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Billet de blog 3 décembre 2013

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Chronique d’une expulsion annoncée… et combattue

Vendredi 29 novembre, 9H30, devant le tribunal de Grande Instance d’Evry, peu à peu, dans la grisaille, les uns, les autres sont arrivés. Dans leurs beaux costumes du dimanche, Messieurs Tranca, Dulca, Dumitru, tous les Vasile,  Pipiu,  Baicu, Calin,  Constantin, Oita, pères, fils et cousins, Julian et Maria sa femme, et M. Serban,  une bonne trentaine d’hommes et quelques babouchkas sont  venus assister à l’audience où leur sort, celui de leurs familles, va être tranché.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vendredi 29 novembre, 9H30, devant le tribunal de Grande Instance d’Evry, peu à peu, dans la grisaille, les uns, les autres sont arrivés. Dans leurs beaux costumes du dimanche, Messieurs Tranca, Dulca, Dumitru, tous les Vasile,  Pipiu,  Baicu, Calin,  Constantin, Oita, pères, fils et cousins, Julian et Maria sa femme, et M. Serban,  une bonne trentaine d’hommes et quelques babouchkas sont  venus assister à l’audience où leur sort, celui de leurs familles, va être tranché. A leurs côtés Dominique, Evelyne, Marie France, Michèle, Laurent, Sandra, Claire-Lise, Yvette, Nicole, Roland, Marie-Hélène, Pascal,  Robi, etc. ils sont vingt cinq à être venus les soutenir, ceux de SAVALFERR (Solidarité A Villebon Avec Les Familles Et Roms et Roumaines), de l’ASEFRR (Association de Solidarité en Essonne avec les Familles Roms et Roumaines), d’Intermèdes Robinson, de la LDH/Evry, d’Intervalle, de l’Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau, Michel Rouyer, maire adjoint EELV de Palaiseau avec son écharpe qu’il range soigneusement pour rentrer dans le tribunal.  Me Julie Bonnier, leur avocate arrive, salue les uns et les autres, posent encore quelques questions sur l’affaire et se concentre avant de rentrer avec tout le monde dans la salle 2. Les hommes se découvrent.

La partie adverse est représentée par deux avocates parisiennes et par le propriétaire, M. Givanovitch, très sûr de lui en apparence, à qui ni le juge ni les policiers qui surveillent l’assistance de  près, ne demandent bizarrement de s’asseoir. Une des maire-adjointe UMP de Longjumeau, Adeline Hubert de Calan est là ; représente-t-elle le maire-conseiller général de Villebon ? Ou NKM, la députée de la circonscription ?  Un barbichu qui semble être à l’origine de la pétition anti-Rrom également. Deux ou trois journalistes. Le Parisien et Essonne-info. Des avocats qui attendent leur affaire. Sinon nous remplissons la salle et quand les avocates des deux parties prennent alternativement la parole la concentration de l’auditoire se marque à l’épaisseur du silence.

Bientôt aux questions de formes qui ne sont accessibles qu’aux initiés en droit, succèdent les questions de fond : «  Je vous propose Monsieur le Président de faire quelque chose d’atypique, enchaîne en particulier Me Julie Bonnier, en montrant au juge les photos des familles et leurs installations dans l’usine Galland. Les allées proprement balayées. Les intérieurs chaleureux.  Les portraits d’enfants souriants.  Et puis derrière le linge en train de sécher, les tags multicolores recouvrant les murs de l’usine la transformant en lieu culte du street-art  où des clips de Sexion d’Assaut et de la dernière lettre de  l’ « Indigné»  Stéphan Hessel ont été tournés.   « Organisez un transport sur les lieux pour comprendre la vie de ces familles, comment elles ont aménagé ces lieux qui étaient réputés pour leur insécurité, leur dangerosité et leur saleté… Venez voir par vous-même avant toute décision, Monsieur le juge, insiste-t-elle. » Elle cite également comment la France a été condamnée pour la xième fois par la Cour européenne des Droits de l’Homme et l’article 8 de cette Cour qui affirme le droit au respect de la vie privée et familiale. Elle demande un délai jusqu’à fin juin 2014 pour que les enfants scolarisés en primaire et au collège puissent vivre cette année scolaire sans rupture et laisser aussi un peu de temps pour trouver une solution de relogement pérenne…

La décision sera donnée vendredi 6 décembre, indique l’avocate aux Rroms et à leurs soutiens, à l’extérieur, devant le Palais de Justice. Elle explique la procédure, ce qu’il va se passer. Rien n’est gagné, loin de là. Cela ne les empêche pas, avec beaucoup de dignité, de la remercier pour avoir su trouver les arguments, les mots justes pour parler d’eux, pour les défendre.   Et nous applaudissons tous longuement, calmement. Nous savourons ce moment d’action collective,  en  pleine communion. Nous sommes pourtant tous conscients que les risques d’expulsion se précisent.

Lundi 2 décembre, 7H45, un hélicoptère opère un vol stationnaire à très basse altitude juste au-dessus du platz de l’usine Galland, pendant cinq longues minutes voire dix. Sommes-nous dans une série américaine, à Los Angeles, Baltimore ou  Detroit où la police surveille ainsi habituellement les rues des cités ? Non, nous sommes à Villebon-sur-Yvette,  une petite ville tranquille de la vallée de Chevreuse, à la limite de Palaiseau dans l’Essonne. Alors que fait-il ici ce matin, ce gros bourdon qui agite bruyamment l’air de ses pales métalliques, sous le regard de tous les habitants figés la tête en l’air ? Des photos ? Une surveillance rapprochée ? Relève-t-il la topographie de l’usine Galland pour mettre au point la prochaine expulsion ? On ne sait.  On craint le pire. ``Un hélicoptère pour nous, les Roumains?'' s’étonne Elena, mi-angoissée, mi-narquoise. Quand nous lui demandons : « ça va », elle répond pour la première fois depuis que nous la connaissons : « Non, ça ne va pas… » Oui, tout ce déploiement pour des Roumains qui n’ont commis comme seul délit que de s’installer dans un endroit laissé à l’abandon depuis une vingtaine d’années, cela semble aberrant ; des dealers trafiquaient dans ce lieu, pourtant aucun hélicoptère, aucun déploiement policier tel que celui qui est venu mardi 19 novembre dernier y faire le recensement des familles, n’étaient venus malgré la demande de certains riverains, faire un peu de ménage. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas de Rroms…

A une époque où tout est calculé à un euro près. De grands moyens sont ici ostensiblement déployés. On n'hésite pas en haut lieu sur le coût pour l'expulsion. Les Rroms qui sont présents sont très inquiets... On les comprend.

Cela doit rassurer les pétitionnaires de la pétition palaisienne qui s’échinent à crier sur tous les toits qu’ils ne peuvent plus vivre depuis que ces familles vivent à côté de chez eux… Vols, tueries d’animaux de toutes espèces, maladies en tous genres, souillures dans tous les coins. Elles sont accusées d’être responsables de tous les maux. Calomniées parce qu’elles sont Rroms et vraiment pauvres ? Les deux raisons se conjuguent pour produire ce rejet quasi irrationnel. Quand la paupérisation touche de front les classes moyennes européennes, de tels phénomènes peuvent se développer.

Car même si aucune recherche de solutions pour reloger ces familles n’a encore été même commencée à être cherchée, l’heure de l’expulsion s’approche. Les familles ont eu beau tendre une banderole à l’entrée de l’usine demandant « un terrain à louer pour pouvoir être légalement intégrés » et SAVALFERR demander un rendez-vous à Madame la Maire de Palaiseau, au Président du Conseil général. Personne ne répond.

Claude

Post - scriptum : un vieil antidote toujours valable,  la lecture en toute urgence  des « Misérables » de Victor Hugo.

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