de grandes malles ou posés à même le sol. Des orgues à bouche petits, grands ou géants par dizaines, en vrac sur une table.
Dans un autre bâtiment ancien en bois, d'autres vieux assis en carré, parfois allongés, écoutent des chants dong. Tout le village semble endormi, apathique. Un village peuplé essentiellement de vieux ou de gamins. De débiles mentaux aussi.
Je m'enquiers d'un endroit où je pourrais me restaurer. Pas de chance: la seule gargote de Gao You est fermée. Je crois comprendre que le Secrétaire du Parti serait prêt à m'inviter à sa table. Celui-ci est plongé dans des paperasses. En l'attendant dans la soupente qui fait office de bureau, je suis d'un oeil un épisode de kongfu désopilant à la la télé. Le temps passe. Il est tellement occupé, notre ganbu (cadre), que je m'esquive sur la pointe des pieds après l'avoir salué. Je me contenterai de quelques fruits et biscuits.
Une belle route goudronnée glissant vers la vallée me tend les bras. A mi pente, je laisse mon biclou et m'enfonce dans la petite jungle de hautes fougères. On se croirait dans "L'intendant Sansho", cette séquence filmée je crois non loin du lac Biwa. Un homme seul perché à flanc de coteau rassemble sans désemparer des fagots qu'il jette ensuite dans la vallée. Il a la soixantaine, chante de temps en temps pour se donner du coeur à l'ouvrage, parle à d'autres charbonniers, invisibles. Nous entamons une brève conversation.
Bientôt, je rejoins la rivière, non sans avoir pété un des deux malheureux freins de mon vélo.
Finie l'apathie de Gao You: des bûcherons-menuisiers travaillent d'arrache-pied dans les villages où je passe. Ils équarissent les troncs, les enduisent d'un produit luisant. Mélèze ou santal? Ni Hao!, Nimen Hao! Des enfants sac au dos rentrent de l'école. Visite d'un pont de pluie et de vent tout simple avec un petit autel des ancêtres. Deux chevaux broutent l'herbe à ses pieds. Un gamin dong les garde.
Derniers villages, vite traversés. Le regard surpris des habitants. Petits marchés de viande, de légumes et de fruits. Quelques camions chargés de troncs d'arbre passent en pétaradant. Bonjour la pollution! Sur la rivière, des centaines de canards tout blancs. La lumière devient de plus en plus rasante. J'aperçois le fameux pont de pluie et du vent de Chengyang, la grande roue à eau, mon petit hôtel, home sweet home. Content, très content de cette journée passée dans des villages dong, au "bout de la route".