Des vestiges archéologiques datant de 6000 ans et de Babylone mentionnent déjà clairement la vigne et le vin. Avant d’être, bien plus tard, peuplée par des Chiites qui ont cassé récemment tous les magasins où les derniers chrétiens de Bassora vendaient un peu d’alcool et de vins, les ancêtres, la Mésopotamie abritait des Arabes des Marais glorifiant le jus de la vigne. D’où sans doute cette réputation d’avoir été le Paradis terrestre. D’autre part, mais on entre là dans la légende biblique, Noé aurait pas mal forcé sur le breuvage fermenté issu de sa vigne une fois débarqué de son arche et le déluge calmé. Après tant d’émotion on le comprend. Le mythe rejoint ainsi la réalité pré-historique puisque le mont Ararat sur lequel s’échoua l’Arche est à portée d’ivrogne du cœur des montagnes du Caucase où les archéologues ont identifié l’apparition d’une ou plusieurs variétés de vignes cultivées il y a 7000 ans ; époque à la laquelle les hommes, comme ceux de Mésopotamie donc, sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, ne tiraient pas de ces plantations que du jus de raisin. Ce qui signifie clairement que les joies et les errements bachiques (avec modération…) des hommes et des femmes sont aussi vieux que l’agriculture. Il n’est pas surprenant que les premières traces de vignes et surtout de jarres destinées à en recueillir le produit aient donc été relevées en Géorgie, le pays où la vendange reste une institution et une fête nationales ; le pays aussi où, à la fin des années 50 du XIX éme siècle, Alexandre Dumas en voyage se vit accorder un diplôme de « très grand buveur » par le prince Tchavtchavadzé. Hommage rendu par des Géorgiens dont la grande performance était et reste de lamper leurs vins dans des hanaps de deux ou trois litres. Pour moi, ce pays est à jamais celui de la vigne et du vin. Plus tard dans l’histoire, 2500 ans avant notre ère, les ancêtres des Géorgiens ayant fait école, des bas-reliefs égyptiens ont fixé pour la postérité les scènes de vendanges et de foulage du raisin. Dés cette époque, et toujours en Mésopotamie, le raisin qui se conservait mal, se faisait sécher au soleil. L’invention du raisin sec, produit à la portée du jardinier amateur, est à la fois accidentelle et contemporaine de celle du vin.
Pour ce qui concerne la France, au plus exactement la Gaule celtique, c’est dans les environs de Marseille, qui se nommait alors Massilia,quelques 600 avant notre ère, que les vignes et le raisin s’installèrent sur notre territoire. En quelques dizaines d’années, par la grâce ou la faute des Phocéens qui avait apporté cette culture et ces habitudes de Grèce, de pauvres piquettes très chargées en tanin, l’analyse des amphores l’a prouvé, commencèrent à concurrencer la cervoise. Les vignes se répandirent si rapidement sous les Romains, qui les trimballaient au rythme de leur conquête, qu’un siècle avant Jésus Christ, précurseur de bien des politiques agricoles, l’empereur Domitien ordonna l’arrachage de la moitié du vignoble méditerranéen français. Il faisait une concurrence déloyale à la production romaine de vin. Bien plus tard dans les années 30 du XVIII éme siècle, Louis XV en fera autant pour juguler la production de vins médiocres qui étaient de véritables « pousse-au-crime ». Sous les Romains comme sous les Louis XV et XVI, ce genre d’ukase entraîna l’augmentation des cultures pour le seul raisin, le frais et celui que l’on séchait au soleil. Des Romains aux Gaulois, la vigne gagna le nord, passant par le Bordelais et la Bourgogne. La progression fut telle qu’au Moyen Age, et pour longtemps, Paris et la région parisienne devinrent le plus grand vignoble de France.
La preuve par le passé, surtout en ces temps de réchauffement climatique, que s’offrir une ou plusieurs treilles dans un jardin de la région parisienne, même en ses départements septentrionaux, ne relève ni de la lubie ni de l’utopie. Il suffit d’un mur exposé au soleil, et emmagasinant donc de la chaleur pour qu’une vigne s’épanouisse et donne très rapidement du raisin, qu’il soit rouge, blanc ou doré. Pour avoir une certitude de réussite il faut pouvoir compter, dés le printemps sur une exposition quotidienne d’un minimum de six heures aux rayons du soleil. S’il ne gèle pas, c’est le moment ou jamais de la planter, ce qui lui donnera le temps de bien s’enraciner avant que surgissent les bourgeons printaniers. Vinis vitifera s’adaptera facilement à tous les types de terrain pourvu que le sol ne soit pas en permanence gorgé d’eau. Mais, après cette plantation il est recommandé de disposer un paillage qui maintiendra à la fois de l’humidité et de la chaleur au moment où la vigne en a le plus besoin c'est-à-dire au printemps. Attention, si la vigne est mise en terre au pied du mur de la maison qu’elle doit coloniser, il faut prendre la précaution de la planter suffisamment loin pour que l’avancée du toit n’empêche pas la pluie de l’arroser avant que les racines s’étendent. Il faut aussi se souvenir qu’une vigne s’installe pour des dizaines d’années. Rien de plus résistant que les vieilles treilles : défrichant un espace oublié de mon jardin, je viens d’en exhumer deux plantées il y a au moins 70 ans. Elles survivaient enfouies dans un amas de pierres et de ronces : quelques rameaux gros comme le poing relevés et palissés, les racines adventices qui s’étaient formées au contact du sol, coupées, elles donneront probablement quelques grappes dés cette année. Du noa, cépage d’origine américaine interdit en 1930 car réputé rendre fou, comme l’absinthe. Beaucoup de jardins et de terrains cachent ainsi des vignes oubliées dont on peut faire, maintenant et facilement, des boutures qui permettent de récupérer une vieille variété. Car il fut un temps pas si lointain ou presque toutes les maisons s’offraient le plaisir automnal du raisin de la treille. Il en reste encore dans Paris, dans le 20 éme et le 13 éme notamment.
Donc je ne peux que vous engager à rétablir cette tradition. Rapidement, parfois deux ans après la plantation viendra le temps du plaisir, celui où se cueillent les premières grappes que l’on aura préserver à l’aide de deux traitements que permettent la culture biologique : la cuivre, c’est la bouillie bordelaise, et le souffre. De quoi empêcher les attaques de mildiou, de l’oïdium (une sorte de duvet blanc) et de la pourriture grise. Raisin garanti sous réserve d’une taille plutôt sévère et d’un apport régulier d’engrais. Pour la vigne du jardin, taille selon besoins : cela peut être un cep d’un mètre et demi de haut taillé court comme une vigne à vin ou bien une taille moins sévère qui permettra à la treille de couvrir rapidement un mur ou une tonnelle. La vigne en tonnelle est toujours un ravissement car elle porte en elle une image d’ombre fraîche et de grappes à portée de la main.
Pour le vin, ne rêvez pas, il en faut quand même beaucoup (de raisin) et surtout c’est un art difficile à maîtriser si on ne veut pas imposer une redoutable piquette maison à tous les amis trop polis en visite. Par contre, avec un mini-pressoir, le jus de raisin immédiatement mis au frais pour qu’il ne fermente pas, est aussi le plaisir des dieux.