Vendredi 11 juin. Il est 20 h 30, la lumière baisse sur le jardin, l’air est approche de cet instant appelé entre chien et loup parce qu’au Moyen Age et encore maintenant hélas, c’est le moment où tout le monde, la peur étant attisée par l’Eglise qui en faisait un diable porteur de tous les péchés, confondait les chiens avec le loup. Un loup qui reviendra un jour en Berry. Au bord du jardin, illuminant un mur, un rosier grimpant bouturé d’après une vieille variété inconnue trouvée dans un jardin abandonné, envoie ses parfums du soir, plus entêtants encore que ceux du matin. L’orage ayant le mauvais goût de se détourner de mon jardin, l’eau perle doucement d’un tuyau au pied des tomates, des concombres, des poivrons, des piments de Cayenne, des aubergines et de poivrons, puisée dans le puits relié à la nappe de la Loire. Douceurs et silence. Les cerises, les premières, sont noires comme l’orage au loin, et j’aurais fini de les cueillir avant la nuit car elles ne résisteraient pas à la chaleur du lendemain, mes doigts noircis en témoignent. Pendus aux branches, les CD de Carla Bruni, de Florent Pagny et de bien d’autres chanteurs fauteurs de pluie, ont suffisamment éloigné les merles et les étourneaux gourmands. Tout au moins, ils se contentent des cerises qui ornent les branches supérieures, celles que je ne veux même pas tenter d’attraper car, c’est bien connu dans les campagnes, les jardiniers interrompent souvent prématurément leurs existences en chutant lourdement depuis leurs cerisiers. Et puis, c’est un principe, dans un jardin et dans la nature il faut savoir partager... Longue soirée d’un printemps finissant qui pourrait être l’été, en attendant que d’autres cerisiers (ah les petites anglaises !) se décident à me faire plaisir. Le soleil couchant joue à travers les feuilles des tilleuls dont les fruits qui tournent au bout des branches rappellent qu’il va falloir cueillir les tisanes de l’hiver. Un peu plus loin, stimulée par les pluies des derniers jours, les menthes se poussent du col et envoie des parfums plus forts. Pour la glycine, la fin de la saison est proche et je coupe les dernières grappes en espérant une seconde floraison estivale. Les glycines acclimatées en Europe, viennent d’Asie mais leur nom scientifique, Wisteria, a été forgé aux Etats-Unis par les naturalistes pour honorer un professeur de Pennsylvanie, Caspard Wistar qui en découvrit une espèce américaine. Pour embaumer et orner nos jardins et maisons, nous avons le choix entre Wisteria Floribunda la japonaise et Wisteria sinensis, la chinoise. Différences essentielles : la première s’enroule de gauche à droite, la seconde de droite à gauche et elle est beaucoup plus parfumée. Les deux dépassent allègrement le siécle. Plus elles sont vieilles, plus elles donnent de fleurs, y compris une seconde fois à la fin de l’été. La glycine est une liane qui non seulement peut projeter ses branches à une dizaine de mètres du pied si on la laisse faire mais qui développe une telle force qu’elle peut casser des tonnelles de bois et tordre peu à peu des clôtures ou des grillages et fer. Il en survit en France qui datent de sa première acclimatation, remontant au début du XIX éme siécle. J’en connais, dans des jardinets rescapés du passé du XX ème arrondissement, qui affichent allègrement leurs deux siècles. Pas d’acclimation pour la lavande simplement passée au XIX éme siécle des espaces sauvages où les bergers et les enfants de Provence la récoltaient, aux champs des parfumeurs et aux jardins. Son parfum aérien est léger mais se développe quand on froisse les fleurs justes séchées avant de les serrer dans des petits sacs en tissus avec lesquels on peut parfumer les armoires et les tiroirs. Aujourd’hui, le long du mur qui les réchauffe, elles commencent à bleuir. Plus entêtant et immédiatement perceptible, le parfum qui se dégage des dernières giroflées, une plante d’origine méditerranéenne qui pousse partout en France et dont les fleurs peuvent être jaunes, brunes ou orange. Leur fragrance très douce en fait une espèce à planter prés de la maison ou sur un balcon. Pour la surprise du matin quand on met le nez dehors ou à la fenêtre. Cette fleur orne aussi le refrain d’une chanson anti-nazie de Rosa Holt (Giroflée, girofla…) rendue célèbre par Yves Montand dans les années 50 mais qui a avait été créée à Paris en 1937, avec un parfum de révolution...Comme le muguet du premier mai qui parfume le jardin au ras du sol avant de se faire oublier pour un an: en une dizaine d’années, quelques pieds dessine un parterre de plusieurs mètres carrés. Autre promesse de jardin parfumé : le jasmin dont le nom provient de l’arabe qui l’avait emprunté au persan. Parfum donc à condition de choisir le jasmin blanc, Jasminum polyanthum, originaire de la province du Yunnan en Chine : il fleurit très tôt et il faut lui réserver un espace à l’abri du vent car il résiste mal à une température inférieure à -15°. Ce qui, avec le réchauffement climatique, laisse une marge de plus en plus importante. Son concurrent en parfum très « sucré », le chèvrefeuille grimpant, Lonicera japonica, à planter le pied à l’ombre et la tête au grand soleil : il convient à tous les jardins sauf pour ceux qui élèvent des chèvres. Car, son nom l’indique clairement, elles en sont absolument folles, ce qui explique leur affection pour les haies naturelles et forestières où pousse le chèvrefeuille rustique. Le troène figure évidemment dans tous les souvenirs de campagne parfumés car le Ligastrum janandrum, le plus florifère, a été depuis très longtemps importé du Japon et de Corée pour constituer nos haies. Comme le seringat qui libère pendant des semaines une senteur tenace de fleur d’oranger. Dans le langage des fleurs, le seringat est le symbole de la mémoire, ce qui explique peut-être que l’on se souvienne si longtemps de son parfum tenace qui déborde du jardin. En fait, jetant un coup d’oeil au jardin avant de rentrer doucement, je constate que la plupart des fleurs et des légumes sont des migrants venus de l’étranger... Tandis que le jour continue de baisser, je ne me lasse pas des fleurs que je discerne de moins en moins mais que je sens, des fruits picorées et des senteurs qui se marient en survolant les herbes. De nouvelles fraises encore plus douces que celles de la semaine dernière, se distinguent, comme de faibles feux rouges, sous l’ombre du noyer. En juin, un jardin vit des parfums qui disparaissent et de ceux qui apparaissent, des goûts qui paraissent ne jamais être les mêmes d’un année sur l’autre. Un privilège qui se respire après une semaine de Paris. Surtout quand les oiseaux organisent leur fête roucoulante du soir, indifférents, eux aussi, à ce qui se passe au Cap. Il est 22 h 30, maintenant, le moment idéal pour rentrer déguster non pas une pizza surgelée mondialisée mais une salade parfumée à la roquette et à la coriandre. Et arrosée d’un Coteaux du Giennois bio...
Billet de blog 11 juin 2010
Entre jardin et foot, il n'y a pas photo...
Vendredi 11 juin. Il est 20 h 30, la lumière baisse sur le jardin, l’air est approche de cet instant appelé entre chien et loup parce qu’au Moyen Age et encore maintenant hélas, c’est le moment où tout le monde, la peur étant attisée par l’Eglise qui en faisait un diable porteur de tous les péchés, confondait les chiens avec le loup.