Claude-Marie Vadrot

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Billet de blog 4 octobre 2008

Claude-Marie Vadrot

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La crise relance le jardinage pour les plus démunis et les classes dites moyennes

La crise économique qui s’accentue derrière le rideau d’épaisse fumée dégagée par la crise financière des banques jouant avec l’argent des plus pauvres, accroît le mouvement des nombreux Français vers les jardins. Parce que pour les plus démunis qui sont au minimum huit millions et pour une « classe moyenne » de plus en plus attaquée par le chômage et le temps partiel, le jardinage devient souvent le seul moyen, pour les premiers, de ne pas se nourrir de pâtes dès le quinze du mois et pour tous de remédier à la baisse de leur pouvoir d’achat.

Claude-Marie Vadrot

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Journaliste à Mediapart

La crise économique qui s’accentue derrière le rideau d’épaisse fumée dégagée par la crise financière des banques jouant avec l’argent des plus pauvres, accroît le mouvement des nombreux Français vers les jardins. Parce que pour les plus démunis qui sont au minimum huit millions et pour une « classe moyenne » de plus en plus attaquée par le chômage et le temps partiel, le jardinage devient souvent le seul moyen, pour les premiers, de ne pas se nourrir de pâtes dès le quinze du mois et pour tous de remédier à la baisse de leur pouvoir d’achat. J’ai pu le constater récemment en m’attardant dans les allées de 664 potagers de la ville de Stains, dans le département de la Seine Saint Denis. Le long de ces potagers où les jardiniers de toutes origines sociales et géographiques, les remarques et les justifications tournent de plus en plus autour de cette question du pouvoir d’achat et de la nique qu’ils font avec une évidente satisfaction aux grandes surfaces qui leur vendent très cher des légumes et des fruits de plus en plus insipides. Alors, depuis deux ou trois ans, cueillant et mettant en conserve ou en congélation leurs productions, ils poursuivent avec plus de soin et d’attention que jamais la culture de leurs « jardins-plaisir », carrés de fruits et de légumes, qui se transforment de plus en plus en « jardins-nécessite ». Ils sont nombreux à m’avoir expliqué que sans ces jardins, leurs enfants oublieraient vite le goût des fraises, des framboises et des haricots verts. Tous trop chers pour qu’ils puissent obtempérer à la propagande officielle qui leur enjoint de consommer au moins cinq légumes et fruits par jour. Et leurs jardins deviennent de vastes bourses d’échanges entre les uns et des autres, renforçant la convivialité qui a toujours caractérisé la vie ordinaire des jardiniers.

Dans toute la France, la chasse aux jardins familiaux est ouverte et tandis que des municipalités découvrent que l’ouverture de nouveaux potagers est la meilleure façon d’aider les plus démunis, les listes d’attente de ces jardins s’allongent démesurément. A Stains ils ont plus d’une centaine à espérer. Comme partout, et notamment dans la Nord et le Sud-est de la France.

Dans toute la France également, les heureux propriétaires de résidences secondaires et de maisons « de maçon » dans les banlieues, commencent à défoncer leurs gazons. Quitte à braver les interdits stupides des règlements de propriétés inventés et défendus par les nostalgiques de la « nature décor » et de l’ordre jardinier et résidentiel. A la place du gazon, sans trop se dissimuler, ils plantent des légumes, des buissons ou des arbres fruitiers. Ayant tous compris que la crise économique va donner de la valeur à ces productions jardino-potagères qu’ils ramèneront non plus en voiture –pour les résident secondaires- mais en chemin de fer comme cela se faisait autrefois. Au point, les statistiques et les enquêtes, y compris ceux des jardineries dont le chiffre d’affaires vient de dépasser les six milliards d’euros, que le pourcentage des Français ayant accès à un jardin vient de dépasser les 70 %. Y compris ceux qui, avec quelques mètres carrés cultivent les herbes aromatiques que les grandes surfaces osent proposer à douze ou quatorze euros le kilogramme. Le succès foudroyant des AMAP (association pour le maintient d’une agriculture paysanne) et des Jardins de Cocagnes qui vendent des paniers de légumes ou de fruits en employant des personnes en réinsertion est un autre indice du succès d’une autre façon de se nourrir à des coûts supportables. Et, cette année, le tonnage de l’autoconsommation de tomates, a crevé le plafond des 100 000 tonnes, chiffre qui paraissait hors d’atteinte aux spécialistes de l’INSEE ou de l’INRA.

Le jardin devient donc, pour des dizaines de millions d’habitants de ce pays, un moyen d’éviter les conséquences alimentaires les plus graves de la crise qui se noue depuis deux ans. Un phénomène qui concerne toute l’Europe et qui commence à s’étendre aux Etats Unis, notamment dans l’Ouest et dans l’Est de ce pays-continent.

Et ce qui est remarquable, dans beaucoup de ces jardins, c’est la progression des modes de culture sans produits phytosanitaires de synthése comme l’atteste la baisse de vente des substances chimiques les plus agressives. Ce bio s’impose, pour des raisons de sensibilité aux maladies liées à l’environnement trop chimiques et parce que ces potions magiques et chimiques sont de plus en plus onéreuses. Comme me l’expliquaient à Stains un maçon d’origine portugaise qui jardine depuis trente ans et un jeune comptable qui vient de se lancer dans le jardinage en constatant que ce n’est pas « si difficile que ça », « même si nous n’avions pas compris qu’il est préférable de manger sain », les prix de ces produits nous auraient imposé cette nouvelle discipline ».

Pas question certes, comme le firent quelques intellectuels irresponsables et à l’abri du besoin, dans les années 80, de proclamer « Vive la crise », mais on peut néanmoins remarquer que à quelque chose, malheur est bon...