Claude-Marie Vadrot

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Billet de blog 31 mai 2008

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Les lilas et les platanes de Pierre Belon, le naturaliste voyageur

Comme il n’y a pas que les fruits et les légumes dans la vie des jardins, le mois de juin est un mois propice à la célébration du souvenir de l’un des premiers naturalistes-voyageurs français, Pierre Belon, ces voyageurs de l’impossible

Claude-Marie Vadrot

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Comme il n’y a pas que les fruits et les légumes dans la vie des jardins, le mois de juin est un mois propice à la célébration du souvenir de l’un des premiers naturalistes-voyageurs français, Pierre Belon, ces voyageurs de l’impossible courant le monde pour rapporter quelques espèces qui les fascinaient, ces voyageurs qui risquèrent plus tard leur vie pour enrichir les collections du Jardin des Plantes médicinales devenu, après le règne de Buffon et sous la Révolution, le Muséum National d’Histoire Naturelle dont les jardins et les bâtiments défient le temps dans le V° arrondissement de Paris.

Belon, le précurseur, le pionnier fut, entre autres collectes et aventures, celui qui organisa l’introduction en France en 1550 de ce lilas rouge, rose ou blanc qui achève sa floraison en France ; du sud au nord, tant il est de bonne compagnie et de bonne composition jardinière. Ce Syringa vulgaris dont le nom vient de l’arabe « lilak » etqu’il faut planter à l’automne, ne se plaint jamais, fleurit régulièrement en toutes terres et à toutes expositions, poussant sa longévité jusqu’à la cinquantaine. Un arbre d’ornement facile à cultiver et qui peut atteindre sept mètres. Pierre Belon, dés ses premières expériences botaniques, s’en était aperçu même s’il était d’abord et littéralement tombé amoureux du platane dont il surveilla des années et jalousement la poussée des graines qu’il avait rapporté du Liban.

Ce roturier aux origines incertaines né aux alentours de 1517 dans un hameau de la Sarthe, La Soultière, où sa maison natale a résisté au temps, fut un authentique autodidacte à une époque où n’étaient pas nombreux les savants à se lancer dans les sciences, naturelles ou autres, sans l’aval des facultés. Sa chance fut d’entrer dans les bonnes grâces de René du Bellay, parent de Joachim le poète et évèque-cardinal du Mans alors qu’il n’avait pas encore vingt ans. Jardinier, puis aide-apothicaire en Auvergne il deviendra peu à peu, par goût, un botaniste de moins en moins amateur. Avant d’être envoyé poursuivre des études de naturaliste en Allemagne où il eut l’occasion de rencontrer Luther en pleine croisade protestante. Ce qui le renforcera dans son prosélytisme très catholique. Mystérieusement, puisque beaucoup de choses sont étranges dans la vie de cet homme, après de vagues nouvelles études à Paris, Pierre Belon se retrouve dans l’entourage d’un roi qu’il admire « parce qu’il a dormi avec un lion qui ronronne comme un chat » : François 1er . Il s’ennuie à la Cour et comme il le fait intelligemment savoir, en 1546, il fera partie de la délégation plénipotentiaire que le souverain envoie auprès de Soliman le Magnifique qui règne sur l’Empire Ottoman depuis Constantinople. Il sera le savant du groupe, comme après lui de nombreux scientifiques qui suivaient les ambassadeurs, les rois et les expéditions de conquête pour le simple plaisir d’herboriser ou de découvrir des animaux nouveaux qui font encore l’émerveillement des chercheurs d’aujourd’hui dans les réserves inépuisables du Muséum.

La troupe embarque à Venise, mais Pierre Belon ravit de ce premier grand voyage, ne tarde pas à musarder, s’attardant à Dubrovnik où il glane des plantes médicinale. Il perd ensuite dans les îles grecques la plupart de ses compagnons enlevés par des pirates barbaresques, mais ce savant ne s’émeut pas trop, herborisant et observant une nature qui ressemble déjà pour lui au paradis. L’apothicaire qui sommeille en lui cherche des baumes et des remèdes inconnus. Miraculeusement, seul rescapé de l’expédition, il parvient enfin à Constantinople et rejoint la délégation d’ambassadeurs français. Foin de la diplomatie, il se plonge avec délices, pendant des semaines dans le bazar de la ville, cherchant les baumes et les produits médicinaux chez des marchands qui se nomment eux-mêmes « les drogueurs ». Lesquels répugnent à lui confier leurs secrets, se bornant à lui faire essayer quelques plantes euphorisantes qu’il apprécie. Alors il s’obstine.

C’est en flânant dans les jardins du Sultan qu’il tombera en arrêt devant le lilas. Il prépare un mini-complot diplomatique pour en faire parvenir des graines et des boutures en France. Ce qui sera fait cinq ans plus tard grâce à la « valise diplomatique » du nouvel ambassadeur, alors que Belon aura regagné la France. En attendant il poursuit son voyage et après avoir découvert les joies religieuses et naturalistes des moines du Mont Athos, il arrive en Egypte, alors dominé par les Turcs. Il y cherche en vain les ruines de la septiéme merveille du monde, le phare d’Alexandrie qui a été détruit par un tremblement de terre deux siécles plus tôt. Il se plonge avec délices dans les ruelles du bazar d’Alexandrie, toujours à la recherche de nouveaux paradis… médicaux. Dans les pyramides il se passionne pour les sarcophages et les momies, toujours à la recherche des pommades et onguents qui ont été laissés dans les tombeaux. Il avoue dans ses mémoires avoir été fasciné par les crocodiles du Nil.

Après le Sinaï, et la Palestine où il herborise encore, il se retrouve à Jérusalem, puis à Damas dont il explore le fantastique et antique bazar qui entoure la mosquée des Omeyyades, toujours à la recherche des médecines et de drogues miracles. Au Liban qui marquera le terme d’un périple dont il n’avait pas rêvé dans sa Sarthe natale, il est à nouveau victime de pillards et dévalisé. Avatar qui ne l’empêchera pas de conserver précieusement les graines d’un deuxième arbre dont il est tombé amoureux, le platane qu’il acclimatera ensuite en France. Il confie la plupart des ses trouvailles botaniques à un bateau qui sera également pillé par des pirates dans sa course pour la Grande-Bretagne. Quand il rentre en France en 1549, François 1er est mort et son successeur Henri II lui octroiera une pension qui sera victime d’un « gel budgétaire » et donc jamais payée. Il n’aura droit, grâce à Charles IX, qu’à un logement dans le bois Boulogne au château de Madrid où il vit grâce au commerce des baumes, drogues et onguents qu’il a rapporté ou dont il a rapporté les recettes. Il consacre son temps attendre que poussent ses platanes et aussi le lilas (enfin arrivé), les oliviers, le laurier-rose et les roses de Noël qu’il a sauvé de tous ses déboires.

Un jour de 1564, Pierre Belon fut assassiné dans un chemin menant à l’hôtel de Madrid. Probablement pour avoir continué à s’intéresser de très et trop prés aux drogues, onguents et baumes qui l’avaient fait rêver, et voire plus, au cours de son long voyage pour l’Orient et qu’il s’efforçait sans relâche de reproduire afin d’en faire commerce pour compenser la pension royale qu’il n’avait jamais reçue. Restent de lui, des dizaines de millions de lilas qui ont fleuri ce printemps ; et aussi des millions de platanes plantés le long des routes et auxquels les élus locaux et régionaux organisent depuis quelques années une chasse impitoyable sous prétexte qu’ils se précipitent au devant des automobiles…