Il est parfois réconfortant, pour un chroniqueur à la petite semaine, de voir certaines de ses analyses politiques confirmées par les faits. Car lorsqu’on essaye de « penser par soi-même », on prend évidemment aussi le risque de se planter. Et l’expérience est un puissant projecteur qui éclaire la route… derrière soi ;-).

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À plusieurs reprises, par exemple ici (1), ici (2) et là (3), j’avais perçu le PCF de Fabien Roussel comme le « maillon faible » de la NUPES (4). Les derniers événements ont je crois conforté cette analyse. Car après la volonté du PCF de présenter seul des listes aux élections européennes de 2024, Fabien Roussel vient d’afficher la même ambition pour les présidentielles de 2027. Il a déclaré en outre ne pas (ne plus) se sentir lié par le programme commun de la NUPES de 2022, et vient encore d’insister lourdement sur la « nécessité » de développer le secteur nucléaire en France (ce qui est, il le sait, une divergence cardinale avec les écologistes et les insoumis – une autre étant son curieux rapport avec les syndicats les plus réacs de la police). Or quel serait le sens d’une « alliance politique » qui n’aurait plus ni programme commun, ni listes communes aux élections ? Aucun.
Roussel et le PCF veulent "y aller seul"...
« Avec Mélenchon, la gauche ne sera jamais majoritaire » vient encore de déclarer Monsieur 2,3 % … à celui qui en avait fait 22% en 2022 (5) – alors même qu’un sondage récent annonce encore Mélenchon au second tour contre Marine Le Pen dans sept cas de figures sur huit (6). En incarnant une sorte de « communisme » réac, jovial et franchouillard, qui semble trouver plus de vertus aux chasseurs et à Bernard Cazeneuve (7) qu’à Bompard (8) et Marine Tondelier (9), Fabien Roussel semble bien décidé « à aller seul » aux élections. Il est conforté dans cette voie par le dernier congrès du PCF, qui l’a reconduit à 80% à la tête de son parti. Et sa volonté politique exprimée est donc clairement de s’affranchir de la NUPES – et donc de la quitter. Ce qui mériterait peut-être un débat public. Car « Les Jours Heureux », le slogan électoral qu’il répète à l’envi, c’est peut-être un bon gimmick publicitaire pour le Club Med, mais cela ne fonde pas nécessairement une stratégie politique.
... mais c'est "le Grand Méchanlon" qui "casse son jouet" (sic)
Or le récit médiatique « mainstream » que l’on entend partout et tout le temps, c’est que si la NUPES est « en crise », c’est la faute au Grand méchant Loup, au Grand Méchant Long, au grand Méchant Mélenchon. À ce sujet, j’ai par exemple entendu dix fois cette phrase infantilisante : « Mélenchon veut casser son jouet », répétée en boucle et « ad nauseam » par Marianne, La Dépêche, RTL, Jadot, Le Figaro, France 2, etc… Faites vous-mêmes une recherche dans « Google » : vous serez stupéfaits du résultat.
La NUPES ne serait donc plus un accord programmatique entre forces progressistes, ni une stratégie d’union populaire pour conquérir le pouvoir, mais le « jouet » solitaire d’un vieil enfant capricieux et boudeur. Quelle indigence dans le commentaire ! Quelle bêtise dans l’analyse ! Et quelle paresse dans l’argumentation ! Car la stratégie dite « de révolution citoyenne », qui sert de matrice idéologique à l’Union Populaire, a été explicitée dans plusieurs livres ; elle est portée par l’ensemble des insoumis ; et en à peine quinze ans d’existence, elle semble devenue culturellement hégémonique dans la gauche française.
Qu’on la conteste si l’on veut (et si on le peut), mais cette stratégie a au moins le mérite d’exister, de développer une « gauche de rupture » à travers les luttes sociales, et de proposer électoralement une stratégie d’Union Populaire à vocation majoritaire.
Quoi d’autre, sinon ?
À part les diverses variantes du social-libéralisme de François Hollande – pour ceux du moins qui n’ont pas encore ouvertement rallié Emanuel Macron ? Le seul « rêve » porté par Fabien Roussel semble donc aujourd’hui de faire 6%, pour pouvoir rembourser ses frais de campagne, et devenir ensuite, on ne sait par quel miracle, le bagage accompagnée d’une social-démocratie miraculeusement expurgée des insoumis.
Ah, un BBQ bien saignant avec Hollande, Cazeneuve et Roussel, arrosé au Champagne dans les fumerolles des jardins de l’Élysée, comme ça doit faire rêver ! Mais pas moi. Car si l’on s’en tient à la réalité des faits, toutes les initiatives unitaires qui ont débouché sur la création de la NUPES ont été jusqu’ici prises par la France Insoumise. Et tous les torpillages postérieurs de cette alliance sont venus, a contrario, de ses partenaires : aux élections sénatoriales de 2023, aux élections européennes de 2024, et à présent, à l’élection présidentielle de 2027 !
C’est donc peut-être à cela aussi que « sert » la presse des milliardaires (10) et la télévision d’État : à casser les reins à la seule alliance politique de gauche en situation de renverser la table (c’est-à-dire l’actuelle NUPES) et à discréditer le seul candidat qui puisse, à ce jour, accéder en son nom au second tour des présidentielles (c’est-à-dire Mélenchon) (6).
Une comparaison injurieuse de Daniel Schneidermann...
Ce cadre général étant posé, cela n’exonère pas la France Insoumise de ses propres errements. Après d’autres dirigeant·es insoumis·es, c’est la députée Sophia Chikirou qui est aujourd’hui dans l’œil du cyclone médiatique. Élue députée de Paris en 2022, dès le premier tour et avec plus de 53,74 % des voix, Sophia Chikirou fut aussi, à deux reprises, la performante directrice de la communication des campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon en 2017 et en 2022. Mais si elle a beaucoup fait parler d’elle ces derniers jours, c’est d’abord parce qu’elle a reproduit sur sa page Facebook une chronique de Daniel Schneidermann comparant Fabien Roussel à … Jacques Doriot.
Avant la seconde guerre mondiale, cet ancien haut dirigeant communiste français est en effet passé, en quatre ans, du Komintern au national-socialisme, avant de basculer carrément dans la collaboration avec l’occupant nazi. Une belle figure de traître, d’intriguant et de salaud, aspiré par la « dark side » de l’Histoire, et qui a fini criblé de balles dans une bagnole. En un seul « tweet », Schneidermann vient sans doute d’exploser son capital de « points Godwin » pour les trente années à venir. Il a d’ailleurs presqu’aussitôt rétro pédalé, en s’en excusant, mais le mal était fait.
Un « dérapage » d’autant plus incompréhensible que Schneidermann est un fin connaisseur de la période de l’entre-deux guerres, pour avoir signé un passionnant bouquin sur l’attitude de la presse occidentale face à la montée du nazisme en Allemagne (« Berlin 1933 »). Une de mes lectures de l’été passé.
Ceci étant dit, la « porosité » entre une partie de la classe ouvrière organisée et le national-socialisme est un « vrai » sujet. Constatant ce phénomène, Wilhem Reich, alors membre du Parti Communisme Allemand, en avait tiré la matière du passionnant « Psychologie de Masse du Fascisme » (1933), en évoquant des structures idéologiques communes marquées par le patriarcat, le machisme, la violence et la soumission à l’autorité (je cite de mémoire, et cela fait quarante ans que je l’ai lu ;-) ). Mais cela n’a strictement rien à voir avec Roussel et le PCF aujourd’hui. En y accolant le nom infamant de Doriot, Schneidermann me semble avoir simplement cédé au plaisir crétin de « faire du buzz ».
... reprise telle quelle par Sophia Chikirou
Roussel / Doriot, c’était donc au départ la faute professionnelle d’un chroniqueur-journaliste généralement mieux inspiré. Mais en la partageant telle quelle sur sa page Facebook, Sophia Chikirou l’a transformée en faute politique qui rejaillit indirectement sur tous les Insoumis. Il y a en effet suffisamment de «bonnes » raisons pour critiquer la ligne sectaire, réac et pro-nucléaire de Roussel, pour ne pas devoir s’en inventer une aussi injurieuse que fantasmagorique.
Les Insoumis marchent déjà en terrain miné dès qu’ils poussent la porte d’un média. Les voilà désormais condamnés, pendant au moins quinze jours, à prendre sur leur maigre temps de parole pour « justifier » l’injustifiable et pédaler dans la choucroute. Rien de mieux à dire et à faire, vraiment ? La semaine passée, Mélenchon a ainsi encore été traité de « fou » sur la télévision du service public par Yann Moix et Léa Salamé – en son absence, mais en présence d’un Roussel silencieux et hilare (5). Et cela ne concerne malheureusement pas que les médias « de droite ». Dans « Libération », Charlotte Belaïch vient de signer un article à charge qui, sur deux pages, dézingue Sophia Chikirou de la première à la dernière ligne. Dans le premier paragraphe, elle lui attribue ainsi l’entière responsabilité de l’affaire Roussel / Doriot… sans même citer le nom de Schneidermann, qui est pourtant chroniqueur, douze pages plus loin, dans le même quotidien qu’elle ! (« Libé », 3 octobre 2023).
L'inutile ventilateur à merde
Reprendre à son compte l’injure Roussel = Doriot était donc une stupidité. D’autant qu’avec ou sans NUPES, les communistes et les insoumis sont et seront amenés à militer côte à côte dans des centaines de municipalités, de syndicats et d’associations en France. Or ce genre d’injures provoque mécaniquement des crispations partidaires, où chacun défend d’abord les intérêts de sa propre boutique. Misère ! Que de temps et d’énergie perdus, que de palabres inutiles, que de dégâts politiques et médiatiques, pour un simple « clic » compulsif – et l’orgueil mal placé de ne même pas pouvoir ensuite s’en excuser ! L’épandage du ventilateur à merde à 360°, dans toute son inutile efficacité.
Il s’est pourtant passé, ces dernières semaines, quelques événements qui auraient bien mérité, eux, de capter un peu plus de lumière.
D’abord, le formidable travail unitaire entrepris par les jeunes insoumis, socialistes et écologistes pour réactualiser le programme de la NUPES et pour pousser les « vieux » de leurs diverses formations à ne pas renoncer à une liste d’Union Populaire aux élections européennes. Mais les jeunes communistes, il est vrai, n’ont jamais participé à cette dynamique unitaire.
Ensuite, les discrètes négociations avec Poutou et Besancenot pour associer la NPA à une démarche unitaire aux élections européennes. Je les aime bien, moi, c’est deux là.
Enfin, la sortie chez Robert Laffont de « Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne », le nouveau livre de Jean-Luc Mélenchon. Un titre qui pourrait presque sembler testamentaire, mais qui résonne plutôt aujourd’hui dans la jeunesse comme un appel à lancer la bataille.
Je fais le pari qu'il y aura une liste d'Union Populaire
Quitte à faire des prédictions politiques risquées, en voici encore une : il y aura bien une liste d’Union Populaire aux prochaines élections européennes en France. J’en fais le pari. Elle comprendra au moins la France Insoumise, Générations, des personnalités et des morceaux d’autres organisations. La NUPES y survivra-t-elle ? Sous sa forme actuelle, probablement pas – le PCF l’ayant déjà dans les faits abandonnée.
Mais, sous une forme ou sous une autre, une autre structure unitaire s’y substituera, et ces élections européennes seront sans doute un moment clé de sa cristallisation. Car ce qui se profile déjà derrière – sauf si Macron dissout anticipativement les chambres –, ce sont les élections municipales. Vaste chantier. Et chacun·e devra alors, dans les multiples configurations des rapports de forces locaux, choisir la forme concrète de son engagement.
Y aura-t-il une prime aux initiatives unitaires ? C’est fort probable. Auront-elles un seul visage et un seul nom ? Cela m’étonnerait beaucoup. Elles prendront sans doute autant de formes qu’il y a de municipalités en France. Car la politique, sur le terrain, c’est toujours beaucoup plus compliqué que derrière son écran d’ordinateur ;-).
Claude Semal, le 6 octobre 2023.
(1) https://www.asymptomatique.be/la-nupes-unitaire-pour-cinq/
(2) https://www.asymptomatique.be/la-gauche-le-travail-les-allocs/
(3) https://www.asymptomatique.be/fabien-roussel-label-rouge/
(4) La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale, impulsée par la France Insoumise après les élections présidentielles de mai 2022, et qui avait présenté dans toute la France des listes communes aux législatives de juin 2022, autour d’une ébauche de programme gouvernemental commun. La NUPES regroupait LFI (La France Insoumise), le Parti Socialiste, le Parti Communiste, Europe Écologie Les Verts, Générations et le Parti Ouvrier Indépendant.
(5) « Quelle Époque », France 2, 30/9/2023
(6) Sondage Harris Interactive, sept 2023.
(7) Cazeneuve succède à Manuel Valls comme premier Ministre de François Hollande et démissionne du PS pour protester contre la création de la NUPES.
(8) Bompard est député LFI de Marseille et succède en 2022 à Adrien Quattennens comme coordinateur de la France Insoumise.
(9) Marine Tondelier a été élue en 2022 secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts.
(10) 90 % de la presse et des médias appartiennent en France à neuf milliardaires.