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Billet de blog 15 avril 2022

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L'égalité professionnelle chez les sages-femmes n'est pas un « effet d'aubaine »

Un rapport d'un cabinet d'études rendu à la Ministre de la fonction publique comporte une discrimination professionnelle faite à l'endroit des femmes et des sages-femmes. Les sages-femmes territoriales, avec cinq associations professionnelles, dénoncent avec ce texte les stéréotypes misogynes dans ce rapport. Elles l'ont fait parvenir aux parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat.

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À entendre les parlementaires, les sages-femmes n’ont jamais été aussi présentes dans leurs débats. « On ne fait que parler d’elles » constate un sénateur, « c’est 40 % des débats sur la santé » pour cet assistant parlementaire. D’autant plus que les sages-femmes interpellent actuellement tous les futurs candidats à la présidentielle avec un livre blanc « Et si on parlait d’elles ? 10 propositions par les sages-femmes pour la santé et les droits des femmes »[1].

Parler des sages-femmes, c’est parler des inégalités et des conditions de travail faites aux femmes, qu’elles illustrent parfaitement pour un métier féminisé à 97 %[2], dédié à la santé intime et à la maternité des femmes. Avec les mouvements sociaux récurrents, dont 6 grèves pour l’an passé, les sages-femmes ne sont que trop représentatives d’une condition féminine au travail qui peine à évoluer : profession sous valorisée et sous-payée, pénibilité d’exercice des fonctionnaires hospitalières et territoriales, plafond de verre à l’université pour la recherche, n’ayant droit de cité restreint que depuis 2020. La liste est longue pour des stigmates sociaux associés à la féminité et au féminin.

Sans compter le déficit de reconnaissance pour tous les types d’exercices ! Au point que, chez les sages-femmes, la fuite professionnelle, avec les abandons de formation ou les reconversions, fait actuellement, concurrence à la fuite de l’exercice hospitalier, où les charges de travail n’ont bien souvent rien à envier aux souffrances dans les services d’urgences. Car depuis 1998[3], la fermeture en masse des maternités et leur concentration avec un nombre d’accouchements toujours plus grand, a considérablement dégradé une attractivité professionnelle déjà précaire, des conditions de travail de plus en plus difficiles et une reconnaissance qui ne vient pas. Même si une récente « prime médicale » leur a été accordée à l’hôpital, elle n’est qu’un rattrapage des longues suites données au Ségur de la santé où les sages-femmes ont été, initialement, la seule profession de santé à avoir été exclue des revalorisations. Ce, alors que les sages-femmes territoriales ne savent toujours pas si cette inégalité sera vraiment réparée au sein de la subsidiarité accordée aux collectivités territoriales.

Il reste fort à faire face à des stéréotypes sociaux solidement ancrés par un patriarcat séculaire avec « la force de la structure »[4] comme l’évoque Pierre Bourdieu (1998) dans La domination masculine. Si l’on en doutait,  preuve est donnée, encore une fois avec les sages-femmes, dans le rapport sur «  Les perspectives salariales de la fonction publique »[5], rendu le 14 mars à la ministre de la transformation et de la Fonction publique par deux experts, l’un énarque, l’autre venant du privé après un parcours syndical. Ce rapport veut traiter de l’attractivité professionnelle, des carrières et des rémunérations, autant que de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, avec le souci, notamment, de compenser les inégalités en favorisant la parité et la mixité (p.81) et de lutter contre les stéréotypes sociaux (p.83). Sauf que, lorsqu’il s’agit (p.88), « des mesures de rattrapage/d’accélération pour compenser certaines inégalités », le rapport n’indique qu’entre parenthèses l’exemple des « écarts salariaux entre les femmes et les hommes ».  Et, comme seul exemple d’inégalité dans un très large encadré, il cite « L’exemple des sages-femmes dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale ». Tout comme il argumente aussi : « Les sages-femmes exerçant en hôpital bénéficient d’une prime médicale, car elles sont amenées à pratiquer certains gestes techniques que les sages-femmes de la fonction publique territoriale ne pratiquent pas. »

Les femmes apprécieront qu’il ne soit possible de penser aux inégalités femmes/hommes qu’en choisissant l’exemple d’une discrimination faite entre des femmes issues d’une profession si féminine. Toutes les sages-femmes apprécieront la désinvolture pour disqualifier, dans son entièreté, une profession médicale, régie et inscrite dans le Code de la santé publique au côté des médecins et chirurgiens-dentistes, avec toutes les prérogatives et les protections accordées par la loi. Sur ce plan, le rapport n’est-il pas diffamatoire ? Se serait-on permis de dire d’un médecin, profession hautement genrée au masculin, qu’il est moins responsable et qu’il a moins de compétences parce qu’il ne travaille pas à l’hôpital ? Sans présumer d’un manque de jugement de la part des experts, le relief donné à leur « exemple » est sans validité. Nos experts auraient pu remarquer que le terme « médical » est ici inadapté. S’il s’agit d’apaiser des sages-femmes en manque chronique de reconnaissance, octroyer une prime dite « médicale » aux seules sages-femmes hospitalières, ne fait qu’entériner le déficit de reconnaissance du caractère médical de toute la profession. Les experts auraient pu suggérer aussi qu’il s’agit plutôt d’une prime de pénibilité qui veut garder les sages-femmes à l’hôpital.

Tant de relief donné à cet exemple serait pour le Dr Sigmund Freud l’expression d’un acte manqué qui témoigne de ce qui est refoulé. Ici, l’esprit machiste et patriarcal qui semble résister autant à la formation en grande école qu’à l’expérience syndicale. D’autant plus que, s’agissant d’une profession médicale, il est écrit, en toute condescendance, que maintenir cette « part « différenciée » est importante pour éviter les effets d’aubaine ». On l’aura compris, pour les experts, il s’agirait moins d’égalité professionnelle que de dénoncer cette vénalité si courante et répandue chez les femmes.

Le constat, c’est que pour amener plus d’égalité dans la division sociale du travail, c’est bien la division psychologique et morale qu’il faut changer en s’attaquant aux représentations pour les faire évoluer et les transformer. Et qu’il faut, quand il est question de reconnaissance, écouter les femmes sans chercher à les diviser ou les disqualifier.

Claudine Schalck

Sage-femme, psychologue clinicienne, docteure en psychosociologie, chercheure associée au Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD-EA 4132) du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) – Paris

Pour :  ANSFT : Association Nationale des Sages-femmes territoriales -  Micheline Boivineau - présidente - info@ansft.org

            ONSSF : Organisation Nationale des Syndicats des Sages-femmes -  Camille Dumortier – présidente - presidente@onssf.org

            UNSSF : Union Nationale  et syndicale des Sages-femmes - Marie-Anne Poumaer – présidente - info@unssf.org

            ANSFL: Association Nationale des Sages-femmes Libérales - Eliette Bruneau - présidente -contact@ansfl.org

            ANSFO : Association Nationale des Sages-femmes orthogénistes - Marie-Astrid Bernon- co-présidente-sforthogenistes@gmail.com 

[1] Livre blanc des sages-femmes 2022. Et si on parlait d’elles ? 10 propositions par les sages-femmes pour la santé et les droits des femmes. Disponible : https://www.ordre-sages-femmes.fr/wp-content/uploads/2022/03/Livre-Blanc.pdf

[2] Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES). Quelle démographie récente et à venir pour les professions médicales et pharmaceutiques ? Constat et projections démographiques. Mars 2021, 76. Consultable : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-03/DD76_0.pdf

[3] Décret n°98-900 du 9 octobre 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d’obstétrique, de néonatalogie et de réanimation néonatale et modifiant le code de santé publique.

[4] Bourdieu Pierre. 1998. La domination masculine, Paris, Seuil, coll. Essais, p.140.

[5] Peny Paul, Simonpoli Jean-Dominique, Saurin Livia.  2022. Conférence sur les perspective salariales de la Fonction publique – Restitutions des travaux- Consultable: https://www.vie-publique.fr/rapport/284491-perspectives-salariales-de-la-fonction-publique

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