Claude-Marie Vadrot

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Billet de blog 26 septembre 2009

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L'été Indien n'existe pas plus que le "beau temps" de la télévision

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Il fait beau au jardin, les tomates refleurissent sur les pousses basses, les concombres réussissent une seconde tentative intéressante, tout comme les fraisiers et les framboisiers. Mais il n’y a plus d’eau dans le puits. La « France du beau temps éternel » qui se sait plus que la terre et la nature ne passent pas leur temps à bronzer, ignore que l’eau devient rare et célèbre le soleil sans réfléchir. La moitié des départements français tirent la langue et trop de rivières sont quasiment à sec, perdant ce qui leur reste de biodiversité. Aux citadins qui écoutent avec ravissement la télévision peindre le bulletin météo en bleu, il faut aussi rappeler qu’il n’y a pas de beau temps et de mauvais temps mais du soleil ou de la pluie ; et que ni l’un ni l’autre ne sont beau ou mauvais. Simple question d’appréciation. Quand je veux expliquer aux étudiants ce qu’est la subjectivité, je leur demande le temps qu’il fait. Neuf fois sur dix, ils se laissent piéger...

Autre remarque, l’été indien avec lequel les commentateurs nous bassinent depuis quelques jours, n’existe pas en Europe. D’ailleurs, tout en lançant la fortune de cette expression, Jo Dassin et son parolier Pierre Delanoë nous avaient prévenu : « C’était l’automne, un automne où il faisait beau, une saison qui n’existe que dans le nord de l’Amérique, la-bas on l’appelle l’été indien ». Donc, l’été indien dont on parle abondamment depuis une semaine n’existe pas en France ; même lorsque les forêts sont belles et que l’air de l’automne est très doux, c’est à dire de trois ou quatre degrés au-dessus de « la moyenne saisonnière ». Avant Halloween, nous avons donc rapatrié en France un épisode climatique aussi aléatoire qu'étranger, c’est à dire trois ou quatre jours de douceur ensoleillée survenant entre la mi-octobre et le début du mois de novembre ; et non pas en septembre. Mais seulement au Canada ou dans le Nord-Est des Etats-Unis quand il fait un peu froid la nuit et doux le jour après une aube voilée de brouillard. L’été indien, ou plus exactement l’expression, aurait été inventé dans ces régions à la fin du XVIII ou au début du XIX éme. Dans la vallée du Saint Laurent on parle d’ailleurs toujours de « l’été des Indiens » et même de « l’été des sauvages ». Peut-être, explique la légende nord-américaine, parce qu’au moment où les arbres se paraient de feuilles superbes, au moment où la douceur revenait sur la forêt, les Indiens s’affairaient à faire leurs dernières provisions, leurs dernières parties de chasse, installant ailleurs leurs campements et déployant, aux yeux des observateurs blancs, une activité largement supérieure à celle du véritable été, quand ils étaient accablés par la chaleur et les moustiques.

Prompts à chercher à démasquer les légendes, les météorologues canadiens ont observé que cet été indien ne se produisait que dans la moitié des années étudiées et font remarquer qu’en ville, cet épisode climatique est en général générateur de pollution atmosphérique en ville en raison de la stabilité d’une zone de haute pression expliquant le beau temps. Malicieux, ils font même remarquer, ces météorologues, que certaines années il y a deux ou trois « été indien ». La même remarque s’applique au « babielieto » russe, ukrainien ou biélorusse, terme qui se traduit par « été des grands-mères » et qui fait plus allusion aux multiples couleurs de la forêt qu’à la douceur provisoire de la température. En Allemagne, c’est « l’été des aïeules ». Et partout, c’est désormais synonyme de pollutions.

Ce que nous avons tendance à nommer « été indien » en France, c’est « l’été de la Saint Martin », une période climatique plus douce qui se manifeste plus ou moins régulièrement (mais sans rigueur scientifique) autour du 11 novembre, un jour de notre calendrier d’où ce pauvre Saint Martin a été chassé par la célébration de l’Armistice de la Grande Guerre. A cette période de l’année, ce sont des courants d’air en provenance du sud-ouest qui maintiennent à la fois une douceur provisoire due à des hautes pressions. Jean Ferrat, dans une chanson, a évoqué « le ciel incertain de l’été de la Saint Martin » et dans son livre, « les chemins nous mentent », Philippe Delerm nous raconte « que c’est une idée qui flotte quelque part, le rêve d’une oasis entre deux bourrasques, la volupté mélancolique de s’avancer en manche de chemise sous un soleil tiède en se disant que c’est la dernière fois ». Et cet été de la Saint-Martin, aussi aléatoire que l’autre, c’est de toute évidence la période de l’année où les forêts françaises sont les plus belles. Même s’il pleut.

A cette époque, non pas à cause du gel comme on le croit parfois, les feuilles des arbres, dans la forêt et au jardin changent d’aspect sous l’influence de la diminution de la durée du jour. Les nuits fraîches et les jours raccourcis favorisent notamment la production d’une hormone qui donne des couleurs aux feuilles. Tandis que, recevant de moins en moins de sève, la feuille perd lentement la chlorophylle qui la teinte normalement en vert. Au profit des anthocyanes qui fournissent le rouge tandis que la carotène donne du jaune. Tout ceci étant plus ou moins variable d’une espèce d’arbre à l’autre et même d’une qualité de terre à une autre. Ainsi quand la terre du jardin est plutôt acide, c’est le rouge qui s’imposera dans les feuilles d’érables alors que le violet dominera en cas de sol alcalin. Sans oublier que les épisodes de sécheresse, comme c’est le cas cette année, accélèrent et accentuent le phénomène de coloration. Pour notre plaisir. Et pour le malheur des arbres qui peuvent en cet automne sec, briller de leurs derniers feux. Comme les arbres fruitiers qui se couvrent de fruits quelques mois avant leur mort, comme pour avoir la « certitude » de survivre dans une graine…

Qui veut aussi un automne très coloré en son jardin choisira de planter des érables, des bouleaux blancs, des liquidambars, des fougères et évidemment de la vigne vierge pour habiller les murs ou même certains arbres. Le plus remarquable mais aussi le moins encombrant des érables est l’érable champêtre (Acer campestre) qui peut vivre jusqu’à un siècle en fournissant à chaque automne des feuilles dorées. L’érable rouge n’est pas mal non plus même s’il risque de devenir bien plus gros et, surtout, se faire plein de petits dans le jardin. J’en ai un et, l’année dernière, si je n’étais pas intervenu j’en aurais eu une vingtaine de plus dans tout mon jardin.

N’en déplaise à mes confrères citadins, j’espère que le « beau » temps va bientôt disparaître et que le beau de temps de la pluie dont nous avons besoin pour sauver les rivières et beaucoup d’arbres va être bientôt de retour. Ne serait-ce que pour ne pas rater la saison des champignons. Cela nous évitera des marchés encombrés de girolles polonaises ou biélorusses dopées aux retombées de Tchernobyl...