CLAUDE HUDELOT
Historien de la Chine contemporaine, réalisateur de documentaires tv
Abonné·e de Mediapart

300 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 juil. 2021

CLAUDE HUDELOT
Historien de la Chine contemporaine, réalisateur de documentaires tv
Abonné·e de Mediapart

JUSTE UNE IMAGE DE BALI (35) : LA SAISON DES NGABEN A COMMENCÉ...

CLAUDE HUDELOT
Historien de la Chine contemporaine, réalisateur de documentaires tv
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

..a commencé.

Jours, semaines, mois auspicieux pour les petites et les grandes cérémonies qui jalonnent toute l’année, mariages et crémations en tête, Purnama, la pleine lune donnant le tempo.

Juillet et août se prêtent aux ngaben, crémations toujours fastueuses au point qu’une famille peut attendre plusieurs années avant de brûler la dépouille du défunt. J’y reviendrai car ici, dans mon village de Sekar Gunung, il n’est question que du ngaben collectif du 31 juillet.

Hier après-midi, me rendant comme chaque jour à la plage de Pasir Putih, j’ai remarqué, auprès d’un waringin immense, l’amorce d’une cérémonie. Peu de monde à vrai dire du village de Perasi qui possède la moitié de la plage et en contrôle l’entrée orientale.

Plus tard, sur la plage, brillant de tous ses ors, est apparu un autel en forme de trône, tour ambulante, nommée wadah ou bade, en bois recouvert d’une multitude de papiers dorés, de miroirs, véritable coffre au trésor où se cachent un régiment d’offrandes et les cendres de la défunte enfouies dans une jeune noix de coco, autel-tour posée sur une structure carrée en bambou portée par les jeunes préposés de Perasi.

Rien n’est laissé au hasard. Le site d’abord. L’autel est déposé tout au bord de l’océan – il faudra d’ailleurs le reculer en toute hâte car les vagues se font grosses et puissantes – auprès d’une colline escarpée ornée de sombres grottes et d’une eau mi turquoise mi bleu Klein.

Vient le pemangku et son attirail. Et ses prières, ses projections de pétales vers l’est. Pas de clochette aujourd’hui. La cérémonie se déroule en l’honneur d’une vieille femme, une information que je saisis lorsque je vois sa petite-fille debout, loin de l’autel, tenant le portait de sa grand-mère devant elle. Une photo couleur encadrée. C’est l’une des rares personnes à montrer, sans ostentation d’ailleurs, sa tristesse.

Pourquoi être triste lorsque l’on sait que l’enveloppe charnelle de la défunte s’en retourne aux cinq éléménts – vent, terre, feu, eau, éther – et libère l’âme pour lui permettre un jour ou l’autre de se réincarner sur terre ou de s’unir avec l’Etre Suprème.

Chagrin et deuil sont même proscrits car l’âme serait alors peu disposée à quitter les lieux où elle a vécu. Et comme la plupart des ngaben se déroulent des mois, voire des années après le décès, la peine s’est atténuée. Judicieux stratagème pour tromper les démons.

Ce que j’ai aimé, assis près des villageois de Perasi sur une souche d’arbre à demi ensablé près des jeunes femmes regroupées en haut de la plage, corsage blanc ajouré et sarong de couleurs variées, c’est d’observer ce simple cérémonial, un lent ballet, celui des proches de la défunte venir un par un sans façon s’asseoir en tailleur sur leurs sandales après avoir lissé le sable de leur deux pieds, puis de découvrir les anciens accueillis par l’un des servants du pemangku remettant à chacun une fleur de frangipanier, rouge, qu’ils pinceront entre leurs doigts lors de la prière avant de la ficher dans leur chevelure.

Le plus étonnant vient ensuite, après la projection de l’eau sacrale sur les croyants.

Des hommes jeunes et vieux grimpent sur la tour pour attraper certaines offrandes qu’ils se passent de main en main, jetées dans plusieurs paniers, sarong remontés pour éviter d’être trempés. L’image du jour. L’autel se voit brusquement désacralisé en deux temps trois mouvements. Une page est tournée.

Les autres offrandes s’en iront, comme les cendres de la défunte, portées par les courants et les dieux vers le Gange, mère de tous les fleuves, ce Gangga si lointain et si proche du cœur des croyants…

Puis certains jeunes, avec une quelle joie, font glisser l’autel devenu simple radeau, avant de le faire basculer dans les rouleaux.

Là, Ô surprise, d’autres jeunes, en maillot ou en tenue de cérémonie surgis de nulle part, quelques fillettes aussi de la plage, celles-là même qui vendent des colifichets aux touristes, se précipitent dans l’eau pour tenter d’attraper les billets, de petites coupures de 1000, 2000 ou 5000 roupies…

Des fruits, des sachets de raffia tressé flottent dans l’océan. L’autel a depuis longtemps perdu de sa superbe. Le voici nu, « dépiauté » comme on disait en patois morvandiaux, abandonné, voué au travail des rouleaux venant se fracasser contre les roches noires avant de mourir sur le sabl

C’est un court instant déroutant, d’une grande confusion, entre ces jeunes batifolant dans les vagues, poussant des cris ; les enfants, les femmes, les hommes venant une dernière fois, avec recueillement ou dans un fou rire, ou les deux, s’asperger d’eau, élément sacré par excellence, et celles et ceux qui semblent avoir déjà oublié la défunte en allée vers son futur karma.

Le cortège s’est reformé et grimpe doucement la volée de marches pour s’en retourner au village.

J’oubliais.

Pendant tout le temps de la prière du pemangku, l’un des jeunes « gardiens » au visage aigu comme une serpe, placé aux avants-postes non loin du prêtre, muni d’une longue gaule de bambou, n’a cessé d’invectiver les vagues et d’un geste tauromachique, de les repousser, de les repousser encore, encore…Si drôle. Et me croirez-vous, efficace !

Dérisoire, risible, oui. Mais pas seulement.

Illustration 1
28.09.21, 15h. Plage de Pasir Putih. Le dépouillement de la tour-coffre aux trésors. © Claude Hudelot

Etait-ce la lumière, ce formidable croisement, ce patchwork entre une nature divinement belle, ce trône rutilant où rôdait encore l’âme de la défunte, cette douceur de l’instant, cette paix entre gens simples ? Peut-être. Je ne sais. Mais les imprécations de ce jeune farfelu luttant contre les éléments, je les ai perçues comme autant d’échos à la magie de l’instant et comme le mariage improbable entre bouffonerie et cette mythologie bien vivante où chacune espère rencontrer Arjuna, mon demi-dieu préféré, debout jambes écartées sur son char conduit par Krisna lui-même, lançant ses flèches étoilées pour anéantir ses quatre vingt dix neuf cousins Korawa. Une sanglante bataille qui se déroula dit la légende dans la plaine du Gange…

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte