Le covid19 est bien une maladie virale. Mais c’est aussi le vers dans le fruit qui ronge l’humanité dans ses liens . Tout contact est devenu menace, toute présence est devenue risque, pour soi ou pour l’autre, tandis que l’entre soi se substitue à la vie collective et fraternelle.
Dans les EPHAD, il faut mourir sans la chaleur et l’amour des siens, sans retrouvailles ni vraie cérémonie, sans fleurs ni couronnes.
Dans les maternités, il faut naître et accoucher dans la privation des liens, sans le père ou l’accompagnant, toléré à peine pour le travail et l’accouchement, voire parfois pas du tout. Alors qu’il y a quelques heures encore le couple dormait enlacé, au fond d’un lit, dans l’attente rêvé de l’enfant.
Il s’en est fallu de peu que la tendance à l’éviction ne se généralise avec d’autres tentations bien plus sécuritaires. Comme celle d’éviter le contact entre la mère covid19 positive et son bébé, de proscrire l’allaitement ou le peau à peau, jusqu’à les séparer dans les tous premiers temps, comme c’est le cas outre-Atlantique.
Il s’en est fallu de peu, avant que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne rappelle les droits des femmes, des enfants et celui des soignants, avec, en pareille crise, le respect et la garantie des mesures de protection et de prévention.
Le droit, en particulier pour les femmes, d’être accompagnées par la personne de son choix pendant l’accouchement et d’être traitées avec respect et dignité. Sans compter l’encouragement à l’allaitement et au peau à peau, avec les mêmes préconisations.
En cette tourmente, quelle meilleure réassurance, quelle meilleure protection pour l’enfant et sa mère quand elle peut y développer, le plus sûrement, ses capacités maternelles, le sentiment de sa propre valeur et la confiance qu’elle peut avoir en elle-même ?
Voilà, au niveau international, la boussole des droits humains qui fixe le nord en matière de crise sanitaire.
Car, si les données scientifiques établissent que ces conditions favorisent le bon déroulement de l’accouchement comme le bon développement de l’enfant, elles ne savent rien pour justifier les évictions et les séparations. Si ce n’est, en ce cas, une balance bénéfices-risques indéniablement au détriment de la santé des femmes, des familles et de leur enfant.
Toutefois, des femmes pleurent, des couples cherchent des solutions de détresse pour accoucher ailleurs qu’à l’hôpital, à domicile, sollicitant une sage-femme, parfois même sans. D’autant plus, que l’hôpital malmené par une approche quasi productiviste et son concentré toujours plus grand de naissances, sans moyens techniques et humains, en sus, n' a plus l'aura rassurante de la proximité.
Les sages-femmes, malgré tout leur dévouement, y sont aussi débordées par le nombre de femmes qu’elles suivent en même temps, que par les protocoles, les papiers, et la gestion des règles de qualité, de traçabilité, de sécurité, auxquelles s’ajoutent, désormais, celles du confinement, toujours sans plus de moyens.
Mais pour masquer tout cela, voilà que se fait entendre le sempiternel son du clairon, son ton viril, militaire, et le pas de charge sécuritaire dans une supposée « union sacrée ». Dès lors, l’heure ne serait plus d’écouter les plaintes, les pleurs ou la sensiblerie des femmes. L’heure n’est pas à la réflexion. Il y a bien longtemps qu’on pense à la place des femmes en France, et qu’on leur dit où et comment il faut accoucher. Avec toujours autant de tergiversations pour les Maisons de naissances, l’accouchement à domicile n’est pas pour demain, même si c’est normal dans les pays voisins.
La rhétorique guerrière n’est pas faite pour penser. Elle substitue trop souvent le sécuritaire au sanitaire et au médical . Elle entend s'imposer même aux soignants quand, dans la bataille, ils partent dans l’embuscade, sans grands moyens et depuis longtemps fatigués, la fleur au fusil, sans masques et à découvert. L’action est à la guerre, il leur est demandé de se taire. Au mieux, parler ce serait pour l’efficacité et du comment faire pour avancer, sous l’étendard de l’union, qu’elle soit nationale ou professionnelle.
Le son du clairon n’a jamais profité aux femmes, encore moins quand c’est la guerre. Et passé le confinement rien ne prouve que la leçon sera tirée : trop d'exemples dans l’histoire sont là pour nous le rappeler.
Pourtant, plus que jamais, dans le soin, peut-on rester amnésique de nos valeurs, se passer de boussole, de penser et confiner sa subjectivité ? Penser, prendre soin et faire respecter les droits des femmes, par temps de crise, hier comme demain, c’est bien une manière de construire notre pleine humanité dans nos interventions. C’est encore veiller à sa part la plus humaine, lorsqu’en chaque homme ou chaque femme, comme l’écrit Jean-Paul Sartre : « notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous pourrions le supposer, car elle engage l’humanité entière »
L’Existentialisme est un humanisme, 1996, Gallimard, Folio Essais, p.32-33