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La France semble être tombée dans une faille spatiotemporelle, un accélérateur de particules, un maelström politique, qui en quelques jours a arraché tous les masques, délié les langues de bois, dévoilé les cœurs, et reconfiguré toutes les alliances politiques. Je n’ai jamais vu ça.
On comprend que l’électeur lambda peine à y retrouver ses repères – et que tous les coups et toutes les manipulations semblent désormais possibles.
Voilà Éric Ciotti, le président des « Républicains », qui rallie séance tenante le Rassemblement National avec armes et bagages !
Voilà François Hollande et Philippe Poutou, le rose pâle et le rouge vif, candidats dans les rangs du même nouveau Front Populaire !
Voilà François Ruffin qui s’emporte contre ses ex (?) camarades de la France Insoumise, et parle en interview à TF1 de Jean-Luc Mélenchon, 22% aux présidentielles de 2022, comme d’un « obstacle » à la victoire du Front Populaire ! (1).
Espère-t-il vraiment être mieux élu en Picardie – comme ses ami·es partout ailleurs en France – en tournant le dos à ce qui est aujourd’hui la principale force militante de la gauche ? Personnellement, je doute du résultat.
LE FOUET ET LE BAILLON
Car le seul vrai danger aujourd’hui, c’est l’arrivée au pouvoir en France d’une extrême-droite raciste. Et la seule véritable alternative, c’est l’espoir d’un gouvernement de gauche mettant rapidement en œuvre quelques fortes mesures sociales.
« Dans trois jours, j’irai vivre en FACE. C’est comme la FRANCE, mais sans le RN ».
Pourtant, dans la plupart des grands médias mainstream, les chiens de gardes du système ne font même plus semblant d’être des « journalistes ».
Ils sont quelques dizaines, désormais, dans les journaux et sur les plateaux TV, à militer ouvertement pour la Macronie, la droite ou l’extrême-droite, en transformant chaque interview d’un candidat insoumis en un lynchage hargneux où le mot « antisémitisme », répété ad nauseam, sert à la fois de fouet et de bâillon.
Pourquoi un engagement aussi offensif des grands médias contre la gauche ?
Il y a bien sûr l’ombre portée du conflit israélo-palestinien – car certains journalistes sont des soutiens inconditionnels d’Israël. Alors que la France Insoumise, qui a dénoncé le pogrom du 7 octobre comme un crime de guerre, défend aussi le respect du droit international et les droits des Palestiniens, et dénonce surtout les massacres en cours à Gaza. Et que ce sujet a évidemment une forte charge émotionnelle.
Mais il s’y ajoute une autre raison : la défense des intérêts économiques particuliers des propriétaires de ces médias. C’est que, contrairement aux promesses du Rassemblement National, vagues et conditionnelles, les mesures sociales du nouveau Front Populaire, elles, sont explicitement financées. Comment ? Notamment en taxant les multinationales – qui exportent aujourd’hui leurs bénéfices en ne payant pratiquement pas d’impôts en France ; en taxant les plus grosses fortunes – qui ont spectaculairement augmenté leur patrimoine sous le règne du banquier d’affaire Macron ; et en taxant les plus riches des contribuables – dont font précisément partie ces quelques millionnaires qui ont racheté en bande tous les médias français.
Non par amour philanthropique pour la liberté de la presse, mais pour y placer leurs éditorialistes réactionnaires, et y défendre chaque semaine leurs intérêts de classe. Bolloré en est l’archétype – mais ils sont neuf ou dix dans cette situation. L’hebdomadaire « Marianne » est la plus récente victime d’une de ces OPA. Faut-il s’étonner si ces éditocrates appointés, au service de la main qui les nourrit, tirent ensuite à boulets bleus sur un Front Populaire qui va faire les poches de leurs patrons ?
UNE « DÉSUNION » DE LA GAUCHE… SANS LES INSOUMIS
Mais revenons à « l’antisémitisme ». D’abord brandi comme un « rayon paralysant » par les soutiens inconditionnels de l’État d’Israël et de Netanyahu, pour flétrir toutes celles et tous ceux qui s’opposaient à la guerre génocidaire à Gaza (… y compris le Pape, l’ONU et la Cour Pénale Internationale !), ce qualificatif infamant « d’antisémite » est désormais quotidiennement instrumentalisé pour discréditer la France Insoumise et Mélenchon.
Par la Macronie, bien entendu. Par le Rassemblement National, qui n’en revient toujours pas qu’on ait pu aussi opportunément oublier ses « détails de l’Histoire » et autres « Durafour crématoire ». Mais malheureusement aussi, par une partie de la gauche « hollandaise », qui utilise ce fallacieux prétexte pour prôner une sorte de « Désunion de la Gauche » expurgée des Insoumis.
Dans une telle ambiance pourrie, des « personnalités » comme Manuel Vals, Bernard Cazeneuve, Élisabeth Lévi ou Pierre Arditi, ont jugé indispensable et urgent de publier des tribunes dans la presse pour affirmer leur refus de choisir entre un candidat fasciste du Rassemblement National et une candidate de La France Insoumise ! (2) Est-ce vraiment là prendre la mesure du péril qui nous menace ?
N’importe quel imbécile en état de lire peut en effet constater que « L’Avenir en Commun », le programme de la France Insoumise, est un programme 100% humaniste et républicain, alors que celui du Rassemblement National, c’est le simple abécédaire d’un apartheid à la française ! Celui qui exclurait les Français binationaux certaines professions, comme les Juifs autrefois sous l’administration de Vichy ! Faut-il vraiment être un ancien Premier Ministre hollandais ou une philosophe pensionnée pour ne pas s’en apercevoir ?
Dans ce nouvel univers orwellien, un homme comme Serge Klarsfeld, le vieux « chasseur de nazis », peut ainsi appeler à voter pour… le Rassemblement National, un parti fondé par un ancien Waffen-SS et un ancien milicien vichyste, et plusieurs fois condamné depuis pour racisme, antisémitisme et négationnisme ! Ce qui n’a jamais été le cas, rappelons-le, pour aucun militant ou dirigeant insoumis. Or l’antisémitisme est en France un délit qui, s’il avait été avéré, aurait donné lieu à des poursuites judiciaires. À défaut, il s’agit « simplement » d’imputations diffamatoires, qui ne deviennent pas des vérités parce qu’on les répète en boucle sur les plateaux télés.
LE COUP DE POKER RATÉ DE MACRON
Après les 32% du Rassemblement National aux élections européennes, Macron a pris tout le monde de court en décrétant dans la foulée la dissolution des Chambres et des élections législatives anticipées. En se croyant très malin. Selon « Le Monde », il se serait déclaré « ravi » de la dissolution en en déclarant : « Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes » (2). Déclaration d’autant plus obscène que le Président de la République était alors en train de commémorer le massacre nazi d’Oradour-sur-Glane.
En imposant une campagne électorale éclair juste avant les Jeux Olympiques, Macron espérait probablement rester le « maître du jeu » en mettant en scène son habituel face-à-face avec le Rassemblant National – et en appelant alors toutes les autres forces politiques « à faire barrage au RN ». La gauche, pensait-il, était de son côté trop divisée pour pouvoir utilement réagir dans les délais. De plus, en figeant le soir même le corps électoral, il excluait de fait du scrutin les onze millions de Français non-inscrits ou mal-inscrits des listes électorales – là où la gauche aurait sans doute pu aller chercher des réserves de voix, comme les Insoumis le firent aux Européennes en allant toquer à 178.000 portes dans les tours et les bourgs.
Seulement voilà. En quatre jours et quatre nuits, sous la pression des syndicats et du mouvement social, toutes les forces « de gauche » arrivaient dans l’urgence à former un nouveau Front Populaire, à matérialiser les points essentiels d’un programme de gouvernement, et à présenter des candidats communs face à l’extrême-droite dans toutes les circonscriptions. Et c’est ce nouveau Front Populaire qui incarne désormais dans les sondages l’alternative à Bardella / Le Pen, loin devant les Macronistes en déroute.
En renvoyant ses propres députés à la maison, Macron s’est simplement tiré une balle dans le pied. Mais, comme on va le voir, sous la Vème République, son pouvoir de nuisance reste entier. Macron a alors en vitesse remplacé son habituel bla-bla sur le « barrage » à opposer au RN, la tactique du castor qui l’avait fait élire en 2017 et en 2022, par un nouveau discours sur « les deux extrêmes », en renvoyant cyniquement dos à dos l’extrême-droite et la France Insoumise – quand ce n’était pas le Front Populaire tout entier.
QUELLE MAJORITÉ PARLEMENTAIRE ?
Quel visage aura la nouvelle Assemblée Nationale après le 7 juillet, et quelle majorité gouvernementale pourrait s’en dégager ?
Bien que le RN ait actuellement le vent en poupe, je ne crois pas à une possible majorité parlementaire « mariniste », même avec le renfort des (mal nommés) « Républicains » R-Haineux de Ciotti. Mais il sera également très difficile, au vu des derniers sondages, de bâtir une majorité parlementaire acquise au nouveau Front Populaire. Puisqu’au second tour, de nombreux électeurs de droite préfèreront s’abstenir ou voter RN que de voter pour un·e candidat·e « de gauche ». Et que même « à gauche », comme on l’a vu, certain·es ont ignominieusement appelé à ne jamais voter pour un·e candidat·e de la France Insoumise, même en cas de duel avec le RN.
Raison pour laquelle les Macronistes, même très minoritaires dans l’assemblée, espèrent rester « au centre du jeu » en servant de pivot à une alliance avec la droite hors RN ou avec le centre-gauche. Ne jamais oublier que Macron a été couvé par François Hollande, et qui si Flamby revient à l’Assemblée comme député, même sous la bannière « Front Populaire », ce ne sera certainement pas pour passer les plats à Mélenchon !
QUELLE FORCE HÉGÉMONIQUE À GAUCHE ?
Avec 19 et 22% aux élections présidentielles de 2017 et de 2022, Mélenchon et les Insoumis pensaient avoir nettement pris l’ascendant sur les autres forces de gauche, toutes nettement distanciées lors de ces deux scrutins. Mais malgré la création de la NUPES dans la foulée, le PCF, le PS et les Écologistes ont saisi toutes les occasions depuis pour rééquilibrer ce rapport de forces en leur faveur – au détriment d’un certain « état d’esprit » unitaire.
Aux élections sénatoriales, ces trois partis ont fait leurs petits arrangements entre eux, en excluant complètement la France Insoumise des accords. Aux élections européennes, ils ont également choisi de courir sous leurs propres couleurs, en refusant une liste commune avec LFI – même lorsque la tête de liste fut proposée aux écologistes. Il est donc probable que, même élus sous la même bannière « Front Populaire », les députés de gauche se structureront en différents groupes parlementaires – qui ne conduiront pas nécessairement la même politique, ni la même politique d’alliance.
Certain·es rêvent en effet d’une sorte « d’Union de la Gauche » bis d’où seraient exclus Mélenchon et la France Insoumise – mais qui pourrait par contre accueillir certains de leurs « dissidents ». « L’Express » du 15 juin a par exemple révélé que plusieurs réunions avaient été organisées avec eux en ce sens avant même la création du « Front Populaire » (3). Au final, tout dépendra donc du nombre et de la qualité des élu·es – et du rapport de forces entre ces différentes « familles » politiques. François Hollande, François Ruffin, combien de divisions ?
« L’ARTICLE 16 » : UN COUP D’ÉTAT CONSTITUTIONNEL
Mais en cas de blocage parlementaire, et/ou d’événements exceptionnels (comme un attentat pendant les Jeux Olympiques), Macron pourrait aussi nous réserver « la surprise du chef » : utiliser l’article 16 de la Constitution de la Vème République, qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République, qui lui permet notamment contourner le Parlement ! Une sorte de « coup d’état » légal, bien dans la psychologie d’un Président qui, de la crise des Gilets Jaunes à la réforme des pensions, et du 49.3 à la dissolution de l’Assemblée, semble toujours avoir privilégié un certain exercice solitaire et frontal du pouvoir. Ce n’est pas pour rien que Mitterrand, qui y avait consacré un livre, dénonçait la Constitution de la Vème République comme « un Coup d’État Permanent ».
Entré à l’Élysée sous le signe solaire de Jupiter, Macron pourrait en sortir sur les traces erratiques de Néron – après avoir éborgné la rue, désespéré Billancourt et incendié l’Assemblée Nationale.
Il reste trois jours pour barrer la route au Prince déchu.
Et aux cravates brunes de Bardella.
Claude Semal, le 27 juin 2024.
Deux Youtubeurs assez affutés sur la question, Dany et Traz, lisent et commentent l’article de l’Express :
https://www.youtube.com/watch?v=4mLTTIblSAo&t=170s
(4) L’avis d’Uzul, toujours intéressant : https://www.youtube.com/watch?v=cO3T4AkGu-4