Les feuilles mortes ne se ramassent évidemment pas à la pelle (essayez donc !), contrairement à que chantaient Montand et Mouloudji, mais au râteau ou au râteau-balai. Encore que, question quasi existentielle : faut-il vraiment les ramasser ? La nature, même jardinée, par définition, ne peut pas être un « endroit propre » ? Ou bien, position médiane : faut-il vraiment toutes les ramasser ? Soit pour les brûler, soit pour les porter dans des déchetteries souvent surencombrées par les déchets végétaux. Une certitude : l’aspirateur (évidemment électrique) à feuilles, tout à tour soufflant et aspirant, possède toutes les caractéristiques d’une aberration écologique et il faut espérer que les derniers seront brûlés à Copenhague dans quelques semaines. Cela étant dit, une fois rassasié de la douce odeur des feuilles mortes qui commencent à s’accumuler sur mon jardin, au pied des arbres et parfois bien loin sur les plates-bandes et dans les rangs de salades, je finis par intervenir. Et par mettre en œuvre au long de l’automne, la politique des «quatre tiers » chère au César de Pagnol au Bar de la Marine. D’autant plus que la pratique du râteau à feuilles, surtout un jour de vent fripon, incite à la méditation sur la fragilité et peut-être l’inutilité de l’intervention humaine dans le cycle naturel…
Un tiers peut rester sur le sol, « rendant leur matière noble aux arbres et à l’herbe », comme l’explique un vieux livre de classe sur les « leçons de choses » récemment trouvé dans un vide grenier. Un deuxième tiers ira rejoindre un tas de compost de feuilles, le plus simple, à utiliser dans un an ; un troisième protégera le pied ou l’emplacement des plantes et légumes sensibles aux froids, artichauts, rhubarbe ou dahlias, par exemple ; et le dernier tiers est épandu sur les surfaces à replanter au printemps. Elles s’y décomposeront lentement sous l’effet de l’humidité et du froid, et en mars un labour léger, suffira à enfouir ce qu’il en reste à titre d’engrais organique contenant de l’azote, du phosphore et de la potasse. La chasse aux feuilles dépend du courage du moment et du temps disponible : si une partie reste là où elles sont tombées, ce n’est pas grave. Personne ne ramasse les feuilles en forêt et celles-ci s’en portent plutôt bien…Dans les parcs urbains, après des années de patience, des Verts entrés dans les conseils municipaux ont fini par convaincre des employés municipaux et surtout des habitants qui ont fini par comprendre que les feuilles sur le gazon et dans les massifs, ce n’est pas « sale ». Juste la nature, juste le retour d’une matière à la terre, juste un cycle naturel.
Mais l’idéologie du « propre », nourrie par des décades de référence à la « nature-décor » à la vie dure. Tout comme l’idée, malencontreusement forgée par les naturalistes du XIX ème siécle, qu’il existerait des « espèces utiles » et des « espèces nuisibles ». Ecologiquement parlant, cela ne tient pas la route. Toutes les espèces, végétales et animales, concourent aux équilibres écologiques dont la nature a le plus grand besoin. Nuisibles les fouines ou les martes qui chassent les rongeurs ? Inutiles les hérissons qui, bien que protégés par la loi depuis 30 ans, continuent de mourir par milliers dans les jardins en consommant les granulés anti-limaces en vente libre dans toutes les jardineries ? Inutiles les corneilles et les corbeaux qui nettoient les champs ? Il est possible de multiplier les exemples à l’infini, de montrer à quel point nous avons désormais peur du « sauvage » ; peur de la moindre étrangeté, peur du moindre moustique, de la moindre mouche poursuivie par des bombes « kitutou » qui intoxique les insectes et les humains, peur de la ronce, peut de l’ortie qui accueille les chenilles de nombreux papillons, peur du moindre brin d’herbe qui dépasse d’une rue peu fréquentée ou d’un trottoir. Ca pique ? Et alors ?
Hier, je me trouvais dans une petite commune des environs d’Angers, Murs- Erigné, dont le maire, Philippe Bodard, a eu le courage de bannir les désherbants de ses rues. Il lui a fallu des années pour convaincre ses concitoyens et ses employés qu’il fallait abandonner l’épandage si (et trop) commode du célèbre Round up de Monsanto faussement présenté comme biodégradable et qui après usage pollue les mares, les rivières et les nappes souterraines. Il ne s’agit pas d’envisager un impossible « retour à la nature » mais, au moins, de respecter celle qui résiste au béton et à l’asphalte. Le même élu a aussi résolu, au coeur de la nuit, d’éteindre ses lampadaires. Ce qui diminue sa facture électrique, contribue à réduire l’effet de serre et, en même temps, sauve des dizaines de milliers d’insectes et permet le retour des oiseaux de nuit. L’écologie peut être simple et quotidienne.
Pour parodier le regretté dessinateur Reiser qui en avait fait une affiche destinée à promouvoir la protection des animaux, on peut dire que « la nature on ne nous demande pas forcément de l’aimer, juste de lui foutre la paix ».
Et puis, pour revenir à l’objet de cette chronique, c’est si joli les feuilles qui décorent l’herbe ou qui volent dans le vent.