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Billet de blog 18 avril 2025

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Empêcher les femmes d'accoucher à domicile versus suspendre les sages-femmes

Ces dernières semaines, plusieurs sages-femmes pratiquant l’accouchement à domicile (AAD) ont été suspendues par l’Agence régionale de santé en attendant l’examen de leur situation par l’instance juridictionnelle ordinale indépendante du droit commun.

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Bien que l’AAD soit légal, en 2022, plus de 10% de sages-femmes le pratiquant ont supporté une telle procédure disciplinaire d’après l’Association professionnelle de l’AAD (APAAD). Si bien que face à l’accouchement hospitalier il est aisé de comprendre que la naissance y relève pour le pouvoir médical du « bel ouvrage » là où, à domicile, elle relève du « sale boulot » selon l’idée reprise au sociologue Everett Hughes par la psychosociologue Dominique Lhuilier[1]. Car, pour ces professionnelles la division du travail et des tâches n’est pas seulement technique et sociale, avec leur formation médicale, mais surtout hautement psychologique et morale.

Il est patent que leur activité peu médicalisée concentre les méfiances, les suspicions voire les procédés accusatoires du corps médical des médecins et de l’hôpital où ils restent les maîtres incontestés. Là où règne une vision unique de la naissance qui fait de chaque femme enceinte en bonne santé  une malade potentielle qui s’ignore dès lors que toute grossesse est d’abord pensée à « risque », sans compter l’accouchement susceptible de les réunir tous et traité comme une urgence vitale. De façon moderne, cette vision reste indissociable de l’éternelle vulnérabilité des femmes ou de leur infériorité naturelle face au corps masculin, référence médicale depuis l’Antiquité.

Car, loin de relever du fait divers, avec l’AAD, il y a matière à revenir sur le gouvernement du corps des femmes dans les politiques et l’organisation d’un système de santé qui pourtant  n’a pas fait ses preuves en matière de périnatalité. Après 30 ans de plans successifs, la France reste championne des mauvais résultats comme la Cour des Comptes[2] le rappelle elle-même en 2024. Comme si, de manière paradoxale, lorsque le fonctionnement de tout un système de soin est étayé par l’idée du risque et des soins experts, il ne pouvait pas produire davantage de santé.

En France l’AAD est stigmatisé malgré des recherches probantes et des pratiques médicales internationales. Avec les mêmes moyens et le même accès aux soins l’Angleterre, la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, ont organisé la naissance à domicile ou en maison de naissance, en sécurité, grâce à l’assistance d’une sage-femme professionnelle et la garantie d’un système de santé capable de coordonner la complémentarité des professionnels de santé dont celle des services de transfert vers l’hôpital. Sans quoi les soins procurés aux femmes ne sont pas optimaux selon l’International Confederation of Midwives (ICM) qui défend pour toutes les femmes en bonne santé le droit à l’AAD[3]. De son côté, pour la périnatalité, recherches à l’appui, l’Organisation mondiale de la santé, recommande universellement, en Octobre 2024[4], l’abandon du modèle médical - médecin pour une transition vers le modèle de soins sage-femme plus bénéfique et plus adapté aux besoins comme aux ressources des femmes; et de loin plus économique.

Or, en France, l’accouchement sans médicalisation est peu rémunéré et le système de soin est discriminatoire s’il a lieu hors contexte hospitalier. Les rares maisons de naissances, pourtant légalisées, souffrent de tant de freins qu’elles se voient encore une fois réévaluées. Tandis que l’AAD est prohibé.

De quoi ce dernier serait-il alors le symptôme ? D’une chasse aux sorcières où comme dans le temps femmes et sages-femmes pactisent avec le mal  face au pouvoir médical ? D’une chasse gardée des femmes enceintes en bonne santé dont le commerce profite à un certain corporatisme et à la gestion néolibérale de la santé grâce à la médicalisation, la tarification des actes et le turn over du remplissage des lits en maternité ? Du libre cours des pouvoirs publics à laisser la main aux experts médicaux pour ré-organiser  la périnatalité selon leur propre vision comme le souligne un rapport des sociologues du LABERS[5] en 2021 ? Vision que même les travaux récents du Sénat[6] pour impulser une réforme urgente en  périnatalité ne font que reconduire mais sans pour autant déconstruire des rapports de pouvoir genrés vis-à-vis des femmes. Soit un monopole des soins, où comme l’évoque déjà Everett Hughues, « en tant que groupe, ils [les médecins] prétendent indiquer à la société ce qui, dans tel domaine de l'existence, est bon et juste pour l'individu et la société. En fait ils définissent les catégories dans lesquelles ce domaine peut être pensé. »[7]

Mais n’est-ce pas surtout le symptôme de ce que Susan Faludi appelle un backlash[8] du pouvoir patriarcal lorsque chaque avancée pour les droits et l’émancipation des femmes est aussitôt suivie d’un contrecoup qui vise à le restaurer et contrecarrer une avancée féministe ? L’interruption volontaire de grossesse (IVG), en France, est désormais inscrite dans la Constitution. Mais, en dépit du consentement libre et éclairé inscrit dans la loi Kouchner de 2002, ce droit des femmes à disposer de soi et de son corps est à nouveau paradoxalement contesté avec le manque de conditions alternatives à la naissance hospitalière, du droit de choisir sa maternité dans l’autonomie décisionnelle, dans l’expérience du propre pouvoir d’agir et du souhait d’intimité. De sorte que, pour les femmes désormais, au-delà de l’IVG, la maternité elle-même devient l’enjeu de luttes féministes, avec des sages-femmes à leur côté.

Claudine Schalck auteure avec Gérard da Silva de : Pour une approche féministe de la maternité. Du "travail des femmes" à celui des sages-femmes, Ed. matériologiques, octobre 2024.

[1] Dominique Lhuilier, « Le “sale boulot” », Travailler, 14(2), 2005

[2] Cour des Comptes, Rapport sur La politique de périnatalité. Des résultats sanitaires médiocres, une mobilisation à amplifier, mai 2024

[3] https://internationalmidwives.org/resources/home-birth/

[4] OMS, Transitioning to midwifery models of care : global position paper, 15 octobre 2024.

[5] Rapport Labers de l’Observatoire national de la démographie des professionnels de santé (ONDPS), La Sage-femme, le gynécologue et le médecin généraliste, mai 2021, p. 69

[6] Sénat - Rapport d’Information n°753, L’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, 10 septembre 2024.

[7] Hughes Everett, Le Regard sociologique. Essais choisis [1956], trad. fr. EHESS, 1996, p. 100.

[8] Susan Faludi, Backlash. La guerre froide contre les femmes [1991], trad. fr. Des Femmes, 1993.

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