Les auteurs ont pris en charge 300 patients sur 4 ans à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Tous ces patients pensaient être atteints d’une forme tardive de la maladie de Lyme, d'après leurs propres conclusions ou celles de leur médecin traitant. Cette étude affirme qu'en réalité seuls moins de 10% des patients souffriraient réellement d'une borréliose de Lyme.
Le Pr Caumes affirme ainsi démontrer que près de 90% de ces patients auraient en réalité une autre pathologie, souvent liée à des problèmes psychologiques ou psychiatriques, et que ces diagnostics erronés conduiraient aussi à une surconsommation d'antibiotiques. Cependant, comme nous allons le voir, l'article du Pr Caumes tourne le dos à la plus élémentaire rigueur scientifique.
Dans cette étude, les critères retenus pour conclure qu'un patient souffre réellement d'une borréliose de Lyme sont au nombre de quatre :
- savoir si le malade a été exposé ou mordu par une tique.
- présenter des signes cliniques typiques.
- développer une sérologie positive à Borrelia, détectée par ELISA et Western blot.
- disparition de tous les signes et symptômes dans les 3 mois suivant le traitement antibiotique.
Critère n°1. Les publications scientifiques indiquent que la piqûre de tique est indolore, l'érythème migrant souvent absent, et que la majorité des patients n'a pas le souvenir d'avoir été piqué. Sur ce seul critère sans justification scientifique, le Pr Caumes écarte ainsi le diagnostic de borréliose pour une large fraction de ses patients.
Critère n°2. L'étude indique très explicitement : Des symptômes prolongés inexplicables comme la fatigue (…) des troubles de concentration (…) des douleurs articulaires n'ont pas été considérés comme caractéristique de la borréliose de Lyme. Cette phrase est impressionnante par son négationnisme scientifique. Il est parfaitement exact que chacun de ces symptômes, pris isolément, peut être présent dans d'autres pathologies. En revanche, il a été montré par un service américain d'excellente réputation (Rebman 2017), que la triade fatigue, troubles de la concentration et douleurs articulaires, évoque avec une très forte probabilité une maladie de Lyme tardive. Cette conclusion est reprise dans le récent rapport du Département de la santé des USA, Tick-Borne Disease Working Group 2018 to Congress.
Critère n°3. Il est établi qu'un traitement antibiotique, même s'il ne parvient pas à éliminer totalement Borrelia, aboutit en revanche à une baisse du titre d'anticorps anti-Borrelia ou à sa négativation, cette sérologie étant instable. Le nombre de « non-Lymes » peut ainsi augmenter, selon les critères du Pr Caumes.
Critère n°4. De nombreux articles scientifiques montrent que des formes dormantes, ou persistantes, de la bactérie Borrelia sont peu sensibles aux antibiotiques utilisés en première intention. Si les traitements actuels (notamment doxyxycline ou ceftriaxone) permettent d'obtenir des améliorations notoires, les guérisons complètes sont plus rares pour les formes complexes de la maladie, les patients ne retrouvant généralement pas totalement leur qualité de vie antérieure (Berende 2016). Aucune publication scientifique ne permet aujourd’hui d’étayer le critère n°4 du Pr Caumes. À savoir, que lors d’une forme tardive véritable de maladie de Lyme, il y aurait une disparition des signes et symptômes dans les 3 mois suivant un traitement antibiotique.
Les scientifiques honnêtes reconnaissent aujourd'hui que la maladie de Lyme chronique est difficile à diagnostiquer, mais également à soigner. Aussi est-il urgent de faire des recherches pour disposer de nouveaux tests diagnostics et identifier des bactéricides plus efficaces.
Après un diagnostic différentiel poussé (exclusion d’autres maladies possibles), devant un patient qui présente une fatigue sévère, des douleurs articulaires intenses et des troubles invalidants de la cognition, un médecin honnête dira : je n'ai pas de certitude, mais il y a une forte probabilité que vous souffriez de la maladie de Lyme. Le Pr Caumes, face à une situation identique affirme qu'il ne s'agit pas de la maladie de Lyme, et que dans 30% des cas cela relève de la psychiatrie.
Par ailleurs, une étude publiée par les éditions Nature, établit que 85% des personnes infectées par Borrelia souffrent de co-infections impliquant d'autres pathogènes (bactéries, parasites, virus) injectés lors de la piqûre, par la tique (Garg 2018). Le tableau clinique sera donc le résultat de l’ensemble des co-infections. Borrelia n'est alors pas le seul microbe à combattre. Ces données épidémiologiques sont totalement ignorées dans l'article de Haddad (2018).
Parmi les 300 patients de la Pitié-Salpêtrière qui pensaient souffrir de Lyme, il est fort probable que certains d'entre eux avaient une autre pathologie. Mais nous constatons que l'affirmation du Pr Caumes, selon laquelle 90% d'entre eux n'en souffraient pas, repose sur des critères fantaisistes et non scientifiques.
Cet article aura deux conséquences graves. La première est d’accroître le phénomène d'errance thérapeutique pour nombre de personnes souffrant d'une borréliose de Lyme tardive, disséminée. C'est déjà trop souvent le cas. Ces patients ne verront leur pathologie correctement prise en charge qu'après des mois ou des années d’une lente et insidieuse dégradation physique. Période durant laquelle ils entendront ce désastreux diagnostic expliquant que leurs souffrances relèvent de la psychiatrie.
La deuxième conséquence est que le Pr Caumes trompe le public et surtout ses nombreux collègues, souvent médecins généralistes, qui connaissant peu cette maladie, vont facilement se référer à cette singulière position de ce grand spécialiste des maladies infectieuses. Ils ignorent que ce spécialiste utilise des critères personnels, non scientifiques, pour écarter le diagnostic de maladie de Lyme et proposer à la place des diagnostics aux contours souvent flous, affirmant ainsi qu’environ 30% de ces faux Lyme souffriraient "d'association de pathologies, ou d'affections variées, ou d'affections indéterminées". On s'interroge alors sur la nature des traitements prescrits suite à de tels diagnostics.
L'article du Pr Caumes n'aidera ni les patients, ni les médecins, et encore moins à la compréhension physiopathologique de la maladie.
Alain Trautmann, chercheur CNRS émérite à l'Institut Cochin, membre du Conseil Scientifique de la FFMVT (Fédération Française Contre les Maladies Vectorielles à Tiques).
Raouf Ghozzi , médecin interniste à l’Hôpital de Lannemezan, président de la FFMVT.
Hugues Gascan, immunologiste, directeur de recherche au CNRS et ancien directeur d’Unité Inserm, vice-président du Conseil Scientifique de la FFMVT.
Références
Haddad, E. et al. Holistic approach in patients with presumed Lyme borreliosis leads to less than 10% of confirmation and more than 80% of antibiotics failure. Clin. Infect. Dis. (2018).
Rebman, A. W. et al. The Clinical, Symptom, and Quality-of-Life Characterization of a Well-Defined Group of Patients with Posttreatment Lyme Disease Syndrome. Front Med (Lausanne) 4, 224 (2017).
Berende, A. et al. Randomized Trial of Longer-Term Therapy for Symptoms Attributed to Lyme Disease. N. Engl. J. Med. 374, 1209–1220 (2016).
Garg, K. et al. Evaluating polymicrobial immune responses in patients suffering from tick-borne diseases. Sci Rep 8, 15932 (2018).