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Billet de blog 30 juin 2012

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les quatre soeurs yao (4) 一路平安!

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous grimpons. Autour de nous, rizières en terrasse, bosquets d'arbres tropicaux, aucune habitation à la ronde, si ce n'est un hameau, trois grandes maisons de bois face à la vallée. Au bord du sentier, un potager...dans lequel Simei fait une brève incursion pour chiper une jolie courge. Son geste est si furtif que je ne me rendrai compte de son larçin qu'au visionnage! 

La conversation va bon train. J'entends encore leurs voix, la mélodie des questions et des réponses. Souvent, la pente est si raide que mon seul paysage, ce sont les mollets gaillards de Xiaomei, la plus petite et la plus robuste. Xiaomei, toujours souriante, timide aussi. Parfois, elle s'amuse à mélanger mandarin et langue yao, essaie de m'apprendre un mot...que j'oublie aussitôt.

"Sauterelle" d'abord, et pour cause: tout au long, chemin, toutes trois effectuent de multiples arrêts, munies d'une bouteille de plastique vide, attrapent l'une d'entre elles en évitant de se faire mordre - leurs mains sont cependant marquées par de méchantes morsures - puis une autre, encore une autre...

Parfois, elles quittent le sentier pour cueillir des baies rouges qu'elles me tendent délicatement. Délicieux! Ou bien, elles s'écartent un peu plus pour arracher de grandes tubercules - "C'est bon?" - "Oui, c'est bon!" - mot à mot en chinois  好吃 "Hao chi", "bon à manger" - , les chargent au bout d'un palanche et c'est reparti.

Une fois, Demei disparaît de longues minutes. Nous avançons. Elle ressurgit avec un gros fagot de bois mort qu'elle porte allègrement. Plus loin, elle le dépose, s'en va dans une rizière déplacer des bottes. Je comprends que nous avons atteint leur territoire.

Dans un champ de maïs où elles s'attardent, les questions reviennent: sur ma famille, - " et donc, tu as deux femmes"..."non, non" - , sur mes aventures chinoises,  sur Pékin, Shanghai et toutes les provinces traversées. Elles qui n'ont jamais quitté leur vallée.

中国很大, Zhongguo hen da! - La Chine est grande - dis-je en rigolant. Comment aurais-je pu leur expliquer que cette phrase est la première du manuel de chinois de l'éminent sinologue - pédagogue qu'est l'ami Joël Bellassen. 中国很大, 日本小 "La Chine est très grande...et le Japon petit". Une phrase tellement culte que celui-ci entendit un jour, sur les pentes du Mont Huangshan, des étudiants français la  chanter à tue-tête pour se donner du courage! Plié en deux, notre gentleman n'osa pas se présenter à ses thuriféraires endiablés. 

A un col, sous un grand portail de bois couvert marquant la frontière entre Ping 'An et Zhong Liu, un autre groupe de femmes yao se repose. Les plaisanteries fusent. Trois d'entre elles ont l'âge de mes copines; une seule plus jeune, plus grande. Une certaine beauté, teint cuivré,  sourire aux lèvres. M'effleure le souvenir d'une rencontre  encore plus éphémère décrite par Victor Segalen dans "Feuilles de route" ( oeuvres complètes, Bouquins, pp 1196 / 1198) (1)

"Tu t'appelles comment?" "Pan". Et toi? "Pan". Et toi? "Pan", Pan"! Tout comme "mes" quatre soeurs yao. Dans la vallée et même au-delà, tout le monde s'appelle Pan.  Elles me proposent de faire le chemin avec elles, la belle aubaine! Mes copines s'insurgent!! Non, non pas question, d'ailleurs Damei nous attend pour le déjeuner, je reste avec mes trois grâces...Grande joie partagée.一路平安! Yilu ping'an! mot à mot: que la paix soit sur ton chemin! me lancent-elles en choeur.

Longue descente au coeur d'un paysage d'une beauté tranquille: ici un grand tumulus couvert de hautes herbes, de fleurs blanches, de grandes fougères ployant sous un doux zéphir. Un petit cheval noir paisse auprès de cette mystérieuse construction mangée par la nature. Un tombeau? Je ne comprends pas les explications de Demei. Là une rizière, sèche à l'automne, ouvre sur une cascade de collines verdoyantes. 

 Lorsque nous ne parlons pas: le chant des oiseaux, la petite musique de l'eau courant dans les rigoles. Nous remontons une autre pente. Je les vois, les filme toutes trois au loin se découpant sur le ciel, avec leurs fagots et leurs palanches à l'épaule, petites. 马上, 马上. "Mashang, mashang" (2). (Nous arrivons) très bientôt me disent-elles, à l'instant où nous pénétrons sous une haute futaie de bambous.

Là, dans la pénombre, avance une étrange cohorte. Ils sont une douzaine de vieillards, gris, noirâtres, fagotés à la diable, certains avancent pieds nus, une serpette à la main, le regard baissé. Des ombres. Des revenants. Ils ne répondent pas à mon salut. Etonné, je me tourne vers Demei, qui me répond simplement: 我们 的 老人, women de laoren. Je comprends:  " (ce sont) nos parents". Ou bien veut-elle dire "des vieux du village". Je ne le saurai jamais. 

Nous voici tout en bas. Trois bonnes heures se sont écoulées. La vallée s'est resserrée, les terrasses se multiplient. Zhong Liu apparaît soudain, tout en haut, à l'ubac. Les maisons s'accrochent au flanc d'un mont escarpé. Des jeunes gens chargés de longs troncs courent sur les sentiers étroits entre rizières, des jeunes filles lavent leur linge dans le torrent. Dernière grimpette et petits saluts. Dans le village - les maisons paraissent grandes, profondes - , nous croisons d'autres jeunes portant jeans et t shirts. Une autre génération. Xiaomei et Simei ont déjà filé dans l'une des ruelles. Demei s'est assise un moment près de son fagot à un carrefour. "Ma maison, c'est par là", montrant un escalier filant vers l'adret.  "Par ici, c'est chez Damei" me dit-elle en ouvrant la voie...

A suivre! 

(1) "10 août 1914. Touei-nao-ko. (...) Li-kiang est encore à 50 li. (...) Je devine la coupure du fleuve - la Yalong - et les nuages derrière les sommets. (...) 

A peine avait-je passé le pont qu'une fille mosso, d'un or brun et d'un visage plus beau soudain - (éclatant et contenu) - que le paysage, accueillait mon arrivée en son pays.                                                                                                                                                                           (Cet autre monde, éclatant et contenu, du paysage d'une face de fille humaine...)

(Réel: à qui n'a vu, durant des journées entières, que les plus beaux paysages panoramiques, un beau visage est soudain l'apparition humaine sur-naturelle. Me souvenir de cette belle fille, gardienne de la boucle; ayant passé, je ne me suis pas retourné comme vers un paysage; - comme fait le cavalier de ma peinture...)"

(2) La concision du chinois est fascinante. Un mot, il est vrai souvent doublé, et tout est dit. Tout le contraire du japonais.

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