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Billet de blog 19 mars 2023

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Adieu Canard !

Je lis Le Canard enchaîné depuis les années 50. C'est fini.

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Adieu Canard !

Je lis Le Canard enchaîné depuis les années 50. Autant dire une éternité. J’ai connu le Canard qui saluait l’arrivée de Brassens par la plume talentueuse de René Fallet. J’ai connu celui qui, durant les années de plomb de la guerre d’Algérie, sut se tenir honorablement, antimilitariste quand il le fallait, tapant du bec sur les politiques défaillants. J’ai connu le Canard tissant une légende satirique autour d’un de Gaulle revenu au pouvoir, Mongénéral, personnage vedette des rédacteurs et des dessinateurs devenu, avec ses ministres et ses courtisans, sous la plume d’André Ribaud et les dessins de Moisan, le héros d’un feuilleton digne de Saint-Simon.

Le Canard c’était la feuille d’impôts de Chaban-Delmas, les avions renifleurs, les diamants de Giscard. C’était Papon « aide de camps », la découverte qu’un ministre en exercice avait fait déporter des Juifs. Plus près de nous, le Canard c’était l’affaire Fillon, un travail journalistique de salubrité publique.

Depuis la révélation de cette affaire, en janvier 2017, le Canard enchaîné n’a plus rien sorti d’important. De semaine en semaine il m’a paru moins intéressant, faisant trop de place à des ragots ou reprenant des infos déjà données par d’autres. Avec, de façon quasi-obsessionnelle, des coups de bec répétés sur Mélenchon, et de temps en temps d’incompréhensibles cancaneries contre l’association Anticor. Le Canard semblait se désintéresser des problèmes judiciaires de Sarkozy, mais après que ledit Sarkozy eut été condamné à de la prison ferme dans l’affaire des « écoutes », en mars 2021, l’éditorial d’Erik Emptaz parlait de « suspicions » à l’égard de la justice, reprenant implicitement le thème de l’acharnement judiciaire. Je n’ai jamais reçu aucune réponse au mail que, très choqué, j’envoyai alors au Canard et que voici : 

A propos de la récente condamnation de Sarkozy par la justice, l'éditorial d'Erik Emptaz parle de "suspicions". Il regrette "que les écoutes téléphoniques entre Sarkozy et son avocat n'aient pas été écartées, comme le demandait la défense". C'est oublier que ces écoutes ont été "validées" par la Cour de cassation. Erik Emptaz regrette ensuite "que ne soit stipulée dans le jugement la "surveillance électronique". Désolé, mais cette surveillance "à domicile" y est stipulée en toutes lettres. Je trouve dommage que le Canard s'associe, si peu que ce soit, à la meute qui hurle à l'acharnement judiciaire, comme si Sarkozy n'avait pas assez de TF1, où il a son rond de serviette, et de tous les autres ! Allez, sans rancune, et rendez-vous au tout prochain procès de Sarkozy !

 Bref j’ai l’impression que le Canard s’est rangé, pas forcément du bon côté, sans plus grand-chose de vraiment intéressant, tout en gardant son aspect un peu vieillot et ses calembours systématiques.

Là-dessus éclate cette semaine un coup de tonnerre. Christophe Nobili fait partie de l’équipe de journalistes du Canard qui révéla l’affaire Fillon en janvier 2017. Il vient de publier Cher Canard, de l’affaire Fillon à celle du Canard Enchaîné, où il raconte surtout cette dernière, que Médiapart évoqua en septembre dernier.

Il a découvert qu’entre 1996 et 2020 le Canard avait versé à la femme d’Escaro, illustre dessinateur du Canard nouvellement retraité, un salaire brut oscillant entre 4000 et 6000 euros mensuels (au total 1,5 million d’euros) et, depuis 2020, une pension de retraite plutôt avantageuse. Elle dispose également d’une carte de presse fournie par le Canard. Or, vérification faite par Nobili, personne ne l’a jamais vue au journal, et jusqu’en 2020 son seul travail apparent a consisté à envoyer chaque semaine au Canard, depuis la Drôme où ils résident, les « cabochons » d’Escaro, des petits dessins illustrant la page 2.

Christophe Nobili va aggraver son cas en créant au Canard une section syndicale SNJ-CGT, et surtout en déposant une plainte contre son journal sous le statut protecteur de lanceur d’alerte.  

Le Canard daté du 15 mars, au bas de la dernière page et sur toute la largeur (six colonnes + un dessin), consacre à l’affaire, sous la signature d’Erik Emptaz et Jean-François Julliard, un long article intitulé « Un ami qui vous veut du bien ». Cet article, du début jusqu’à la fin, n’est qu’une attaque au canon contre Christophe Nobili : il est malade (dans tous les sens du mot), il déteste ses chefs, il se prend pour un chevalier blanc, il n’a pas de parole…  En conclusion, le mieux qu’il puisse faire est de dégager du journal.

Sur le fond de l’affaire, Emptaz et Julliard concèdent, dans ce long verbiage accusateur, neuf mots (« L’histoire a déjà été racontée dans ces pages »). Le 31 août 2022 effectivement, le Canard expliquait, à propos de la femme d’Escaro bien rémunérée : « Elle lira la presse pour lui et l’aidera à  trouver l’astuce qui fait le sel des cabochons ». Pénélope Fillon, elle aussi, lisait la presse pour son mari.

 J’ai été un lecteur du Canard enchaîné. C’est fini. Cet article est la goutte de trop. J’ai horreur que des patrons de presse me prennent pour un imbécile. Horreur aussi qu’ils insultent publiquement un de leurs collaborateurs. Résumons :

  • Ces messieurs prétendent qu’Edith (la femme d’Escaro) est une collaboratrice du journal. Moi qui le lis depuis des décennies, je n’ai jamais vu son nom au bas d’un article. Elle publiait peut-être sous un pseudonyme ? Alors il aurait suffi de le dire. En quoi, dans quelle rubrique, avec quelle périodicité cette femme collaborait-elle ? Et si elle a écrit pour le journal, pourquoi ne pas republier l’un de ses articles ? Cela éclairerait le paysage et ferait taire l’infâme Nobili. La seule explication que vous avez donnée, messieurs du Canard, est en effet du pur Fillon (elle lisait les journaux… etc.).
  • Fillon, pour sa défense, ne parlait que de ses prétendus accusateurs, il avait les noms, les dates, il décrivait un cabinet noir. Messieurs du Canard, le seul sujet de votre article du 15 mars, au titre explicite, est votre accusateur. Le ton en est badin, mais il n’exprime que mépris, haine et méchanceté envers un homme avec lequel, j’imagine, vous avez partagé de bons moments pendant des années. Quelle que soit la vérité dans cette affaire (je n’en connais que ce que j’ai lu ici et là), votre défense est pathétique. La façon dont publiquement vous traitez Christophe Nobili, qui est encore de la maison, est pour moi une infamie.

Claude Albareil

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