Le Président de la République française est élu au suffrage universel direct à la suite du référendum du 28 octobre 1962, qui recueillit 62% de oui. De Gaulle avait pris quelques libertés avec la Constitution pour mettre en place ce référendum, mais il avait obtenu gain de cause.
Selon lui le Président ne pouvait être, à son image, qu’un homme dialoguant directement avec le peuple. Seules comptent alors la personnalité du Président et sa relation – réelle ou supposée – avec la nation. En 1965, pour la première élection présidentielle au suffrage universel, le candidat de Gaulle ne jugea pas nécessaire de faire campagne. Son nom devait suffire. Pas question de programme, c’est l’affaire des partis ! Le Président n’est pas dans les cuisines, il est au-dessus. Il parle de la grandeur de la France, de son indépendance, de son rayonnement. .
Soixante ans après, que constatons-nous ?
Cette vision d’un Président se situant au-dessus de la classe politique, élu par le peuple en vertu d’un lien quasi divin, cette vision pouvait peut-être avoir un sens à l’origine, en raison du rôle historique de de Gaulle. Mais elle n’a cessé depuis de se dissoudre dans les stratégies partisanes et les ambitions personnelles. Ce qui était la raison d’être de ce mode d’élection a disparu totalement, et depuis longtemps.
Dès que de Gaulle fut parti, l’élection présidentielle est devenue la préoccupation majeure et constante des politiques. Elle a accaparé l’espace médiatique et perverti le débat démocratique. À peine un nouveau Président était-il élu que déjà dans la presse on supputait les chances de potentiels candidats pour la prochaine élection, aiguisant des ambitions qui n’en demandaient pas tant. Car le poste est trop tentant pour tout politique avide de pouvoir !
Selon la Constitution de 1958 :
« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics… » (art.5)
« Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. » (art.20)
Les Présidents de la République successifs ont allègrement ignoré ces deux articles de la Constitution, au respect de laquelle ils étaient chargés de veiller. Loin d’être des arbitres, ce sont bien eux qui déterminent et conduisent la politique de la nation. Cet autoritarisme absolu est devenu caricatural avec M. Macron, chef suprême qui décide de tout, y compris de ce qui, en aucun cas, ne devrait être de son niveau. Et le Premier ministre n’est plus, depuis longtemps, que le premier collaborateur du Président, l’exécutant de ses volontés.
Sur ce point essentiel la Constitution n’a été respectée qu’en périodes de cohabitation, c’est-à-dire quand le Président avait été contraint de nommer Premier ministre un représentant de l’opposition devenue majoritaire. Il est symptomatique, d’ailleurs, que les seuls présidents qui aient réussi à être réélus (Mitterrand en 1988 et Chirac en 2002) l’ont été contre leurs premiers ministres sortants, à qui on pouvait imputer tous les problèmes et toutes les difficultés du moment.
Plus de deux cents ans après la Révolution française, le Président de la République est parfois appelé « monarque républicain ». Certes il a ses courtisans et ses valets, de plume et de plumeau. Il loge en un palais qui fut offert par Louis XV à la marquise de Pompadour. Mais on peut aussi évoquer le Rousseau du Contrat social : «… Cette puissance réunie entre les mains d’une personne naturelle, d’un homme réel qui seul ait droit d’en disposer selon les lois. C’est ce qu’on appelle un monarque ou un roi. »
Pour prendre un seul exemple, le Président de la République peut décider, seul, sans en référer à personne et sans qu’aucune assemblée en ait délibéré, d’engager la France dans des opérations militaires à l’extérieur du pays.
« Car tel est mon plaisir » disaient les rois.
Le Président de la République est en effet totalement irresponsable. Il n’est tenu de répondre devant personne des décisions qu’il prend.. De plus, non seulement il bénéficie d’une immunité pour les actes liés à sa fonction, ce qui est normal et a toujours été, mais depuis 2007, et grâce à Jacques Chirac, il bénéficie d’une totale immunité, administrative, civile et pénale. Quoi qu’il fasse, il est inattaquable, devant quelque juridiction que ce soit.
Certes, me direz-vous, mais il a été élu par le peuple français ! Officiellement, oui. Mais la réalité, quelle est-elle ?
La campagne électorale est préparée, mise en scène et en images, commentée, assaisonnée par les médias en général et la télévision en particulier. Cela ne date pas d’hier, mais deux éléments récents sont à considérer : le rôle des chaînes d’information continue et le fait que la quasi-totalité des médias appartiennent désormais à une poignée de milliardaires.
L’immense majorité des électeurs ne connaissent des candidats que les images d’eux qu’ils voient à la télévision, ou ce que disent d’eux leurs journaux, écrits ou parlés. On est ici à des années-lumière des réunions dans les préaux d’école, où l’on pouvait apporter la contradiction à des candidats en chair et en os. La campagne présidentielle étant personnalisée à l’excès, les médias présentent surtout les candidats comme des individus, mettant en lumière leurs qualités ou leurs faiblesses supposées, leur entourage, leur famille, etc. Il convient de donner ou d’entretenir une certaine image des candidats. Le jour de l’élection on vote (ou on ne vote pas) pour une image. Malheur à celui (ou celle) qui passe mal à la télé, qui ne sait pas sourire, qui a l’air trop sûr de lui (ou d’elle) ! En 2017 les médias ont fabriqué de toutes pièces un « bon candidat » et ont permis de faire d’un quasi inconnu, jamais élu nulle part, un président de la République.
Le problème, le seul problème, est qu’il s’agit d’élire un monarque.
Je pose trois questions :
- Combien de temps faudra-t-il encore aux Français pour ne plus trouver normal d’être soumis à une Constitution qui a été conçue pour de Gaulle, au plus fort d’une guerre coloniale ?
- Combien de temps faudra-t-il encore aux Français pour ne plus trouver normal d’être gouvernés par un monarque irresponsable, disposant de pouvoirs incompatibles avec une démocratie digne de ce nom ?
- Parmi les candidats à la prochaine élection présidentielle, quelle voix s’élèvera-t-elle assez clairement pour faire prendre conscience aux Français qu’il serait peut-être temps de mettre fin à cette anomalie ?
Claude Albareil
Novembre 2021