Claude-Marie Vadrot

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Billet de blog 18 mai 2008

Claude-Marie Vadrot

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Le jardinage au secours du pouvoir d'achat

Progressivement, le jardin s’installe dans le paysage culturel, économique et social du pays. S’agissant de l’économie, disons même qu’il se réinstalle en force, comme pendant la dernière guerre.

Claude-Marie Vadrot

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Progressivement, le jardin s’installe dans le paysage culturel, économique et social du pays. S’agissant de l’économie, disons même qu’il se réinstalle en force, comme pendant la dernière guerre. S’instaure dans les campagnes et aux portes des villes, une confusion progressive du jardin-mode, du jardin-plaisir et du jardin-nécessité. Antidote concret à la lancinante angoisse du pouvoir d’achat.

Dans la classe moyenne, celle qui passe le plus souvent du jardin-mode au jardin nécessaire, cela fait plusieurs années que les familles ont commencé à défoncer les mornes pelouses et à pousser les nains de jardin. Quitte, dans les chics copropriétés de l’Ile de France, par exemple, à susciter des polémiques. Voire des procès interminables pour quelques salades, tomates et poireaux.

Ailleurs, dans le sud est de la France ou surtout dans le Nord, le Pas de Calais, la Somme, ces régions où un curé inventa à la fin du XIX éme siécle les « jardins ouvriers », les familles en perdition se replient sur leurs lopins de terre. De la même façon que les chefs de famille de ces régions ne chassent pas pour emmerder les écolos mais pour la viande. Cette viande si chère.

Le lopin de terre inventé par l’abbé Jules Lemire visait à éloigner les ouvriers du bistrot et du syndicat le dimanche ; devenu « familial » il participe aujourd’hui à la survie d’une partie de plus en plus importante de ceux qui souffrent de part et d’autre de la limite de pauvreté. Mais ils ne sont pas les seuls.

En augmentation constante bien que la statistique en ce domaine soit hasardeuse et sujet à discussion, le nombre de ménages ayant un jardin a récemment dépassé 60%. Chiffre qui comprend les jardins attenant aux habitations et les lopins aux portes des villes, qu’ils soient privés, octroyés par des associations où les liste d’attente s’allongent sur des années, ou loués pour un prix symbolique par des municipalités. Lesquelles découvrent rapidement le rôle économique de ces jardins mais aussi leur fonction de lien social, de rencontre, d’échange de populations qui s’ignorent dans leurs immeubles ou leurs quartiers. Le succès des jardins partagés (1) le prouve avec leur mixité sociale et inter-générationnelle.

Autre façon, même approximative et probablement sous-évaluée, de rappeler le niveau d’une production qui monte : sur les 850.000 tonnes de tomates consommées en France chaque année, 150.000 au moins proviennent des jardins privés ; pour les concombres, le chiffre est de 30.000 tonnes sur 100.000. Pour les radis, la production dépasse la moitié.

Les producteurs de tomates insipides et chargées en pesticides tournent régulièrement leur colère de moins vendre vers les Espagnols, les Marocains ou bien d’autres alors que leurs méventes s’expliquent par une auto-production qui augmente rapidement face aux prix et aux qualités médiocres. Peu à peu les jardiniers osent cultiver tout ce qu’ils ne peuvent plus s’offrir dans les magasins.

Au sein de cette cohorte des jardiniers, comme l’explique Alain Raveneau, le rédacteur de chef de Rustica qui reste le plus important (250.000 exemplaires) des hebdos de jardinage, co-existent ceux qui font la chasse aux insectes et aux maladies avec une artillerie lourde qui empoisonne les terres avec la même efficacité que les agriculteurs productivistes et une « tendance lourde de jardiniers écolos qui veulent à la fois manger des fruits et légumes aux goûts différents et souhaitent protéger leur santé et la santé du milieu naturel ».

Autre façon de faire les comptes, Raveneau estime les jardiniers à 13 millions : « ils sont de plus en plus actifs, l’augmentation du nombre de fête des plantes et de marchés de troc de variétés et de semences, en est la preuve. La crise alimentaire, les difficultés du pouvoir d’achat jouent un rôle, notamment pour les personnes âgées. En même temps nous constatons un rajeunissement de nos lecteurs et une croissance du besoin de transmettre, de retrouver un lien avec la nature».

Ces « militants » du jardinage propre et naturaliste, ces éco-jardiniers qui font ouvertement de la culture de leur lopin une résistance sociale, se retrouvent dans la lecture des « Quatre saisons du jardinage bio » ou dans « Les cahiers du potager ».

Et il y a tous les autres qui conjuguent semaine après semaine la vaine poursuite du pouvoir d’achat qui s’effrite et la convivialité qui fait fit des origines et des âges. Des gens qui ne se salueraient pas dans leurs cages d’escalier font longuement connaissance autour de fruits et surtout de légumes qu’ils s’échangent. Tout comme ils s’échangent des graines ou des recettes de leurs pays, la France y compris. Comme ces jardiniers de Stains répartis sur cinq espaces couvrant une quinzaine d’hectares. Là, 64 nationalités d’origine différente font mentir ceux qui ne veulent voir dans les banlieues que des espaces à problème. Le jardinage est une valeur d’échange et des familles désargentées retrouvent la joie de donner...

Autre indice de la montée en puissance d’une activité qui a progressé de 23 % au cours des dix dernières années, le chiffre d’affaires du jardinage, tous aspects confondus, vient de dépasser le 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, un total supérieur à celui de la micro-informatique. D’où multiplication des jardineries et rayons jardin des enseignes du bricolage. Là où se fourguent encore des plantes et plants forcés et surtout des produits nocifs vendus sans le moindre contrôle.

Toutes les modes, même positives, trouvent toujours des profiteurs peu soucieux des dégâts qu’ils provoquent : ils résistent depuis des années à une réglementation qui interdirait de vendre les produits nocifs pour la nature sansle contrôle d’un spécialiste. Mais les fabricants, les mêmes qui s’arque boutent contre la limitation des pesticides, engrais et fongicides dans l’agriculture, savent qu’ils sont menacés à terme. Comme l’a compris la chaîne familiale Botanic qui a décidé récemment de ne plus mettre les produits chimiques en libre service. Avant, un jour, jurent-ils, de les supprimer.

Le jardin potager devient aussi consciemment ounon, une forme de résistance passive individualiste à la mal-bouffe. Et à la fièvre des prix qu’entretiennent des gens comme Michel-Edouard Leclerc qui tente désespérément de faire croire qu’ils se battent pour notre niveau de vie.

(1) A lire un bouquin qui vient de paraître : Jardins partagés, utopie, écologie et conseils pratiques de Laurence Baudelet, Frédérique Basset et Alice Le Roy. Préface de Gilles Clément. 150 pages passionnantes, avec photos, sur les expériences menées en France depuis quelques années. Editions Terre Vivante. 23 euros