Les hommages de la honte…
Le titre barre la une de Médiapart, qui s’insurge à raison contre les commentaires complaisants par lesquels les politiques de droite et les médias grand public saluent la mort de Jean-Marie Le Pen. À cette occasion, les Bayrou et compagnie ne font que se déshonorer un peu plus. Affirmer que les chambres à gaz sont un détail de l’histoire, ce n’est pas une polémique, c’est une saloperie. Torturer, ce n’est pas un dérapage, c’est un crime.
Moi, ce qui m’étonne, c’est l’étonnement que suscitent ces commentaires dégoûtants (qui dégoûtent). Bien sûr, vous avez raison, Mathieu Dejean, il est scandaleux de faire silence sur ce que Jean-Marie Le Pen a vraiment été, sur ce qu’il a vraiment dit et fait. Mais qu’attendiez-vous d’autre ? Qu’attendiez-vous des médias qui tous, chaînes du service public en tête, et bien avant Bolloré, ont FAIT Le Pen ? Cela a été dit maintes fois : Le Pen n’a existé politiquement que parce qu’il a existé médiatiquement. Et l’on a refait pour la fille ce qu’on avait fait pour le père !
Le 13 février 1984, sur Antenne 2, L’Heure de vérité, première grande émission télévisée (1 h 20) ayant Le Pen comme invité vedette. Cette invitation a fait débat dans la rédaction d’Antenne 2, qui a organisé la veille un vote interne, pour ou contre. À une voix près, l'invitation a été maintenue. Alain Duhamel, qui faisait partie de l’équipe de journalistes de l’émission, a voté pour l’invitation de Le Pen. Quarante et un ans plus tard, le même Duhamel commente sur BFM-TV le décès du même Le Pen, qu’il a contribué à mettre en lumière.
Le 13 septembre 1987, on crie au scandale parce que Le Pen a déclaré : « Les chambres à gaz sont un point de détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale ». Où a-t-il fait cette déclaration ? Dans une émission radiotélévisée, Le Grand Jury RTL-Le Monde, dont il était l’invité vedette. Était-il indispensable de l’y inviter ?
Le 1er juin 1994, au Journal de 20 heures de France 2, le journaliste Paul Amar met en scène Le Pen qui va débattre avec Bernard Tapie. Il dépose sur la table des gants de boxe supposés convenir à cet affrontement. Dans l’inconscient collectif de millions de Français, Le Pen apparaît, l’espace d’un instant, comme un personnage mythique, mélange d’un Belmondo bagarreur et d’un grand champion de boxe.
On apercevra le vrai Le Pen à la télévision en mai 1997. Pendant la campagne pour les élections législatives, à Mantes-la-Jolie, où il est venu soutenir sa fille Marie-Caroline, candidate, il agresse physiquement la candidate socialiste, qui par hasard se trouvait sur son chemin. L’image de cet homme en bras de chemise, écumant de rage comme prêt à mordre, la bave aux lèvres, s’en prenant brutalement à une femme, cette image est d’une rare violence et montre ce que Le Pen était vraiment : un voyou.
Un voyou qui faisait de l’audience à la télévision. Ça rapporte, Le Pen, en publicités, en tirages, en marge brute et en bénéfice net. Bizness is bizness. Et le pognon étant, de nos jours plus que jamais, la valeur suprême, les chaînes de télé, de radio, se déchaînent aujourd’hui en matinales, en invitations, en émissions spéciales, pour recevoir servilement les héritiers de Le Pen : sa fille Marine qui a, comme son père, fréquenté de vrais nazis ; Bardella, qui est venu au Front national dès l’âge de 15 ans, tellement il admirait le père Le Pen ; et tous les autres, qui n’ont rien à dire, mais répètent sur tous les tons que l’immigration est le problème numéro un, ce qui fut, pendant trente ans, le fonds de commerce du père Le Pen.
Bien sûr, il ny a pas que l’argent qui explique le succès médiatique de ces gens-là. Mais puisque je parle d’argent, et soit dit entre parenthèses, il y a un autre sujet sur lequel, concernant Le Pen, ces messieurs-dames font silence : comment il est devenu multimillionnaire, propriétaire du château et du domaine de Montretout, par captation de l’héritage Lambert.
Revenons au présent. Nous vivons dans un pays où le chef de l’État s’assoit sur les résultats d’élections qu’il a lui-même provoquées ; où siègent au gouvernement des amis d’un ancien président de la République et de trois anciens ministres qui, en ce moment même, comparaissent devant la justice pour corruption et association de malfaiteurs ; où les trois quarts de la presse sont dans les mains et sous le contrôle de milliardaires n’ayant qu’un objectif : le profit ; où règnent au plus haut niveau le mensonge, la corruption et la recherche permanente du bénéfice personnel immédiat.
Sera-t-il possible, dans ce pays, de rétablir publiquement la vérité, la lumière et une vraie démocratie ? Va-t-on pouvoir enfin se débarrasser de l’héritage puant de Le Pen, qui est une triste honte au pays de (entre des milliers d’autres) Victor Hugo et Simone Weil ?
Claude Albareil