Un rapide sondage aléatoire mené dans mon jardin du 11 novembre confirme qu’en cette saison pendant laquelle le jardinier lève un peu le pied pour pouvoir voyager et visiter des jardins exotiques, les espèces les plus résistantes en profitent pour pousser un peu n’importe comment, se dégageant plus ou moins adroitement des autres et se livrant à une compétition féroce. Quitte, au moins provisoirement, à en étouffer d’autres. Une lutte sévère et mortifère dont l’issue n’est jamais écrite à l’avance. Le lierre, par exemple, lance ses dernières lianes pour masquer les blessures d’un arbre, d’une maison. Comme les dernières grandes capucines qui ont échappé au gel avec leurs fleurs rouges. Elles font encore illusion face à l’automne qui préfigure l’hiver. Et dans l’herbe, la plupart des derniers fruits de l’été pourrissent : sans doute parce, depuis le printemps illusoire, ils n’ont en fait jamais été vraiment sains. Bien entendu, les feuilles mortes se ramassent à la pelle et leurs odeurs mouillées entêtantes cachent qu’elles sont aussi en train de pourrir. Parfois pour nourrir la terre exsangue. Il faut donc éviter de les ramasser, sinon pour les épandre ailleurs. En évitant soigneusement de conserver celles qui tombent des arbres malades, de crainte qu’elles ne propagent des maladies contre lesquelles on ne pourrait lutter qu’avec des armes de destruction massive, des remèdes de cheval susceptible de tuer l’essentiel du jardin. D’ailleurs, plus elles tombent et jonchent le sol, ces feuilles perdues, plus le jardinier commence à voir clair sur les blessures longtemps cachées des arbres. Brusquement, par exemple, il est possible de découvrir à quel point certains troncs que l’on pensait vaillants, sont atteints et donc fragiles, incapables de donner des fruits pendant plusieurs années alors que le jardinier attribuait leur stérilité à des gels précoces. Arbres menacés par une pourriture à coeur que révèlent le vent qui souffle fort et les pluies qui lessivent tout. Automne à la fois fatal par le découragement qu’il peut susciter et encourageant pour de nouveaux arbres mieux adaptés au terrain. Et parce qu’il faut rajeunir, se passer des récoltes des arbres vieillissant auxquels il est temps d’accorder la retraite qu’ils méritent parce qu’ils sont terriblement fatigués par de nombreuses récoltes. Cette période de remaniement du jardin est aussi celui des boutures à mettre en terre pour quelques plantes, les exotiques et les autres, boutures dont le jardinier de verra qu’au printemps si elles ont fait souche. Au sortir de l’été déjà lointain il est facile de constater qu’un certain nombre de greffes anciennes n’ont pas pris et qu’il va falloir recommencer au printemps ou l’été prochain. Ce n’est pas une raison suffisante pour remettre en cause toute l’écologie du jardin. Car lorsque l’on chasse le naturel, c’est bien connu, il revient au galop. C’est aussi le moment de constater, mais il reste bien entendu qu’il ne s’agit que de mon jardin des bords de Loire, qu’il ne reste plus au potager que des légumes résistants, les légumes traditionnels. Les navets, les carottes ou les vieilles citrouilles qui ne se sont pas transformée en carrosses, par exemple. Et également les rutabagas et les topinambours réservés aux temps les plus difficile. Alors que cette année, les choux de Bruxelles ne sont pas terribles, minés par de trop nombreux parasites. Parce que la terre a des réalités que le jardinier s’obstine parfois à oublier saisi par la passion malsaine des nouveautés, une bonne partie des variétés modernes présentées à grands renforts de communication par les nouveaux apôtres du jardinage de rupture, sont tout simplement en train de crever. Il va falloir élaguer, couper et surtout jeter. Bref concevoir dans les mêmes carrés et le même verger un nouveau jardin dont on ne saura guère avant le printemps ou l’été de 2012 s’il tient les promesses des catalogues vantés dans les gazettes spécialisées. Curieusement, à l’orée du jardin, malgré les premiers frimas, la pluie et le vent, une belle rose a décidé de fleurir. Elle est plus rouge que rose. Mais le vent souffle avec une telle force en cet après midi du 12 novembre, que je crains qu’elle ne parvienne pas à résister, bien que le vieux rosier qui s’obstine ait été planté en 1982. Grâce au rayon de soleil surgit des nuages qui cavalent dans le ciel et illuminent brusquement la rose, je le trouve plus beau que jamais mon jardin. En automne, un jardin ne vit que d’espoir. Le jardinier presque impuissant ne peut qu’attendre des jours meilleurs tandis que les écologistes des villes se réunissent à Lyon en pensant faire une nouvelle soupe dans un vieux pot. Un jour, peut-être, les écolos auront la bonne idée de se réunir à la campagne et non pas dans le béton.
Billet de blog 12 novembre 2010