Voici donc (re)venue la période de l’année au cours de laquelle, les coquelicots et les bleuets se réfugient dans les fossés et les bordures des champs débarrassées de toutes « mauvaises herbes », c’est à dire privés de la moindre biodiversité par quelques kilogrammes des 85 000 tonnes de pesticides et désherbants dont la France inonde ses champs, ses bords de route et, hélas encore, ses jardins.
Municipalités et jardiniers du passé se ruant vers les jardineries et les industries chimiques pour que leur nature ait l’air plus propre. Comme si le milieu naturel devait ou pouvait être propre. Il est donc nécessaire, comme pour les oiseaux ou les hérissons, de leur accorder l’asile en nos jardins. Sous peine de les voir disparaître, comme la loutre, l’ours, le vison sauvage ou le lynx. La biodiversité ne consiste pas seulement à préserver quelques espèces emblématiques. Mais avons nous entendu, en dehors des candidats d’Europe Ecologie, un candidat se préoccuper de la biodiversité ? La seule biodiversité préservée en ces derniers jours de campagne électorale, étant celle de quelques candidats tellement kitsch que l’on devrait, à gauche comme à droite, les installer dans des réserves naturelles politiques pour les montrer plus tard à nos petits enfants... Mais revenons aux plantes messicoles qui se réfugient dans les jardins bio heureusement de plus en plus nombreux, comme un pied de nez aux fruits et légumes industriels offerts (façon de parler) dans les grandes surfaces.
« Ils éclatent dans le blé comme une armée de petits soldats ; mais d’un bien plus beau rouge, ils sont inoffensifs. Leur épée, c’est un épi. C’est le vent qui les fait courir, et chaque coquelicot s’attarde, quand il veut, au bord du sillon, avec le bleuet, sa payse ». En 1896, quand Jules Renard publie ses Histoires naturelles, les désherbants n’existaient pas encore. Ces bleuets et ces coquelicots ils les avaient admirés pendant toute son enfance nivernaise qui lui inspira son célèbre Poil de Carotte. Dés qu’il pouvait, dédaignant ce Paris qui lui réservait pourtant un succès mérité, il retournait dans son (mon) Morvan natal, pour les admirer ; et pour regarder vivre tous les animaux sauvages et domestiques qu’il avait décrits. A Chitry-les-Mines où sa maison d’enfance existe toujours, comme ailleurs, les coquelicots ne colorient plus les blés à l’époque des moissons. Sauf, quand un pulvérisateur herbicide s’étant grippé, un champ de blé laisse surgir en juillet sur quelques mètres une symphonie fugace et incongrue de rouge et de bleu : splendide. Comme celle que j’ai admiré non loin de mon jardin il y a deux ans : si surprenante que des véhicules s’arrêtaient au bord de la route pour admirer le blé taché de rouge et de bleu par la grâce d’un accident agricole. Comme un vestige du passé déjà pratiquement occulté.
Pourchassés par l’agriculture intensive et les soldats inconscients de Montanso, les coquelicots se sont réfugiés sur des bords des routes, des accotements d’autoroutes et dans les friches. Quand aux bleuets, que l’on appelait autrefois les bluets, ils disparaissent inexorablement, même en montagne. Il nous reste pour imaginer leurs splendeurs mêlées, les extraordinaires peintures impressionnistes du XIX éme siécle ; comme celles de Claude Monet qui apercevait ce festival estival de fleurs champêtres depuis son jardin de Giverny, de vieilles photos, des souvenirs et nos jardins au sein desquels on se plait de plus en plus à recréer le naturel chassé.
Notre coquelicot, parent tout à fait inoffensif du pavot, nous vient probablement des confins de la Bulgarie et de la Turquie mais ce Papaver rhoeas sauvage au quatre pétales est parvenu en Europe occidentale au début du Moyen Age. Peut-être parce que les premiers naturalistes l’ont confondu avec son cousin le Papaver somniferum aux grandes fleurs bleues ou blanches que Marco Polo découvrit dans le nord de l’Afghanistan. Région où il est hélas de nouveau cultivé sur une grande échelle et alimente, avec son suc blanchâtre, le trafic mondial de l’héroïne après traitement et raffinage de la morphine produite. Pour Marco Polo, ce ne fut probablement qu’une redécouverte car il semble bien que les Grecs anciens, au point de le faire figurer sur certaines pièces de monnaie, usaient et abusaient de ses sous-produits illicites qui étaient en vente libre à Rome. D’ailleurs, la belle Perséphone, déesse grecque, enlevée par Hadès, dieu des Enfers, obtint de Zeus son retour sur terre à chaque printemps sous la forme d'un coquelicot. Il se dit même, (quelle horreur !), qu’il se cultiva sur le territoire de la Suisse ancienne sous sa forme Pavere setigerum.
L’histoire de la propagation des différentes espèces de papaver est a la fois compliquée et mal connue, les Arabes et les Chinois s’en disputant le premier usage et les premières cultures, qu’il s’agisse des espèces inoffensives et des espèces médicinales que les récits mélangent souvent, les botanistes voyageurs répugnant parfois à étaler leurs faiblesses et leurs expériences. D’autant plus que les pétales soigneusement séchés du cousin coquelicot en infusion calment la toux et aident vraiment à dormir. Si les missionnaires jésuites qui tentèrent d’évangéliser la Chine dés le XVII ème siécle ne font pratiquement jamais mention de la culture du pavot, c’est peut-être parce, les voies du Seigneur étant impénétrables, qu’ils s’étaient laissés tenter...
Au XVII siécle le pavot, version exotique, servit à la mise au point d’un calmant pour dame dont on retrouve le nom dans tous les romans du XIX éme siécle : le laudanum. En Europe ce pavot, version Papaver orientalis aux fleurs roses, rouges ou blanches, dont on trouve des champs immenses en Pologne, en Russie centrale et les pays voisins, ne sert qu’à fournir des minuscules graines noires qui parfument le pain ou les pâtisseries. Seuls les Russes, s’obstinent, en faisant de leurs graines une « Kompot », à en tirer une substance qui n’est maléfique que dans leur imagination et surtout additionnée de vodka. Plus gros et plus grand que le coquelicot, vivace, ce pavot vit fort bien dans nos jardins, s’accommodant de toutes les terres. Il y a quelques jours, un pied superbe épanoui par le beau temps fi rêver de jeunes passants que je du détromper...Même si cette espèce, les dessins en témoignent, figura en bonne place dans « les plantes magiques et sorcières » et les enluminures du manuscrit des « Grandes heures d’Anne de Bretagne » qui constitue sans doute le premier des traités de la cueillette des plantes et du jardinage. Et dans le manuel des plantes cultivées publié en 1883 par Alphonse de Candolle, on trouve toutes les recettes sur l’art et la manière d’utiliser le coquelicot pour agrémenter la bouillie ou le biberon des enfants et de calmer quelques maux bénins. Mais la différence entre le pavot des champs et celui qui prospère en Afghanistan n’était alors pas encore très claire...
Le bleuet, lui, Centaurea cyanus, semble avoir toujours poussé sur le territoire français. Depuis très longtemps au moins bien que son nom courant ne soit attesté que depuis le début du XV éme siécle. Depuis que la République a définitivement choisi son statut et son drapeau, il compose avec les marguerites et les coquelicots un bouquet tricolore de plus en plus rare, bouquet avec lequel on célébrait notamment l’anniversaire du 14 juillet et avec lequel furent souvent accueillies les troupes du débarquement. C’était avant que Nicolas Sarkozy commence à effeuiller la marguerite républicaine...
Au jardin il est très facile de retrouver cette féerie champêtre qu’offraient autrefois ces plantes messicoles, c'est-à-dire liées aux moissons. Le coquelicot bien sur, mais aussi donc le bleuet, la nielle (rose) des champs, la marguerite, le lupin, le sainfoin, le trèfle incarnat et la sauge des prés. Il suffit, c’est ma méthode, de recueillir leurs graines au mois de juin et de les disperser dans son jardin. Ils y pousseront l’année prochaine si les lieux leur plaisent car ce sont des plantes capricieuses qui n’écoutent guère les prières du jardinier et surgissent toujours là ou on ne les attend pas. L’été prochain, celui de 2010, le coquelicot surgira un peu n’importe où, y compris dans les plants de fraisiers ou entre les rangées d’oignons. Comme une décoration goguenarde qu’il faudra respecter. Formant des cercles ou des lignes magiques ou poussant inopinément entre les pierres d’un vieux mur, en une tache rouge qui aurait ému Mouloudji qui chanta si bien le « p’tit coquelicot ».