Claude Semal (avatar)

Claude Semal

Claude Semal est un auteur, acteur, chanteur et chroniqueur bruxellois

Abonné·e de Mediapart

28 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 mai 2022

Claude Semal (avatar)

Claude Semal

Claude Semal est un auteur, acteur, chanteur et chroniqueur bruxellois

Abonné·e de Mediapart

Pap Ndiaye au gouvernement : LA BORNE ET LA LIMITE

En ce sens, je vois très bien ce que monsieur Pap Ndiaye pourrait faire demain avec un gouvernement de la NUPES. Mais je ne vois pas du tout ce qu'il fera tantôt avec Emmanuel Macron, Bruno Lemaire, Darmanin, Dupont-Moretti et Damien Abad. Le sait-il lui-même ?

Claude Semal (avatar)

Claude Semal

Claude Semal est un auteur, acteur, chanteur et chroniqueur bruxellois

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Pap Ndiaye

Le profil du nouveau gouvernement français, conduit par Madame Borne, a judicieusement été ainsi résumé par Irène (Kaufer) :

"Comme promis lors de son intronisation, Macron II ne ressemblera en rien à Macron I.

Virage dans la politique économique : au ministère de l'Economie, Bruno Le Maire est remplacé par Bruno Le Maire.

Plus de violences policières : à l'Intérieur, Gérald Darmanin succédera à Darmanin Gérald.

Les Sceaux de la Justice seront mieux gardés : Dupont-Moretti sera remplacé par Moretti-Dupont.

Et le tournant vers la gauche frôlera le demi-tour : au ministère des Solidarités, le nouveau promu est Damien Abad, ex-chef de groupe LR (droite) à l'Assemblée nationale".

Ce profil, c'est la colonne vertébrale du programme d'Emmanuel Macron, la clé de voûte de sa politique "de classe", cette "Règle Numéro Un" qui toujours s'applique et jamais ne s'exprime : "Mes amis les riches, mes ennemis les pauvres".

En démocratie, toute la difficulté des Macron et Cie sera dès lors de se faire élire par les pauvres, généralement majoritaires, pour appliquer la politique des riches, hélas ridiculement peu nombreux. Croyez-moi, c'est tout un art. La Règle Numéro Un a donc un corollaire immédiat, que nous appellerons "Règle Numéro Deux" : "brouiller impérativement les cartes". Car sans ce corollaire, la Règle Numéro Un est malheureusement totalement inapplicable.

En 2017, Emmanuel Macron s'est ainsi fait élire en publiant un livre au titre carrément guévariste, "Révolution", ce qui, en vertu de la Règle Numéro Deux, semblait un excellent titre pour conduire ensuite une politique contre-révolutionnaire. Pour réussir ce tour de passe-passe idéologique, le président français disposait heureusement d'un atout de poids : les médias. Ses riches amis, vraiment peu nombreux, mais vraiment très riches, s'étaient en effet offert la quasi totalité de la presse écrite et des médias audiovisuels. Quand on doit, au moment crucial, vendre sa camelote, cela aide. Avant même que Macron ne soit officiellement candidat, en 2017, quelques dizaines de couvertures de presse en attestaient dans les kiosques.

Mais Emmanuel Macron peut également compter sur nous. Car en chaque lecteur lambda, sommeille souvent une insatiable mouche à merde, un petit diptère avide de polémiques gluantes, un amateur de bouses de bison et autres news parfumées aux dessous de bras. Offrez-nous un quelconque caca médiatique, et nous nous précipiterons dessus en agitant frénétiquement nos petits élytres. Mieux : nous amplifierons nous-mêmes l'affaire, en allumant illico le ventilateur à merde des réseaux sociaux. Grâce à cette gracieuse prédisposition psychologique, les fins stratèges élyséens peuvent à l'infini décliner cette vieille ruse militaire : "Faire Diversion". Et ce sera notre Règle Numéro Trois. En saturant ainsi le champ médiatique avec quelques cornichonneries choisies, ils arrivent à spectaculairement masquer le fond de l'affaire et les trous du panier. Exemple ? Crise climatique oblige, nous n'aurons bientôt plus assez d'eau pour arroser nos champs et remplir nos piscines municipales. Qu'importe ! Ce dont on discute interminablement sous la douche, c'est de la taille des maillots de bain supposés "harams" ou "républicains". Bikini ou burkini ? Au fou !

Mais revenons au gouvernement de Madame Borne. On l'a vu, ce qui le caractérise globalement, c'est la continuité d'une équipe et d'une orientation politique. À droite. Bien à droite.

Il lui a pourtant suffi de nommer monsieur Pap Ndiaye Ministre de l'Éducation Nationale pour allumer une polémique aussi vive qu'un coup de muleta cinglant les couilles d'un taureau andalou. Même la presse "mainstream" s'en est aperçu : monsieur Pap Ndiaye est "le paravent parfait pour faire oublier que ce gouvernement a reconduit beaucoup de sortants et que les postes clés restent détenus par les mêmes" (Le Républicain Lorrain, 22 mai 2022). La fachosphère s'est d'ailleurs immédiatement déchaînée contre ce ministre franco-sénégalais à qui l'on avait "osé" confier Astérix, Jeanne d'Arc et l'Histoire de France.

Cette hystérie mise à part, il n'y a bien sûr aucune cohérence programmatique entre le modèle néo-libéral porté par Jean-Michel Blanquer, le précédent Ministre de l'Enseignement, qui prétendait éradiquer un soit disant "islamogauchisme" des universités françaises, et le directeur du Musée de l'Histoire de l'immigration, spécialiste de l'histoire sociale aux Etats-Unis, qui avait régulièrement évoqué le racisme "structurel" et post colonial de la société française. Comme cela n'a aujourd'hui aucun sens d'asseoir ôte à côte, à la table du même conseil des ministres, un Darmarin (promu) qui trouvait Marine Le Pen "trop molle", et un Pap Ndiaye (otage), qui a toujours dénoncé "les violences policières".

Tout cela n'a de toutes façons pas beaucoup d'importance. Monsieur Pap Ndiaye n'est pas au gouvernement pour parler de son programme, et encore moins pour l'appliquer. Il est là pour qu'on ne parle pas de tout le reste.

"Libé" propose une autre explication, plus psychologique et plus sentimentale. "Emmanuel Macron souffre du regard que la gauche a sur lui" (Libé, 23 mai 2022). Cette nomination serait donc thérapeutique. Allo Manu Bobo, avec Pap Ndiaye dans le rôle du grand médium sénégalais, qui soignerait "l'impuissance, les envoûtements, les pertes d'argent et les retours d'affections" ? Je n'y crois pas une seconde. J'imagine plutôt Macron porté comme d'hab' par son "hubris", cette jouissance démesurée et perverse du pouvoir, qui lui a par exemple fait reconduire Dupont-Moretti au Ministère de la Justice, alors que le célèbre avocat d'affaires est aujourd'hui mis en examen "pour prises illégales d'intérêts". Pourquoi Macron s'inquièterait-il du regard des autres, et qui plus est "de la gauche", quand il se moque aussi manifestement de la moralité publique la plus élémentaire ? Au contraire, j'imagine Macron "jouir" et se "réjouir" du "coup politique" qu'il pense avoir porté à ses adversaires, en sacrifiant une fois de plus toute stratégie politique cohérente au petit bonheur d'un spectaculaire tête-à-queue tactique.

Oui mais voilà. Les Français en ont peut-être marre de recevoir des "coups" – fussent-ils médiatiques. Ils préfèreraient savoir où ils vont. Savoir comment ils vont tantôt pouvoir se chauffer, manger et se loger. Être rassurés sur le niveau de leurs salaires, de leurs pensions et sur le financement leurs études. Être rassurés sur l'état de leurs hôpitaux et de leurs universités. Être rassurés sur la façon dont ils pourront collectivement réussir cette "bifurcation écologique" qui seule pourra répondre au gigantesque défi du réchauffement climatique.

Or paradoxalement, ce n'est pas le gouvernement, mais l'opposition de gauche rassemblée, qui incarne aujourd'hui cette stabilité, cette sécurité d'avenir, cette vision d'espérance. C'est la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale qui porte un programme commun aux législatives, qui devrait enfin réconcilier la société avec elle-même, le gouvernement avec les classes populaires, et l'homme et la femme avec la nature.

En ce sens, je vois très bien ce que monsieur Pap Ndiaye pourrait faire demain avec un gouvernement de la NUPES.

Mais je ne vois pas du tout ce qu'il fera tantôt avec Emmanuel Macron, Bruno Lemaire, Darmanin, Dupont-Moretti et Damien Abad. Le sait-il lui-même ?

Claude Semal 23 mai 2022

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.