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Billet de blog 2 septembre 2023

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La Nupes : unitaire pour cinq ?

Le discours médiatique qui rend "Mélenchon" responsable du blocage des initiatives unitaires de la NUPES est affligeant. L'historique des faits, et les élections sénatoriales et européennes, montrent au contraire que ce sont les partenaires de la France Insoumise qui jouent "cavalier seul" pour résoudre leurs contradictions internes.

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Illustration 1
meeting commun de la NUPES à Lille

Ce fut la « divine surprise » de l’élection présidentielle de 2022 en France. Forte des 22% de Jean-Luc Mélenchon, et du laminage de ses « concurrents » directs (Anne Hidalgo/PS 1,75%, Fabien Roussel/PCF 2,28%, Yannick Jadot/Les Verts 4,63%...), la France Insoumise proposait au reste de la gauche des listes communes aux élections législatives et une ébauche de programme commun.

Après dix jours et dix nuits de négociations, la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) sortait du shaker autour d’un programme « de gouvernement » décliné en 650 propositions. Dans la foulée, la NUPES envoyait près de 150 députés au Parlement, devenant ainsi la première force d’opposition à Macron.

La NUPES allait toutefois garder des stigmates de cet accouchement au forceps. Car si certain·es se sont engouffré·es dans cette dynamique unitaire pour l’amplifier, comme les « Jeunes » écologistes, socialistes, insoumis et « générations », d’autres vont, dès le début, freiner des quatre fers pour réduire la portée de l’alliance, et même pour s’efforcer de la faire capoter.

D’abord au PCF. Ce qui est un peu paradoxal, puisque le Parti Communiste, co-fondateur du Front de Gauche, était à la naissance de la dynamique unitaire qui s’est ensuite prolongée dans la NUPES. Mais Fabien Roussel, qui avait sur ce thème renversé la direction plus « unitaire » de Pierre Laurent, a précisément été élu à la tête de son parti pour rendre de la « visibilité » et de « l’autonomie » au PCF. Comme il vient en outre d’être réélu à 80% au dernier Congrès du PCF, il semble que les communistes jugent toujours plus utile faire 2% tout seuls, en espérant en faire 5, que d’en faire 24 ou 26 dans les rangs d’une liste unitaire. Comprenne qui pourra. Cette candidature a pourtant déjà privé Mélenchon d’une qualification pour le second tout en 2022 – hypothèse que la direction du PCF n’imaginait alors pas une seule seconde possible (« Il est illusoire d’espérer être au second tour », André Chassaigne, Le Point, 17 janvier 2022).

Au Parti Socialiste, même blocage structurel – même si les « vraies » divergences politiques sont sans doute ici nettement plus présentes. C’est que, avec ou sans Manuel Valls, le social-libéralisme a de beaux restes dans la vieille maison sociale-démocrate. Si l’actuelle direction du PS semble pourtant acquise au contenu des accords qu’elle a âprement négociés – et qui tournent en fait la page du hollandisme –, cette alliance avec La France Insoumise reste visiblement un « casus belli » pour la plupart des vieux éléphants du Parti Socialiste.

L’ancien Premier Ministre Cazeneuve a ainsi claqué la porte en signe de protestation, l’opposition interne s’est structurée (25 députés ont même adhéré clandestinement au Parti Radical de Gauche !), Carole Delga a soutenu des dizaines de dissidents face aux candidats de la NUPES, et au denier Congrès du PS, Olivier Faure, qui a vraiment senti passer le vent du boulet, a constaté que son parti était aujourd’hui pratiquement coupé en deux. Nicolas Mayer-Rossignol, le maire de Rouen opposé à la NUPES, a en effet quasiment fait jeu égal avec lui ! Bref, depuis un an, la moitié anti-NUPES du PS a surtout passé son temps à combattre tout ce que faisait l’autre moitié. Passionnante activité. Comme on disait dans le temps, « l’union est un combat ».

Or d’ici la présidentielle de 2027, trois autres échéances électorales vont mettre l’Union Populaire à l’épreuve des urnes. Les élections sénatoriales à la fin de ce mois de septembre (170 sièges à renouveler) ; les élections européennes en juin 2024 ; et les élections municipales en 2026.

En ce qui concerne les sénatoriales de septembre, les cannes sont déjà pliées. Le PS, le PCF et les Verts se sont tranquillement partagés les circonscriptions, sans même inviter la France Insoumise à la table des négociations. Les élections sénatoriales en France sont certes très particulières : c’est une élection, comme on dit, « au second degré ». Ce ne sont donc pas les électeurs qui élisent directement les sénateurs, mais de « grands électeurs » (en gros, tous les élus locaux). Dans ce contexte particulier, la France Insoumise, formation politique plus jeune, et parfois moins bien implantée localement, n’avait aucun sénateur « sortant ». On pouvait donc comprendre que ses partenaires de la NUPES aient souhaité rééquilibrer les candidats et les élus en leur faveur. De là à ne même pas inviter la France Insoumise aux discutions, c’est un autre tabac ! Celui de la division, et qui devrait faire tousser dans les chaumières.

Même signal anti unitaire aux élections européennes. Le PCF a déjà annoncé « qu’il irait seul ». Après consultation des militant·es, les Verts ont fait le même choix. Dans ce contexte, le PS, déjà paralysé par son opposition interne, semble résigné à faire de même – tant Olivier Faure semble convaincu qu’une campagne en duo avec les Insoumis ouvrirait un boulevard à une liste « socialiste » dissidente sur sa droite. 

Or pour la France Insoumise, la question de « l’Union Populaire » se pose tout-à-fait différemment. C’est à la fois un choix tactique, un choix stratégique et un objectif politique. Ce n’est pas, pour reprendre la plaisante expression de Manon Aubry aux AMFI 2023, « un coup d’un soir » à vocation électorale. C’est la volonté d’instituer « le peuple » en acteur de son propre changement, ce qui passe donc aussi par la fédération des forces politiques qui défendent ses intérêts. Et c’est l’impérative nécessité de construire, face aux libéraux et à l’extrême-droite, un « bloc populaire » à vocation majoritaire, qui, par sa force d’entraînement, pourrait convaincre la majorité de la population de la pertinence de son programme.

Or la situation politique en France est aujourd’hui franchement paradoxale. Le pays vient de connaître une formidable mobilisation sociale contre la réforme des retraites, la plus importante peut-être depuis mai 68. Dans ce combat au long cours, la gauche politique n’a pas démérité. Elle a mit la jeunesse dans la rue. Elle a bataillé pied à pied au Parlement. Elle a délégitimé le pouvoir en place, acculé à gouverner à coups de flashballs et de 49.3. Le réchauffement climatique valide par ailleurs mois après mois les plus radicales et les plus audacieuses de ses revendications. La gauche a en outre mis sur pied la NUPES, qui est l’outil politique de ses prochaines victoires. Et certes, elle a aujourd’hui perdu la bataille sociale des retraites. Mais elle aurait dû se renforcer politiquement.

Or, s’il faut en croire les sondages, c’est l’extrême-droite qui sortirait plus forte de toute cette séquence ! Dopée par l’exemple italien, elle a certes son rond de serviette dans tous les médias des millionnaires. Mais cela n’explique pas tout. Comme si Marine Le Pen avait à la fois su capter, sans rien dire ni rien faire, le besoin « d’ordre » de classes moyennes peureuses face à ce mouvement social, et la colère des classes populaires, qui viennent de faire voler arbitrairement deux ans d’existence.

Dans ce contexte politique difficile, la France Insoumise n’a pourtant pas renoncé à présenter une liste d’Union Populaire aux prochaines Européennes. Pour faciliter un accord, sans a priori hégémonique, les Insoumis ont même proposé la tête de liste à la candidate des Verts. Selon un récent sondage Clusters 17 pour Le Point (26 mai 2023), une telle liste d’Union récolterait en effet 27%, et devant les Macronistes (23%), et devant le Rassemblement National (25%). Aimons-nous à ce point les défaites, qu’on puisse galvauder une telle opportunité au seul profit de quelques décimales boutiquières ?

La bonne nouvelle, c’est qu’une telle liste d’union continue toutefois à avoir de chauds partisans dans tous les partis concernés. Et qui le disent haut et fort. À l’Université d’Été de la France Insoumise, les AMFIS 2023, où plus de 4000 militant·es enthousiastes ont bravé pendant cinq jours les orages et les éléments (le camping des « jeunes » s’est même envolé !), Ségolène Royal a fait sensation en proposant de conduire elle-même une liste d’Union ! Je ne suis pas sûr que Ségolène Royal, qui a si longtemps incarné, avec François Hollande, le courant libéral au sein du PS, soit la mieux placée pour incarner une telle alternative politique. Je suis même sûr du contraire.

Mais cette proposition, si surprenante soit-elle, a au moins le mérite de crédibiliser une initiative unitaire, et de faire sortir la France Insoumise du ghetto politique où certains rêverait de l’isoler. « En dehors de l’arc républicain », comme le voudrait Cazeneuve, alors même que Sarkozy vient d’y réintroduire le Rassemblement National !

En conclusion de sa conférence aux AMFIS (car, signe des temps, ce n’est plus lui qui concluait le meeting final), Jean-Luc Mélenchon a ainsi pu lancer à la salle : « Jusqu’au dernier moment, nous nous battrons pour qu’il y ait une liste d’Union. Parce que si on passe devant Macron… Si on le bat… Lui, et le Rassemblement National… Comment termine-t-il son mandat ? Après avoir perdu les Législatives ? Après avoir perdu les Européennes ? Nous voulons être ceux qui pèsent sur les événements, ceux qui les changent. Pas ceux qui font du blabla autour, en comptant chacun leurs petites étiquettes.... Tout cela est absurde. Nous voulons une victoire ! C’est à ça qu’on travaille : une victoire ! Alors… Ou bien il y aura une liste d’Union… Ou bien… il y aura une liste des Unitaires ! Méditez. »

Traduction en langage gestuel : si l’union populaire ne peut se faire par les appareils, elle se fera, par la base, à travers des personnalités. Même s’il faudra sans doute, pour cela, être unitaire pour cinq !

Claude Semal le 29 août 2023.

(Une version de ce texte a été publiée par l'auteur sur asymptomatique.be ).

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