Claude-Marie Vadrot

JOURNALISTE PROFESSIONNEL

Journaliste à Mediapart

167 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 avril 2013

Claude-Marie Vadrot

JOURNALISTE PROFESSIONNEL

Journaliste à Mediapart

Au jardin et en politique: le temps des tomates

Claude-Marie Vadrot

JOURNALISTE PROFESSIONNEL

Journaliste à Mediapart

Si le tonnage des tomates produites et vendues en France diminue régulièrement depuis quelques années, ce n’est pas la faute, contrairement aux récriminations des producteurs agro-industriels, de l’Espagne, du Maroc, de l’Italie ou des Pays-Bas. Simplement les Français en produisent de plus en plus dans leur jardin, sur leurs terrasses, leurs balcons voire accrochées dans quelques pots sur les appuis de fenêtres.

Production estimée à une centaine de milliers de tonnes par an. Chiffre à comparer avec une mise sur le marché supérieure à un million de tonnes : 600 000 poussant en France et 520 000 en provenance de l’étranger, y compris de Chine, de loin le plus gros producteur du monde. Comme les traditions se perdent, les quantités de tomates lancées sur les scènes de théâtre et en direction des hommes et femmes politiques sont devenues négligeables. L’habitude de les balancer sur les acteurs ou les chanteurs déplaisant au public a été prise au milieu du XIX ème siècle. Les spectateurs ont longtemps eu recours aux pommes cuites pour manifester leur mécontentement dans les théâtres populaires, ce qui ne coutait pas cher ; mais des insatisfaits plus riches ont pris l’habitude d’utiliser les tomates bien mures pour s’exprimer dans certaines représentations d’opéras. Puis, sauf en Italie, la tradition s’est peu à peu étiolée. Même évolution pour les politiques puisque le dernier politicien ayant fait l’objet d’un bombardement tomaté, à ma connaissance, parait être le Président du Conseil Guy Mollet le 6 février 1956 dans les rues d’Alger. Il le méritait assez largement. Mais depuis, pourtant, d’autres politiques méritant ont attendu en vain. En ce début de saison, il y a de quoi faire avec les tomates insipides proposées et beaucoup de politiques nécessiteux. Le retour du lancer de tomates ne déséquilibrerait pas la production française et nous ferait rire. Un peu… Celles vendues en d’autres saisons pourraient aussi satisfaire cet usage ludique, car en général aussi « belles » qu’immangeables. Première explication : les trois quart de la production française poussent sous serres et sous perfusions chimiques, d’où leur remarquable absence de saveur. Deuxième explication : les nouvelles variétés sont conçues par des agro-industriels ne s’intéressant qu’à leur aspect ou à leurs facultés de murir après la cueillette et de résister aux chocs des transports. D’où, encore, leur fascinante absence de gouts et de personnalité, qu’elles soient énormes ou cerises de toutes les couleurs. Des tomates à des années lumière de celles qui furent découvertes au Pérou et en Bolivie au XVI ème siècle… Les Espagnols puis les Italiens furent les premiers à accueillir avec enthousiasme cette belle américaine venue des Andes. Tandis que les naturalistes français, hollandais et allemands chipotaient, hésitant à la goûter, craignant de s’empoisonner avec ce fruit, les Italiens adoptaient « le pomo d’amore », nom qui lui resta de l’autre côté des Alpes jusqu’au début du XX éme siècle. Ils se moquaient qu’un voyageur (français) du XVI éme siècle l’ait baptisé « pomme malsaine » en affirmant qu’elle pouvait empoisonner ceux qui la consommaient. Préjugé qui perdura en France jusqu’à la fin de XVIII ème. Le fruit inca découvert dans les jardins d’altitude mis à sac par les Conquistadores, notamment sur les pentes du Machu Picchu et à Cuzco, était minuscule, « rouge comme une cerise », goûteuse, acide ou très pimentée. Elle existe toujours, je l’ai dégustée à plusieurs reprises sur les hauts plateaux boliviens où elle pousse librement en se trainant sur le sol. Cette tomate fut transformée, améliorée, grossie pendant des siècles avant que nos agronomes réinventent à grands frais, sans rire et comme une prouesse, la tomate cerise qui n’est rien d’autre que la tomate d’origine. J’en ai même semé et ressemé en mon jardin de Loire et, sans vouloir faire de peine aux savants obtenteurs, je dois dire qu’elle est meilleure que leurs patientes redécouvertes. Le cheminement des plantes volées à l’Amérique n’étant jamais simple, on ne sait plus trop aujourd’hui si c’est la tomate des Andes ou celle déjà améliorée par les Aztèques qui parvint la première en Europe. Le nom tomate, finalement adopté par de nombreux pays européens dés la fin du XVI éme siècle, viendrait de l’appellation aztèque « tumatle ». Avant qu’en 1750, le naturaliste suédois Linné, l’enragé de la classification, lui donne un de ces noms latins qui consacre l’entrée d’une plante dans le Panthéon des espèces : Solanum lycopersicum. Ce qui rappelait son appartenance à la famille des solanacées, comprenant des plantes vénéneuses. Les Italiens, sans attendre Linné, avaient commencé à les accommoder et à les manger à toutes les sauces. Ils pensaient que, ressemblant à la mandragore, elle possédait des vertus aphrodisiaques. Ce qui n’est certainement pas le cas de gros fruits insipides mûris en cageots voyageurs que l’on nous vend aujourd’hui. Les tomates ont débarqué en France, apportées puis popularisées, sous la Révolution par des sans culottes venus de la région de Marseille. Graines en poche à tout hasard, ils réclamaient dans toutes les gargotes qu’on leur serve leur fruit favori. Car depuis quelques années, la tomate avait gagné Marseille depuis l’Italie en passant par Nice. Elles avaient faut auparavant une discrète apparition dans le catalogue Vilmorin de 1760…mais comme plante ornementale… La tomate se cultive facilement : du jardin à la fenêtre ; tout comme il est facile de faire ses semis pour éviter les plants dopés des jardineries. Ensuite, il suffit d’oublier les ratiocinages sur le mildiou et les maladies diverses. Un pied touché ? On coupe les tiges affectés et cela repart ; ou bien on fiche en terre une branche saine, on l’arrose et on obtient un nouveau pied ; avec une récolte un peu plus tardive. Les graines ? Si on évite les variétés hybrides, il suffit d’en extraire d’une ou deux tomates, de les mettre dans un peu d’eau ; et quand une moisissure apparait au bout de deux ou trois jours, on passe, on lave et on sèche et le semis est prêt pour l’année suivante. Sans oublier que, comme en Afrique ou en Amérique Latine, vous pouvez choisir de laisser la tomate courir sur le sol plutôt que de l’attacher à un tuteur. On dit aussi qu’il faut tailler, mais bof, si vous oubliez ou avez la flemme, le résultat ne sera guère différent, la tomate maison est bonne fille et elle est toujours meilleure et plus efficace pour la santé que celle du commerce. Dernière question : la tomate est-elle un fruit ou un légume ? Elle mérite notamment d’être posée pour les variétés transgéniques qui envahissent les Etats Unis depuis le milieu des années 90… (À suivre…)