Un premier vol de grues cendrées vient de ponctuer le ciel sans nuage qui se regarde dans la Loire. Dans un rayon de soleil, les grands oiseaux portent l’espoir du printemps. Remarque banale, mais combien réconfortante pour qui croit aux forces de la nature. Pour leur retour vers la Scandinavie et le nord de la Pologne, ces oiseaux sont en avance sur le calendrier de leur migration, signe, s’il en fallait encore un, que le réchauffement climatique n’est pas un mythe. Ces grues libres et sans frontière seront peut-être, avec d’autres oiseaux voyageant sans papier, les derniers êtres au monde à échapper aux barrières et aux murs que nous mettons en place pour endiguer nos craintes, nos angoisses et nos haines. Autour de nos pays, des nos routes, de nos trains, de nos maisons, de nos quartiers et de nos jardins ; parfois même autour de nos idées de peur que les autres nous les volent. C’est à cela que je pense ce matin avant de retourner vers la ville : faudra-t-il de plus en plus vivre dans une société aseptisée et surveillée ? Faut-il que nos parcs naturels soient simplement des oasis de propreté, nettoyées de toutes les « mauvaises herbe » ? Combien de temps résisterons nous à la société de surveillance, celle qui ira repérer grâce à Google ou toute autre Gpesserie librement consentie, le moindre brin d’herbe poussant sans autorisation du ministre de la Propreté ? Du ciel brièvement étoilé par les grues se hâtant dans le petit vent du matin, le regard passe au jardin. Autre espace de liberté où des oiseaux, des hérissons, des lapins, des musaraignes et des chats s’ébattent sans contraintes, sans police de la nature. Parcourant la France, je constate que pour un nombre grandissant de citoyens, le jardin si longtemps façonné comme un horrible « salon vert » devient un espace libéré des contraintes et de la chimie moderne. Comme une amorce de refus silencieux. Il y a quelques jours, visite incongrue, une perdrix rouge s’est affichée sur la margelle de ma fenêtre. Elle fuyait probablement les chasseurs qui brûlaient leurs dernières cartouches dans les bois qu’ils piétinent sans respect des promeneurs et en conchiant l’Europe qui, avec Natura 2000, va soustraire à leurs fureurs quelques dizaines de milliers d’hectares de plus. Une misère qui ne les empêchera pas de tirer des faisans apprivoisés à quelques kilomètres d’ici. Nouveaux chasseurs viandards qui ont tellement oublié ce qu’est la nature qu’ils ne sauraient plus, comme leurs coreligionnaires que je respecte, pister un animal ou même poser un collet et qu’il faut leur apporter à courte portée de balles ou de chevrotines, dans les bois solognots des Dassault, Bouygues, Chanel, Gandois, Seydoux et autre Bébéar. Tous symboles –et j’en oublie- des droits seigneuriaux que s’octroient le capitalisme libéral. La perdrix était peut-être aussi venue contempler mes premiers narcisses, les crocus jaune striés de noir, un crocus bleu en avance et évidemment les perce-neiges. Le même signe de printemps que celui donné par les grues cendrées : signe obstiné, signe qui porte un espoir indéracinable. Même si, dans mon mes plates-bandes, le jasmin n’a pas encore fleuri : en ce jardin et ailleurs en France, il est encore trop tôt pour que s’épanouisse ce genre de fleurs. Ou trop tard... En regardant avec regret ce jardin bucolique, en cherchant sous les feuilles, les premiers bourgeons des pivoines, en contemplant la pointe déjà rosée des fleurs de pêchers ou d’abricotiers je me demandait ce que la marionnette mécanique qui nous sert de président savait de la nature, de sa beauté, des ses frémissements et de son indiscipline indomptable. Que sait-il de ces beautés, des graines de radis et de roquette qui germent sous serre sollicités par le soleil ? Que sait-il de la tendresse à la indifférente et profonde d’un chat ? Que sait-il de la vie, que comprend-il du merveilleux désordre qui échappe à tous les (ses) ukases ? Son indifférence aux suites du Grenelle montre à quel point, comme ses ministres, il mène une vie hors-sol. Dopé au Coca d’une Amérique qui le fascine. Les espaliers et les vignes taillés, les framboisiers raccourcis, le oignons plantés, les dernières mâches récoltées, les premiers pissenlits cueillis en même temps que la ciboulette sauvage qui s’obstine dans l’herbe, je retourne à Paris en me disant que je dois encore participer au refus d’une société policée dont il invente et entretient tous les fantasmes avec un art consommé. Avec la même fureur que notre directeur Edwy Plenel mais pour des raisons et avec des moyens différents je hais ce président. Pas parce qu’il est de droite, il n’est ni le premier ni peut-être le dernier, mais parce qu’il veut « nettoyer » la France et en éliminer les « mauvaises herbes ». En oubliant qu’elles sont souvent sa richesse et que neuf otages rassemblés à TFI sous la férule d'un "journaliste" président d'honneur des fabricants de sabots ne représentent pas un pays.
Billet de blog 10 févr. 2011
Un jardin et les grues cendrées ne font pas le printemps mais...
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