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Billet de blog 27 avr. 2008

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DEFRICHAGE: les jardins mortels de Tchernobyl

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Dans les environs de Tchernobyl, l’IRSN, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et les scientifiques ukrainiens, cultivent un jardin. Des ces plates bandes surveillées, il suffit de lever les yeux pour apercevoir le sarcophage provisoire qui emprisonne le réacteur accidenté en 1986. Cette année là, et surtout à chaque instant depuis, le réacteur fondu et encore chaud a envoyé dans l’atmosphère des radiations radioactives. A ses pieds, il y a deux ans, j’ai mesuré une radio activé double de celle vérifiée deux ans plus tôt avec le même appareil. Une mesure qui n’est plus possible à cet endroit précis par décision des autorités. La recherche des scientifiques sur ce jardin sévèrement gardé tient en peu de mots : des haricots verts, de la salade, des choux, du maïs et autres légumes, quels sont ceux qui concentrent le plus de radionucléides. Donc quels sont ceux qui peuvent être utilisés pour « tirer » la radioactivité du sol et en même temps quels sont les plus dangereux à la consommation dans tous les jardins de la région. Non pas seulement dans la zone interdite ou quelques rares personnes âgées bravent les interdictions de résidence mais dans tout le nord de l’Ukraine et le sud de la Biélorussie. Espaces affectées par le nuage de Tchernobyl et aussi aux rejets qui ont continué et continuent encore de s’échapper du sarcophage fissuré et dont one ne sait, malgré une décision prise en 1992, quand il sera remplacé par celui du consortium français choisi à cet effet.

Dans ces régions, le jardinage est souvent le seul moyen, prés des fermes ou des isbas, de lutter contre la pauvreté et contre une situation économique désastreuse, pour les ruraux. Il suffit d’approcher un compteur des grands bocaux traditionnels de conserves de tomates et de gros cornichons baignant dans la saumure pour constater que leur radioactivité est impressionnante et souvent supérieur aux doses admissibles. Situation encore plus évidente pour les conserves de champignons des bois. « Et nous mangerons quoi, si nous les jetons ? », rétorquent les paysans informés des dangers qu’ils courent à terme. Bonne question à laquelle il n’existe pas de bonnes réponses.

En Ukraine comme en Biélorussie, tout comme dans la partie occidentale de la Russie également touchée par le nuage néfaste, le jardinage est une question de culture et d’habitudes. Il avait d’ailleurs survécu au régime communiste et constitue plus que jamais un moyen de faire face aux pénuries, aux prix du marché trop élevés. La vogue des livres de jardinage, en général écrits par des moines, en constitue une preuve : ils forment une part importante de la librairie du grand monastère de Kiev. Mais aucun de ceux que j’ai feuilletés, comme celui du frère Fursa, ne mentionne le moindre danger à « cultiver sons jardin » dans le nord du pays. Ce dernier a pourtant été publié en 2004. Mais en Ukraine comme en Biélorussie et en Russie de l’Ouest, Tchernobyl fait l’objet d’une amnésie générale. Y compris pendant les périodes électorales. Et lorsqu’ils se promènent dans les environs de Tchernobyl ou de Pripiat, les villes où il ne fait pas bon séjourner trop longtemps, les Ukrainiens qui continuent à travailler dans les bâtiments de la centrale, n’hésitent pas à cueillir les fruits des jardins abandonnés depuis plus de vingt ans. En haussant les épaules parce que leurs responsables, avec la complicité de l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne, les encouragent volontiers à penser et à croire que les Occidentaux exagèrent les dangers de cette radioactivité. Qui ne se voit pas, c’est là le plus terrible de cette affaire.

Il sont d’autant moins enclins à croire à ces dangers qui plus de vingt ans après, provoquent encore des morts, que les jardins en questions ont retrouvé leur luxuriance et que la nature, dans la zone interdite de Tchernobyl a retrouvé une vie extraordinaire. Pour l’avoir parcouru à plusieurs reprises, je sais que les loups, les ours, les lynx et de nombreux oiseaux de proie qui nichent sur les immeubles abandonnés de Pripiat y sont revenus. Et le gouvernement ukrainien a réintroduit avec succès des chevaux de Prezvalski et des bisons d’Europe. Tous ces animaux ne semblant pas souffrir de la radio activité ambiante et le gouvernement veut en faire une réserve naturelle. Tout simplement parce que leurs cycles de vie beaucoup plus courts que celui de l’homme, ne leur laissent pas le temps de développer ces cancers qui participent au racourcissement de quatre ou cinq années de l’espérance de vie moyenne des habitants des régions plus ou moins touchées. Un chiffre qui augmente rapidement et qui fait apparaitre comme bien vaines, et surtout bien égoïstes, les inquiétudes des associations qui se préoccupent des effets sur les Français du fameux nuage de Tchernobyl « arrêté » sur la frontière française par un nucléocrate obstiné couvert par un Délégue interministériel à l’énergie du Jacques Chirac qui se nommait Nicolas Sarkozy.

Les jardins de Tchernobyl continuent donc à tuer en silence et quand les comptes tragiques seront enfin honnêtement faits dans quelques années, ils auront contribué pour une part importante au bilan de 25 000 morts qui sera un jour le minium du total des victimes d’un accident qui n’est pas imputable à un systéme politique mais au caractère incontrôlable de l’énergie nucléaire.

C’est pourtant si passionnant, si merveilleusement foisonnant, si prés de la nature dans son désordre et sa luxuriance, un jardin ukrainien ou russe bien loin du triste jardin « à la française ».

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