Claude-Marie Vadrot

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Billet de blog 30 mai 2010

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Manger des fleurs et oublier les roses du Kenya

Il y a quelques années, Philippe Desbrosses, l'un des inventeurs du succès de l'agriculture bio et grand spécialiste de cucurbitacées dans sa ferme de Sainte-Marthe, en Sologne, a retrouvé au petit matin des chevreuils littéralement « attablés » dans un de ses champs de courges et de potiron. Ils dégustaient les fleurs, toutes les fleurs, avec une régularité de métronome.

Claude-Marie Vadrot

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Journaliste à Mediapart

Il y a quelques années, Philippe Desbrosses, l'un des inventeurs du succès de l'agriculture bio et grand spécialiste de cucurbitacées dans sa ferme de Sainte-Marthe, en Sologne, a retrouvé au petit matin des chevreuils littéralement « attablés » dans un de ses champs de courges et de potiron. Ils dégustaient les fleurs, toutes les fleurs, avec une régularité de métronome. Comme l'incident se renouvela dés le lendemain, Desbrosses du se résoudre à installer rapidement une clôture, aucune méthode d'effarouchement ne réussissant à éloigner les pique-assiettes. Ayant goûté à cette « fleur défendue », les herbivores du coin, ne voulaient plus rien d'autre comme apéritif couvert de rosée avant d'aller brouter l'herbe alentours. Ils avaient découvert, voire redécouvert, un délice qui fut autrefois celui des hommes. Puisque le retour de mode pour la consommation des fleurs, rappelle qu'en des temps où la question du réfrigérateur de se posait pas, les êtres humains en faisait des orgies. Au sens propre du terme chez les Romains puisque toutes les fleurs de champs et de jardins accompagnaient les banquets somptueux et parfumaient vins, liqueurs, huiles et vinaigre. Et pas seulement pour le décor.

Longtemps, chez les peuples de Mésopotamie établis au cœur d'un immense marais aux limites du delta de l'Euphrate et du Tigre, les plats de légumes ont été ornés de fleurs. Il ne s'agissait pas seulement de faire joli mais aussi d'un peu de gastronomie destinée en plus à « s'approprier » les vertus de la beauté de ces fleurs. Et parfois de leurs pouvoirs réels ou supposés puisque les fleurs de marijuana ornaient les plats au coté des pétales de melon ou de pastèque. Bien que d'origine africaine, ces fruits existaient déjà sous une forme cultivée dans la région. La plupart des gens en consommaient également les graines séchées parce qu'elles contenaient des lipides et surtout des protéines précieuses pour les voyages. Toujours en Mésopotamie irakienne, des graines de concombre datant de 700 ans avant J.C ont été retrouvées dans des fouilles et des textes datant d'Alexandre rappelle une consommation abondante de fleurs sur viandes et légumes à Babylone.

L'habitude de consommer des fleurs s'est prolongée un peu en Egypte et plus fréquemment en Grèce ou sous les Romains. Les Gaulois n'en accommodaient pas les sangliers. L'usage culinaire des fleurs s'estompa peu à peu, cette consommation de fleurs étant peut-être aussi un indice de raffinement ne caractérisant peut-être que les civilisations vouées à la décadence. Depuis quelques années, la gastronomie florale est de retour et les pétales les plus inattendus partent ou repartent à l'assaut des assiettes. Les plus connues sont évidemment les fleurs de cucurbitacées, les grosses comme les petites. Je viens de m'offrir, cueillies au jardin quelques beignets de courgettes au parfum délicat et ma salade d'hier était parfumée aux fleurs violettes de ciboulette. Partant du principe qu'un pied de courgettes, de melon ou de concombre donne en moyenne une cinquantaine de fleurs par saison, il y a de quoi s'offrir et le légume et la fleur pour un investissement réduit. Les plus observateurs des jardiniers pourront même, comme il y a des fleurs males et les femelles, ne consommer que les males qui ne donnent évidemment pas de fruit. Ensuite, elles se consomment crues en salades ou bien cuites dans une infinité de préparation. Depuis la cuisson en beignet dans une pâte très légère, éventuellement après les avoir garnies de fromage, jusqu'à la célèbre ( et extraordinaire) recette canadienne des œufs pochés au saumon et à la fleur de courgette dégustée un jour rue Saint-Paul à Montréal.

Autre fleur très appréciée, avec son arrière-goût légèrement piquant de cresson ou de roquette : la capucine. A l'origine, quand elle fut rapportée d'Amérique latine, la capucine (quelles que soient ses couleurs) fut appelée « le cresson d'Inde ». Pour améliorer la récolte il faut évidemment choisir les variétés de capucines grimpantes qui fournissent des centaines de fleurs résistant jusqu'à l'automne. A consommer également en beignet. Ou en salade, avec des feuilles qui ont le même goût. Ces salades vertes assaisonnées de fleurs multicolores sont évidemment le moyen le plus frais d'utiliser tout ce qui pousse au jardin, à condition de ne pas cultiver avec des produits toxiques et de se limiter aux méthodes bio. Sont éligibles à des assiettes champêtres de l'été aussi bien les fleurs de moutarde, les marguerites, les soucis, les sauges, les pétales de tournesol ou de dahlia. D'ailleurs, si vous vous être trompés sur la beauté d'un tubercule de dahlias, il est toujours possible de s'en venger en faisant cuire le tubercule dont le goût oscille entre la pomme de terre et le topinambour. Les Indiens du Canada le faisaient.

La plupart des fleurs parfumées (surtout pas le muguet ou les giroflées qui sont très toxiques), peuvent agrémenter des crèmes ou des confitures : chaque année j'en incorpore dans des gelées de framboises et de groseilles : depuis les violettes jusqu'aux pétales de rose en passant par la lavande, les œillets de poète ou les bégonias. Et les soupes délicatement assaisonnées avec des chrysanthèmes, des pétales de tournesol ou des bourraches ne sont pas de redoutables bouillons de onze heures mais de potages délicieux et inattendus. Comme tout ce qui concerne la cuisine et la gastronomie des fleurs : de la terrasse ou du jardin, les ingrédients sont toujours du jour.

Les confitures, encore elles, peuvent s'agrémenter de pétales de roses. A deux conditions. D'abord de ne pas avoir recours aux produits phytosanitaires ; ensuite d'oublier les roses offertes le jour de la fête des mères : car, comme 95 % des roses vendues en France, elles sont « produites » au Kenya, en Ethiopie ou en Equateur à grands renforts de cocktails chimiques. De plus, elles contribuent à la pollution de ces pays, représentent la plus terrible des exploitations des ouvrières, des ouvriers et des enfants de ce pays. Et surtout, elles ne voyagent que par avion entre les lieux de production, les Pays-Bas et les pays dans lesquels elles sont revendues plus cher que n'est payés la main d'oeuvre en une journée.