Le sourire de Ibu (« mère », « madame ») fabriquant des carreaux de ciment traduit peut-être le plaisir partagé de notre rencontre.
C’était dimanche dernier. Les indications que l’on m’avait transmises mentionnaient une « pabrik » (mot passé dans la langue indonésienne) dans le village de Dausa ( Prononcer daose) sur la route nationale de crête d’une beauté à couper le souffle entre Kintamani et Singaraja. Mon sésame ? Deux photos de carreaux de ciment photographiés chez mon amie Zakia, antiquaire et brocanteuse à Lovina.
Guidé par un jeune homme tenant boutique sur la grand-route, j’ai découvert après un court parcours labyrinthique un atelier d’une quarantaine de m2 tout au plus sans ouverture sinon deux portes aux deux bouts.
Là travaillent un couple ayant la quarantaine et leur grand fils, Kadek. Des carreaux de ciment par centaines empilés contre un mur. Sinon, des sacs de sable fin, d’autres matières non identifiées, une seule machine pour mouler les carreaux. Au mur, une demie douzaine de formes visibles sur la photo.
Je m’étais à peine présenté que déjà Kadek m’offrait un copi Bali…bienvenu car j’étais frigorifié après avoir passé un col à 1670 mètres d’altitude. Le village de Dausa se situe sur la face nord de ces monts, surplombant le port de Singaraja, l’ancienne capitale.
A ma demande, chacun s’est employé à assembler au sol les carreaux par quatre, formant ici des rosaces, là des entrelacs. Peu à peu, j’ai découvert des petites merveilles, le style de cette production très locale s’inspirant à l’évidence des carreaux de nos grand-mères, très tendance nostalgie ces temps-ci chez nous. Je crains que mes nouveaux amis ne le sachent pas !
Parmi les carreaux que les deux hommes ont assemblés, piochant allègrement dans l’amas, apparaît comme par miracle une rosace sublime bleu Matisse, blanc et orange, dont les formes possèdent la douceur de celles du maître. Souvenir fugace d'une chapelle au bord de la Belle Bleue. « Vous m’en mettrez trois ! »
Après deux heures passées ensemble – ce qui n’empêchait pas Ibu et Pak (« monsieur ») de se relayer sans désemparer à la machine à mouler – j’ai passé commande de 100 carreaux que je paierai 1.300.000 rupiah, soit 80 €. La prochaine fois, je leur demanderai combien ils gagnent en moyenne par mois et combien de jours ils travaillent par semaine. (Au moins six, c’est sûr).
Me frappent le sens de l’hospitalité des ces gens, leur amabilité, leur disponibilité, tout comme leur vivacité d’esprit. Ils sont heureux et fiers de m’entendre répéter « suka, suka », « j’aime, j’aime » - l’indonésien est une langue qui se prête à la répétition – et de les féliciter pour leur travail.
Pour brise la glace s’il en était besoin, je leur avais d’emblée dit quelle amie balinaise m’avait donné leur adresse et les petites difficultés pour les trouver. Puis cette litanie : saya orang Perancis, je suis français, avant de répondre à la question suivante, toujours la même, Anda tinggal lama di Bali ? "Vous habitez depuis longtemps à Bali ? », sept ans, tujuh tahun. Ah, oui, çà fait longtemps…
Leur étonnement, c’est moins ces infos que le fait d’être venu de si loin. « Jauh ». Pour eux, la province de Karangasem, à la pointe orientale de l’île, c’est le bout du monde. Ils n’y sont jamais allés.
En termes de distance et de routes de montagne, puisque la superficie de Bali et celle la Corse sont voisines, je dirai que mon parcours revient à un Bonifacio Corte. A propos du « jauh », j’ai mon explication mais ce n’est pas le lieu ni le moment !
Le plus étonnant peut-être dans cet atelier pour le moins rudimentaire, c’est cet oiseau en cage qui chante à tue-tête. Pas vraiment de poussière mais tout de même. Des jeunes, filles et garçons sont venus nous rejoindre. Enfants et cousins cousines, tout aussi souriants. L’un d’entre eux s’essaie à l’anglais.
Mine de rien, tous observent chacun de mes mouvements, de mes regards au sol. Plus tard, je leur montrerai des images de Bali et même l’affreux croquis représentant le mur où se déploieront les vingt carrés de carreaux et les vieux bas reliefs chinés chez Zakia qui viendront en contrepoint. Le projet leur plait.
Kadek m’a raccompagné à mon « motor » avec quelques lourds échantillons que j’ai placés entre mes deux pieds avant de remonter vers le col, puis de filer tout droit au sud vers la côte de l’Océan indien tout en apercevant de nombreuses cérémonies ici ou là, et de m’arrêter au Pura Kehen de Bangli. La boucle est bouclée.

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