Dans l’air estival, se répand un poison inodore, subtil, le soupçon. Ce jour est le jour 1 du passe sanitaire. L’ami d’hier croisé dans la rue, le voisin rencontré à la boulangerie, tous ont un autre regard. Le regard du soupçon. A-t-il son passe celui-là, a-t-il rempli son devoir sanitaire, a-t-il satisfait à ses obligations auprès des grands prêtres de la religion vaccinale ? A-t-il le droit d’aller au parloir, à la promenade, ou doit-il rester en cellule ? Les matons veillent, et les punitions pleuvent.
Le cafetier qui hier encore servait cafés et apéros au comptoir en rigolant, regarde d’un air soupçonneux le client suspect. Et si je lui demandais son passe à celui-là, celui-là qui me menace et qui pourrait m’attirer des ennuis.
Le gérant du camping, qui se demande lequel de ses vacanciers va essayer de le transformer en cluster.
La pizzeria locale qui a déjà affiché son obédience obséquieuse « passe sanitaire obligatoire »
La piscine municipale, qui a commencé à trier et écarter les enfants des parias et leurs mamans
Et tant et tant de délateurs en devenir, de contrôleurs, de dénonciateurs, ravis d’enfin pouvoir exister, ravis de pouvoir enfin libérer leur haine de l’autre, de celui qui ne pense pas comme eux.
Et là haut, dans son palais d’obsidienne, dans son olympe de granite, trône le dieu malfaisant, retranché derrière ses légions innommables aux carapaces de chitine, entouré de ses lieutenants maléfiques, il promène son regard glacé, il jouit de ce saccage, et soudain, sa face vide se tord en un rictus sauvage, parce que de ce peuple de vermine grouillante qu’il hait et qu’il méprise, provient, lointaine, sourde, presque inaudible, une rumeur, et en contrepoint, cette note harmonique qui le terrifie : LIBERTE, LIBERTE, LIBERTE