Le moment est venu, après lecture des livres savants mais en prenant soin d’oublier les trois quarts de ce qui a été lu, d’approcher le sécateur des pommiers, poiriers et même pêchers ou abricotiers « conduits » dans des formes qui ne sont pas naturelles. Palmettes en U simple, double ou multiple, espaliers le long d’un mur bien exposé au soleil, notamment pour les pêchers, quenouilles et gobelets multi-branches ou bien encore cordons multiple, horizontal ou même oblique. L’imagination des jardiniers n’a pas de limite puisque l’on cultive même des « cordons ondulés » Au delà d’un vocabulaire un peu abscons, l’objectif est clair : éliminer le bois superflu pour provoquer la formation des boutons à fleurs en concentrant la sève. De quoi favoriser une production importante sur des arbres de dimensions modestes. En prenant soin de fiche la paix aux grands arbres et aux pruniers ou cerisiers qui aiment vivre leur vie. Cette « torture » essentiellement est réservée aux poiriers et aux pommiers qui ont envahi le monde entier après être nés en Asie.
Les historiens se querellent pour savoir qui de la pomme ou de la poire est la plus ancienne, mais tout le monde ou presque est d’accord pour affirmer que ce sont les Chinois qui les premiers s’essayèrent, il y a 6000 ans, à la taille de fructification. Sur la poire originaire d’Asie centrale. Un art qui se serait perdu lors du long voyage qui conduisit les poiriers vers la Mésopotamie, la Grèce puis l’Europe. Chemin faisant, le poirier a croisé le pommier originaire d’Asie mineure et plus précisément du plateau d’Anatolie, au centre ce qui est aujourd’hui la Turquie. Naissance située il y a 60 ou 80 millions d’années. Avant l’homo sapiens.
La pomme était alors et resta longtemps un fruit minuscule et amer. On ne comprend donc pas pourquoi Eve se serait jetée sur cette pomme considérée comme le fruit défendu de l’Arbre de la Connaissance. Explication fournie par un docte jardinier de mes amis qui appelle familièrement tous ses fruits et légumes par leurs (doubles) noms latins : en cette langue qui ne sert plus qu’aux botanistes, la pomme se nommait malum alors que le mal se dit malus. D’où la confusion, paraît-il. En fait, Eve aurait attrapé n’importe quel fruit et jusqu’au X éme siècle, l’espèce fautive n’était pas nommée. Ensuite, au début du Moyen-âge, l’Eglise pointa le doigt sur une pomme, qui arrivait du bassin méditerranéen, pour ses formes lascives. Il s’agissait d’une très ancienne variété qui a fait récemment retour sur les marchés : les « calville », seules pommes à avoir…des fesses rebondies. Eve a désormais l’embarras du choix puisque la pomme se conjugue désormais avec plus de 6000 variétés. Contre 2000 pour la poire
Les jardiniers français n’ont redécouvert et amélioré les bienfaits et les mécanismes de la taille que grâce à l’imagination de Jean-Baptiste de la Quintinie et de Louis XIV. Le Roi-soleil eut à la fois le talent d’inventer une mode des jardins et de protéger ceux qui, pour le »Jardin du Roy », s’en allaient par le monde recueillir de nouveaux fruits et légumes. Hommage donc à ce personnage, le Maitre-jardinier Jean-Baptiste de la Quintinie qui dans une vie antérieure fut juriste, avocat au parlement et maître des requêtes auprès de la Reine et acheva sa vie en initiant le Roi Soleil à l’art nouveau de la taille des arbres en espalier qu’il avait mise au point. Ensemble, à plusieurs reprises, ils ont discuté de la découverte du Maître : le rôle essentiel de la sève des arbres dans leur croissance et dans la qualité de la fructification. Les premiers soins du roi vont d’abord au carré offrant la poire « Bon Chrétien » qu’il affectionne, mais aussi à celui des figuiers. Car Louis est très friand de figues et a longtemps regretté que la récolte en soit si courte. La Quintinie fut donc été prié d’organiser l’allongement de leur période de production. En jouant avec la taille, les croisements, le choix des espèces, les murs chauffés par le soleil, les figuiers en caisses et les serres, il a réussi à contenter son souverain de juin jusqu’en octobre. Dans ses mémoires le jardinier en chef explique « le plaisir que notre monarque trouve à ce fruit là, et le péril de mourir que courent ici les figuiers en place pendant les grandes gelées, ou au moins de n’avoir point de figues dans le cours de l’année, ces deux raisons là ont été deux puissants motifs, qui pour moi, honoré comme je suis de la charge de Directeur des tous les jardins fruitiers et potagers des maisons royales, m’ont fait aviser de cette manière d’avoir sûrement d’avoir beaucoup de figues tous les ans ».
Touché par la grâce horticole après un long voyage en Italie Jean-Baptiste La Quintinie s’était fait la main sur ses premiers arbres à Vaux le Vicomte, la magnifique propriété de l’intendant du roi. Louis XIV l’a remarqué et l’a nommé dés 1670 à son poste d’approvisionneur en produits frais et rares de sa table, avant de lui confier quelques années plus tard l’aménagement du jardin potager et fruitier de Versailles une fois son Nicolas Fouquet embastillé pour cause, notamment, de crime de lèse-majesté. Il attribua à sa nouvelle recrue un espace d’une dizaine d’hectares qui a été aménagé de 1678 à 1683, les premières récoltes surgissant une année après l’emménagement définitif du roi dans son château de Versailles. Un jardin minutieusement aménagé sur une zone marécageuse qui offrait l’immense avantage de permettre à Louis XIV d’y accéder rapidement, en longeant l’Orangeraie. Un jardin divisé en dizaines de carrés, avec des murs, des murets, une multiplication des expositions. D’accord avec son roi qui suivait les travaux de prés, La Quintinie a inventé, sans trouver le mot, la notion de micro-climats propres à chaque espèce de légumes, de petits fruits ou d’arbres fruitiers ; ce qui lui permet d’avoir des fraises fin mars, des asperges fin décembre et des petits pois en avril. Louis XIV a d’ailleurs annoté certains plans, s’inquiétant de ses futurs repas.
Le Potager de Louis XIV peut toujours se visiter et l’on peut y acheter une part des 50 tonnes de fruits et des 15 tonnes de légumes qu’il produit encore chaque année, légumes que le roi a souvent consommé sous forme de beignets. La Quintinie fut anoblit en 1687 et écrivit : « Quand l’honnête jardinier sera parvenu à la connaissance certaine de quelques grands principes capables de lui donner une bonne teinture du jardinage, on doit être assuré qu’il ne voudra pas s’en tenir à cette simple connaissance des premiers éléments. Il lui prendra infailliblement une grande curiosité de savoir davantage sur une chose qui lui plaît ».
Un résumé presque parfait de l’art du jardinage.