Une part importante des fleurs qui ornent nos jardins et nos fenêtres, une part dominante des légumes que nous consommons, beaucoup de fruits et aussi pas mal d’arbres nous ont été apportés, souvent au périls de leur santé ou de leur vie par ceux que l’on appelle les naturalistes-voyageurs.
Du XVII éme au XIX éme siècle, souvent sur les traces des Conquistadores pour ce qui concerne l’Amérique Latine, ils ont sillonné le monde, bravé les maladies, affrontés les tempêtes et les naufrages, le plus souvent pour le compte de ce qui est devenu en 1793 le Muséum National d’histoire naturelle, là où convergeaient depuis le milieu du XVIII éme siècle, grâce à Buffon, la plupart des scientifiques-voyageurs européens. Des héros. Mais ils ne le savaient pas.
Même, par exemple, lorsque l’un d’eux, prêtre-naturaliste du XVIII éme, affrontait un équipage debateau déchaîné, réfugié dans la dunette arrière, accusé d’utiliser la précieuse eau du bord pour que ses plants de pelagornium prélevés en Afrique du sud ne se dessèchent pas avant l’arrivée en France ; alors que le navire était encalminé en plein Atlantique. Sur nos lopins, il ne faut jamais oublier l’histoire de ces aventuriers de la science, dont de rares femmes, qui nous transformé des jardins dans lesquels, avant eux dominaient les racines et une flore plutôt pauvre.
Pierre Poivre fut l’un de ces découvreurs atypique : né d’un couple de commerçants lyonnais spécialisé dans la soie en 1719, il n’a ni trouvé ni rapporté le poivre en France ou dans les colonies. Mais peut-être influencé inconsciemment par son nom, ce naturaliste-flibustier s’est notamment intéressé aux « épices » qui, à son époque, faisaient encore la fortune des marchands et des compagnies de commerce. Très jeune, Pierre Poivre est destiné à la prêtrise et étudie dans un séminaire de Lyon.
Rien ne le destine à sa vie d’aventures mais au petit et ensuite au grand séminaire parisien où il poursuit ses études, ses professeurs lui enseignent aussi les sciences naturelles et ilne néglige pas les travaux pratiques dans ce que la population parisienne appelait et appelle encore le « Jardin des Plantes ». A Paris où Buffon règne sur ce Jardin du Roy qui deviendra le Muséum National d’Histoire naturelle pendant la Révolution, il rencontre également le grand naturaliste suédois Linné.
Fasciné par les deux hommes, il apprend la botanique pendant plusieurs années, délaissant de plus en plus ses études religieuses au grand séminaire de la Société des Missions Etrangères où ses maîtres en religion lui conseillent de voyager en Chine.
Dernière obéissance d’un jeune homme qui ne deviendra jamais prêtre, il part en 1741 pour l’Ile Maurice d’où il lui a été dit qu’il est plus facile de gagner la Chine. Une fois sur place, comme les Chinois le prennent pour le missionnaire qu’il ne sera jamais, il est jeté en prison. Elle n’est guère confortable, mais il décide d’y apprendre le chinois. Comme ce garçon de 23 ans est doué, il réussit rapidement. L’exploit parvient aux oreilles du gouverneur de Canton qui demande à le rencontrer avant de le faire libérer.
Dans ce pays qui vient d’expulser les Jésuites, il promet de ne pas tenter d’évangéliser les Chinois. Promesse d’autant plus sincère que sa foi vacille et qu’il n’a plus guère envie d’entrer dans les ordres. Il se promène en Chine, au Siam et dans ce que l’on appellera plus tard l’Indochine. En janvier 1745, il repart vers la France à bord d’un bateau français. Lequel est attaqué par un navire anglais. La main arrachée par un boulet, il sera relâché à Batavia (maintenant Djakarta) où un chirurgien lui ampute le bras pour le sauver. Il a été relâché parce qu’il connaît Buffon : pour les Anglais cela vaut un passeport diplomatique.
Avant même d’arriver à Batavia où il restera six mois, il apprend à écrire de sa main gauche malgré les souffrances provoquées par sa blessure.
Quelques graines cachées dans ses poches, il repart sur un bateau français qui s’échoue et se brise sur la côte du Siam. Il en réchappe, rembarque pour l’Ile Maurice puis, avant de rentrer en France, part « faire un tour » aux Antilles. Au large de Saint-Malo, pendant le voyage de retour, il est capturé par des corsaires anglais qui le jettent en prison à Guernesey avec l’équipage. Mais reconnu comme un « naturaliste de monsieur Buffon » il est rapidement relâché et renvoyé en France. A cette époque, les corsaires et la marine anglaise relâchaient toujours les naturalistes français avec leurs caisses, leurs notes et leurs plantes. Hommage rendu à un lieu de recherches et de découverte qui gardera son aura international pendant plus d’un siécle.
Buffon et le Jardin du Roy l’accueillent d’autant plus comme un héros qu’il rapporte des graines d’iris, de camélias et de lys encore inconnus en France. Buffon le charge de créer une annexe du Jardin du Roy à l’Ile Maurice qui est alors terre française. Et les naturalistes français lui proposent en fait, en plus, d’aller subtiliser un maximum de graines et de plants d’épices aux Hollandais qui occupent l’Indonésie et montent une garde vigilante contre les « contrebandiers de la nature ».
Acoquiné avec des pirates, prenant des bateaux de fortune, risquant plusieurs fois d’être assassiné, par les flibustiers comme par les Hollandais, il s’acquitte de sa mission tout en organisant à Maurice un superbe jardin botanique. Il réussira notamment à voler le giroflier et le muscadier aux îles Moluques, à les maintenir en vie sur plusieurs bateaux pourris, puis à les acclimater à l’Ile Maurice ; avant de les faire passer plus tard en Guyane. Il ramènera aussi en France des capucines, des acacias odorants et des lilas d’origine chinoise.
En 1757, il rentre en France et s’installe dans le Massif Central . Et il se marie à Françoise, 18 ans, 39 ans de moins que lui. Aventure finie ? Que nenni. Alors que sa jeune et très jolie femme est enceinte il repart et l’emmène pour l’Ile Maurice dont le roi, à, la demande de Buffon, l’a nommé Intendant et le charge d’autres récoltes naturelles. Quasiment en même temps que lui, débarque une « gamin » qui essaie désespérément de draguer sa belle épouse.
En vain. Dépité le jeune homme en fera plus tard un roman dans lequel il contera la chronique de son échec en l’attribuant à la beauté de la nature de l’Ile Maurice, suffisamment pure et sublime pour empêcher tout péché de chair. Poivre et son épouse rentrent en France en se gaussant de l’importun. Poivre mourra en janvier 1786 honoré de tous et de Buffon en particulier.
Quant à l’amoureux dépité, il rentre en France juste avant la Révolution. Il deviendra… directeur du Muséum national d’Histoire naturelle pendant quelques années, miraculeusement épargné par les Révolutionnaires. Il s’appelait Bernardin de Saint Pierre et dans son roman « Paul et Virginie », Virginie c’était la belle Françoise qui vivra jusqu’à prés de cent ans…