La Lorraine, selon une « tradition » largement inventée par les services de communication des producteurs de cette petite prune, serait le seul biotope de la mirabelle, comme vont nous l’asséner bientôt les reportages sponsorisés par les trois grandes coopératives, aidées par un énorme « metteur en marché » de la région, qui vont en profiter pour nous les vendre plus chère que les autres. En incitant les consommateurs à croire que la « vraie » mirabelle Ne serait produite que dans cette région parce que « la mirabelle de Lorraine » bénéficie d’une « Indication Géographique Protégée » (IPG) depuis prés de quinze ans. Pour un peu les producteurs et les distributeurs lorrains, qui depuis quelques jours convoquent les journalistes pour des reportages à la gloire de leur prune, leur demanderaient de diffuser un seul message « se méfier des imitations ». Alors que l’IPG ne constitue en aucun cas une garantie de qualité ni surtout d’absence de traitements chimiques, avant ou après récolte. Le mot mirabelle n’est heureusement pas déposé, contrairement à ce que laissent entendre les chantres lorrains de ce fruit, et elle peut provenir de toute la France, aussi bonne, aussi parfumée. Mais selon les communicants de la prune kidnappées par les Lorrains, il parait même qu’il existe, comme pour les soldes, une période précise de production à respecter : six semaines à partir du 15 août. L’essentiel, comme pour beaucoup de produits, est de prétendre offrir un « plus » pour le faire payer plus cher. C’est ce qui me choque dans les abus de recours aux Indications Géographique Protégées qui ne constituent trop souvent que des méthodes (ou des tentatives) destinées à capter des marchés sans offrir la moindre garantie de qualité. Une sorte de « protectionnisme régional » dont profitent seulement les grandes surfaces et évidemment les non moins grandes coopératives qui ne sont, de plus en plus fréquemment, que des sociétés commerciales déguisées dans les conseils d’administration desquelles les agriculteurs n’ont pas voix au chapitre.
Retour à la mirabelle : les deux mirabelliers de mon jardin des bords de Loire sont donc en pleine dissidence puisqu’ils me régalent depuis deux semaines : de leurs fruits et aussi de l’odeur qui enveloppe les arbres quand les prunes commencent à éclater sous le soleil. Le moment où elles sont meilleures, mais aussi l’état dans lequel il est impossible de les commercialiser. L’Yonne et la Sologne voisines produisent déjà depuis une dizaine de jours des mirabelles bien mures et délicieuses et n’ayant voyagé qu’un minimum: elles ne sont que sur les marchés de producteurs et non pas dans les grandes surfaces où trônent depuis quelques jours d’énormes prune rouge en provenance du nord de l’Argentine. Donc, les mirabelles qui vont nous parvenir au prix fort sur les étals de supermarchés sont cueillies avant d’être mures. Comme beaucoup de fruits et de légumes. Qu’ils proviennent du fin fond de l’Espagne, des Pays-Bas ou du sud de la France quand on est dans le Nord. Les consommateurs sont toujours invités à marcher sur la tête et hier, dans un Carrefour, j’ai répertorié quatre variétés de pommes en provenance du Chili et d’Argentine. Avec du raisin en provenance d’Afrique du Sud. Le fruit voyageur est à la mode. Souvent parce que personne ne regarde les étiquettes ou ne se demande pourquoi la majorité des tomates sont uniformément rouges ; explication : même à cette époque elles sont produites en serre ou mûries artificiellement après cueillette.
. La tradition de Lorraine situe l’origine de la mirabelle en Chine. Mais rien n’est moins certain. Il suffit de se promener dans le Caucase ou sur les flancs des premières pentes des montagnes du Tadjikistan pour découvrir des pruniers sauvages qui donnent des fruits qui ressemblent furieusement, aspect et goût, aux mirabelles. Parfois à d’autres prunes, les reine-claude, par exemple. Il est probable que des plants ou des noyaux de ces pruniers, notamment les mirabelles, ont été ramené en France, au tout début du XVIII éme siécle par le naturaliste français Joseph Piton de Tournefort qui était tombé amoureux du Caucase au cours de l’un de ses voyages aux confins de l’Europe et de l’Asie, voyages qui l’amenèrent à visiter l’Azerbaïdjan et ce qui est aujourd’hui l’Arménie. La légende des naturalistes affirme d’ailleurs que non seulement il ne tomba pas seulement amoureux des pays mais qu’en plus il ramena des herbes odorantes de ses pérégrinations...
Mais, en Lorraine, comme il faut cultiver les légendes pour asseoir le commerce, on préfère expliquer que les premiers arbres auraient été rapportés d’une croisade au 15e siècle par le Duc d’Anjou et de Lorraine, René 1er. Un seul problème : à cette époque, les croisades orientales étaient terminées depuis deux siècles. Donc l’origine est à peu prés aussi mystérieuse que son nom qui serait dérivée d’un mot latin mirabilis, qui signifierait « belle à voir ». On raconte aussi qu’elle aurait été baptisée par un fonctionnaire lorrain se nommant Mirabel dans le courant du XV éme siécle. A une époque où il n’y en avait pas en Lorraine. La logique historique ne fait pas toujours bon ménage avec la logique commerciale...D’autant plus que les distillateurs n’utilisent les mirabelles que depuis la fin du XIX ème siècle et que la fameuse « fête traditionnelle » de la prune naturalisée lorraine n’est célébrée à Metz que depuis 1947.
Mais, pour écouler une production annuelle de 40 000 tonnes au prix fort, il faut bien arranger un peu l’Histoire...