Jardiner peut être un art, une passion, un dérivatif, un refus du monde, un retour plus ou moins complexe vers la nature, une bonne occasion de manger bio, une façon de subsister ou une opportunité pour survivre dans un monde difficile. Ou tout cela à la fois. Un peu.
Le jardin offre un univers toujours passionnant. Minuscule et accroché à un appui de fenêtre, modeste sur un balcon ou une terrasse, jardinet, grand jardin de banlieue ou de province, jardin reculé et sauvage de Gilles Clément, il donne beaucoup de rêve en échange d’un peu de travail ou d’imagination.
Autrefois complément traditionnel des fermes et placé sous la responsabilité des femmes, le jardin « utile » a surgit dans le paysage urbain et péri-urbain à la fin du XIX éme siècle. Quand l’abbé Lemire, natif d’Hazebrouck et plus tard député démocrate-chrétien, inventa en 1896, dans les corons du Nord le « jardin ouvrier » et créa la Ligue du coin de terre et du foyer qui existe toujours. Petit carré de terre austère tracé au cordeau derrière la maison essentiellement voué aux légumes, privé de la douceur des fruits et destiné à tenir le chef de famille « hors des estaminets le dimanche et de l’emprise des syndicats». Des espaces de culture uniformes et sévères, prolongement rigoureux de l’usine ou de la mine. Ayant été glorifiés sous Pétain pour cause de pénuries et d’idéologie puisque « la terre ne ment pas » et officiellement appelés « jardins familiaux » depuis la loi du 26 juillet 1952 qui a consacré leur existence, le jardin fait la liaison entre la ville et l’espace rural déserté et s’est dépouillée de ses oripeaux politiques.
Ils étaient 655 à être affiliés à la Ligue en 1899, ils sont aujourd’hui plus d’une centaine de milliers ; sans compter les jardins qui ne dépendent que des municipalités, comme ceux mis en place à Montreuil prés des anciens « murs à pêchers » de cette banlieue.Ces jardins familiaux sont encore, majoritairement, loin du « jardin de curé » discret et fleuri qui inspira peut-être l’abbé Lemire dans ses prières sociales, loin du « jardin anglais » foisonnant et sympathique, mêlant fleurs et comestibles, et encore bien plus loin du « jardin russe » dont les (désormais) propriétaires ont toujours renoncé, pendant et après le communisme, à contenir plus que nécessaire l’expansionnisme des ronces, orties et autres herbes envahissantes. Comme s’ils savaient depuis longtemps, que la nature apprécie de ne pas être censurée. Il y a enfin, à Paris, dans de nombreuses villes et banlieue, les jardins qui sont dits « partagés » parce qu’ils représentent autant un lieu de rencontre entre voisins que de culture. Tous ces jardins passionnent aujourd’hui 60 % des Français comme le rappelle le fantastique essor des jardineries où l’on vend n’importe quoi, et beaucoup trop de produit plus nocifs que ceux que les écologistes reprochent aux agriculteurs
De ces jardins, fouillis et vergers, qui produisent sans trop de peine ni de soucis même quand on les oublie quelques semaines, de ces jardins qui éloignent des familles des affres du pouvoir d’achat, des légumes, des fleurs et des fruits que l’on croit d’ici alors qu’ils sont venus d’ailleurs en de superbes voyages et histoires, mais aussi du jardin avec lequel j’entretiens des rapports compliquées depuis trente ans sur les bords de Loire, à 140 kilomètres de Paris, et enfin de mes quatre fenêtres parisiennes, je tirerais chaque semaine quelques conseils ou quelques réflexions nés de mes réussites, de mes échecs et de mes émerveillements. Mais surtout, souvenirs de centaines de voyages et de découvertes jardinières à travers le monde, de marches à travers des vallées et des montagnes d’où surgirent les premiers pruniers ou les tulipes sauvages, de longues errances dans les altiplanos d’où jaillirent les premières tomates ou les pommes de terre sauvages, je retracerais, au gré des saisons, le destin des fleurs, des légumes et des fruits et des naturalistes fous ou aventureux qui les ont fait voyager vers l’Europe ou la France. Un jardin est toujours le terme, le début ou la promesse d’une aventure. Comme celle, tragique, qui aboutit à l’assassinat dans le Bois de Boulogne du naturaliste qui ramena les premières tulipes de Turquie parce qu’on le jalousait d’être sur le point de faire fortune ; ou celle qui vit un autre pionnier des plantes garder, les armes à la main, dans la dunette d’un bateau des précieux plants de fraisiers que les marins furieux de la soif au milieu d’un océan, voulaient l’empêcher d’arroser.
En mon jardin de Loire, cette semaine, comme je l’ai vu faire l’année dernière par un ami d’Irkoutsk sur ses cerisiers de Sibérie dont j’ai importé un pied dans le Loiret où il donne aussi des cerises jaunes, et s’il ne pleut pas et après avoir passé à la brosse de chiendent l’écorce de son ou ses arbres fruitiers, j’offrirais à mes arbres un badigeonnage de leurs troncs, avec un gros pinceau, au lait de chaux. Ce qui permettra au jardin d’avoir des airs de verger d’autrefois. Une façon comme une autre d’évoquer les vergers normands en train de disparaître et dont les espèces anciennes finissent de se dissoudre dans des « vergers conservatoires » -quel horrible mot- qui ressemblent à une antichambre de leur mort programmée. Ce produit, désormais vendu sous le nom de « blanc arboricole », c’est tout simplement de la chaux éteinte, c’est à dire neutralisée avec de l’eau et se présentant comme une peinture. Elle sera au moins aussi efficace que de nombreux produits toxiques pour lutter contre les parasites de plus en plus nombreux à se lancer à l’assaut des récoltes pour cause d’hivers trop doux. Et s’il en reste, une application sur les murs de la cave permettra de limiter, par exemple, le nombre des araignées et des insectes qui y courent autour des pommes qu’il faut commencer à trier sur les claies pour en profiter jusqu’au printemps.
Claude-Marie Vadrot