Dans un mois, aunord de la Loire, les premières tomates, celles qui ne doivent rien aux artifices des serres et aux perfusions d’engrais et de pesticides, seront mures : les Français, en leur jardins, en produisent plus de 80 000 tonnes qui échappent à l’artificialisation de lanature et aux supermarchés. Les Italiens et les Espagnols furent les premiers à accueillir avec enthousiasme cette belle mais minuscule américaine venue des Andes. Tandis que les naturalistes français, hollandais et allemands chipotaient, hésitant à la goûter, craignant de s’empoisonner avec ce fruit, les Italiens adoptaient « le pomo d’amore », nom qui lui resta de l’autre côté des Alpes jusqu’au début du XX éme siècle. Ils se moquaient qu’un voyageur du XVI éme siècle l’ait nommé « pomme malsaine », tout en la rapportant vers l’Europe du Pérou où il l’avait trouvée.
Le fruit inca découvert dans les jardins d’altitude mis à sac par les Conquistadores espagnols, notamment sur les pentes du Machu Picchu et à Cuzco, était minuscule, « rouge comme une cerise » et aussi goûteuse qu’acide et légèrement sucrée. La tomate fut transformée, améliorée, grossie pendant des siècles avant que nos jardiniers et agronomes nous ré-inventent à grands frais, sans rire et comme une prouesse, la tomate cerise qui n’est rien d’autre que la tomate d’origine.
Je me souviens en avoir grappillé, toujours sauvages et rampant sur le sol, dans la montagne péruvienne, face au Machu Pichu et encore plus haut sur l’altiplano bolivien. J’en ai même semé et ressemé en mon jardin de Loire et, sans vouloir faire de peine aux savants obtenteurs, je dois dire qu’elle est meilleure que leurs patientes redécouvertes.
Comme le cheminement des plantes volées à l’Amérique n’est jamais simple, on nesait plus trop aujourd’hui si c’est la tomate des Andes ou celle déjà améliorée par les Aztèques au Mexique, qui parvint la première en Europe. Le nom tomate, finalement adopté par de nombreux pays européens dés la fin du XVI éme siècle, viendrait de l’appellation aztèque « tumatle ».
Avant qu’un jour de 1750, le naturaliste suédois Linné, l’enragé de la classification écouté par toute l’Europe, lui donne enfin, sans l’avoir goûté, un de ces noms latins qui consacrait l’entrée d’une plante dans le Panthéon des espèces : Solanum lycopersicum. Ce qui rappelait à tous les lettrés que l’espèce appartenait à une famille végétale, les solanacées, comprenant des plantes vénéneuses. Les Italiens, sans attendre Linné, avaient commencé à les accommoder et à les manger à toutes les sauces.
On raconte qu’ils pensaient que, ressemblant (vaguement) à la mandragore, la« pomme d’amour » possédaient des vertus aphrodisiaques. Ce qui n’est certainement pas le cas de gros fruits insipides mûris en cageots voyageurs que l’on nous vend souvent aujourd’hui. Les autres non plus, d’ailleurs.
Olivier de Serres, plus inspiré sur d’autres plantes et légumes, expliquait au début du XVII éme siècle dans son Traité de l’Agriculture, que la tomate était malsaine mais pouvait décorer agréablement un jardin. La Quintinie, le maître jardinier de Louis XIV qui inventa la tailles et greffes des arbres fruitiers dans le Potager du Roi, la craignant ou la dédaignant, ne l’accueillit jamais en son jardin royal où le roi soleil s’initiait au jardinage. Il fallut attendre en France, la fin du XVII éme siècle, pour que les tomates, déjà plurielles en variétés, apparaissent dans les jardins et sur les tables, envoyées par le sud du pays.
Probablement non pas apportée mais au moins popularisée sous la Révolution par des sans culottes venus de la région de Marseille. Graines en poche à tout hasard, ils réclamaient dans toutes les gargotes qu’on leur serve leur fruit favori depuis quelques années. La tomate avait gagné Marseille depuis l’Italie en passant par Nice.
En France et dans les pays plus nordiques, la grande aventure de la tomate commence finalement au début du XIX éme siècle, mais il fallut attendre les années 20 du XX éme siècle pour que ce fruit-légume commence à servir d’indice de mécontentement dans les théâtres parisiens, ceux des grands boulevards, notamment. Il y avait déjà le choix puisqu’une centaine de variétés était alors identifiée. En 2005, le chiffre a largement dépassé 1500. De quoi satisfaire les centaines de millions de terriens qui en consomment chaque année environ 80 millions de tonnes.
Avec un net fléchissement en France depuis quelques années. Tout simplement parce que la production familiale est en progression constante, les jardiniers amateurs ayant compris que même avec quelques mètres carrés de jardin ils pouvaient faire meilleur que la production agro-industrielle de plus en plus dégradée.
Quelles variétés ? Chacun son goût et son choix. Le mien se porte sur la tomate cerise, jaune ou rouge, et la mini-tomate jaune en forme poire. Comme amuse-gueule. Ensuite, pour la sauce et pour faire sécher au soleil, les tomates olivettes, Roma ou Prince Borghèse. Je cultive aussi la Cœur de bœuf pour ses gros fruits, la Cornue andine, toute en longueur, pour la faire sécher, parce qu’elle est délicieuse et que sa forme amuse, la Saint-Pierre, la Montfavet précoce, la Russe pour faire d’énormes tomates farcies et l’Evergreen parce que restant toujours verte elle décore (avec goût) les salades.
Avec deux rappels : la culture des tomates est l’une des plus faciles et que les Incas sont à remercier de nous avoir prêté celle que les premiers conquistadores, signalait le botaniste Alphonse de Candolle au XIX éme siécle, appelait Malan peruviana ou Pomi del Péru.