Claude-Marie Vadrot

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Billet de blog 14 octobre 2008

Claude-Marie Vadrot

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Faudra-il un jour manger des bégonias, du crocodile ou de l'élephant pour survivre ?

Après les jardins de crise, soyons un peu plus léger même si nous devons nous demander si, un jour, il ne faudra pas faire feu de tout bois et de tout aliment pour survivre...

Claude-Marie Vadrot

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Après les jardins de crise, soyons un peu plus léger même si nous devons nous demander si, un jour, il ne faudra pas faire feu de tout bois et de tout aliment pour survivre...

« Les bégonias au jus ont la plus grande analogie avec l’oseille. Ce nouveau légume est peut-être plus acide encore que l’oseille. S’il était plus abondant, il serait à recommander en ce moment plus que jamais ». Ainsi s’exprimait le 17 novembre 1870 Albert Geoffroy Saint-Hilaire à l’issue du « repas de siége » organisé par Anatole de Grandmont, un médecin, de la Société Impériale zoologique et d’acclimatation, association devenue plus tard la Société nationale de Protection de la nature ;pour montrer que pendant le siége de Paris par les troupes allemandes il existait des moyens de combattre efficacement la faim qui gagnait peu à peu tous les Parisiens. Un repas « exotique » qui fut ensuite célébré chaque année par cette société mais dont l’habitude en fut un jour perdu alors que l’on consomme aujourd’hui couramment les escalopes d’autruche qui en fit, avec d’autres mets, le « charme » un peu particulier avec le crocodile cuit au four et les orties en soupe.

Les Bégonias au jus qui accompagnait des brochettes de foie de chien à la maître d’hôtel, un civet de chat aux champignons et un salmis de rats sauce Robert avaient été préparés par un grand Chef de cuisine qui avait auparavant les éléphants du jardin d’Acclimatation du Bois de Boulogne. Nécessité faisait loi pendant la famine du siége des Allemands et de la Commune qui suivit. Cette année là les Parisiens mangèrent donc également quelques animaux exotiques du Bois de Boulogne : la plupart allaient mourir de faim eux aussi, faute de foin. Les journaux de l’époque racontent qu’il n’y eut pas d’engouement populaire pour la consommation de chats, de chiens et de rats et qu’il n’y eut pas d’éléphant pour tout le monde, mais que, par contre, les Parisiens se précipitèrent sur leurs bégonias dont on ne consomma pas le tubercule mais les tiges et les feuilles avant que surgisse l’hiver…

Je n’ai pas encore essayé le bégonia comme légume, au jus ou autrement, mais je tiens d’un naturaliste du Muséum que je pourrais le faire sans risquer un empoisonnement. Surtout en choisissant begonia semperflorens, et en préférant la fleur qui est parfaite en mélange avec une salade de fruit ou dans un yaourt sucré. Faute de coloniser les tables,leurs mille et quelques espèces ont conquis à la fois les jardins, les balcons et l’intérieur des appartements ou certaines espèces se plaisent bien pourvu qu’on leur fasse prendre l’air, et non pas le soleil, pendant l’été. Cette fleur rapportée sans nom fut baptisée à son arrivée en France en l’honneur d’un intendant de la ville de Rochefort, Michel Bégon, qui, à la fin du XVII éme siècle, envoya un prêtre-botaniste nommé Plumier herboriser aux Antilles. Le bon père en rapporta une belle récolte dont une fleur superbe que l’on nomma « bégonia » en l’honneur de l’Intendant. Un homme dont la passion était la botanique et dont la mission fut de construire la ville qu’il administrait. Ce qui explique qu’existe désormais à Rochefort un Conservatoire du Bégonia. Rue Plumier, évidemment…

Le père Plumier tricha un peu avec la vérité car, en fait, la fleur prestement nommée bégonia qu’il rapporta des Antilles, était en fait originaire du Brésil d’où il avait déjà été importé. Mais on lui accorderal’absolution car il n’est pas impossible qu’il l’ait ignoré cette première importation un siècle auparavant. D’autant plus que d’autres bégonias nous sont arrivés du Moyen Orient, notamment des rives de la Mer Rouge et de la Mésopotamie. Au XIX éme siècle, avant le fameux repas, les jardiniers croisèrent et recroisèrent tant les bégonias qu’on ne sait plus guère aujourd’hui d’où proviennent ceux qui nous fleurissent. Une certitude : il existe des bégonias d’intérieur que l’on aime pour leurs feuilles, comme bégonia Rex ou bégonia Croix de Fer ou bien pour leur longue floraison comme le bégonia Gloire de Lorraine ou des bégonias semperflorens dont il existe quelques dizaines de variétés. Les bégonias d’intérieur n’ont pas oublié leurs origines puisqu’ils conservent leurs feuilles toute l’année mais ne supportent pas une température inférieure à 15°. Et sont comestibles. Même s’il se souvient un peu moins de ses origines tropicales il ne faut pas oublier qu’il ne supporte absolument pas des températures inférieures à 5°.

Il ne reste plus qu’à avoir une pensée, après avoir croqué les dernières tiges, pour le poète Robert Desnos qui célébra ainsi cette plante dans ses chantefables…

Le bégogo, le bégonia

Va au papa

Va au palais

Boit du Tafa, boit du tafia

Prend le baba, prend le balai

Aimable Bégonia ,

Délicieux ratafia,

Semons le bégonia.

Le poème n’est pas absurde car, en plus, de nombreuses espèces de bégonia peuvent se semer.