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Billet de blog 27 novembre 2023

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Décès d'une mère et de son bébé: sécuriser pour humaniser l'accouchement à domicile

Le corps médical des médecins spécialistes de la naissance est vent debout après le décès d’une jeune femme et de son bébé, transférés à l’hôpital, suite à un accident rare et gravissime survenu lors de son accouchement à domicile. Leur point de vue reste que l’accouchement à domicile est dangereux alors qu’il est question de l’admettre dans le paysage des soins faute de ne pouvoir l’interdire.

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Le corps médical des médecins spécialistes de la naissance est vent debout après le décès d’une jeune femme et de son bébé, transférés à l’hôpital, suite à un accident rare et gravissime survenu lors de son accouchement à domicile. Leur point de vue reste que l’accouchement à domicile est dangereux alors qu’il est question de l’admettre dans le paysage des soins faute de ne pouvoir l’interdire. Car de plus en plus de femmes se tournent vers cette opportunité à condition de trouver une sage-femme puisque celle-ci n’a pas les moyens de garantir son exercice pour la physiologie par une assurance professionnelle à plus de 20 000 euros par an, alignée sur celle des médecins, spécialistes de la pathologie. Malgré les freins administratifs, légaux et financiers faits à cette activité, certaines sages-femmes vont, malgré tout, accompagner les femmes et les couples dans ce choix. Néanmoins, le SYNGOF n’a de cesse d’alerter sur les risques pris par les femmes afin de les en dissuader, sans compter le discrédit porté aux sages-femmes. Ce tragique décès d’une mère et de son bébé ne viendrait-il pas confirmer ces funestes prédictions même si tout professionnel du métier sait que certains accidents n’en sont pas moins mortels à l’hôpital ? Le fantasme est vain :  nul ne saurait éradiquer la mort dans la vie humaine, à commencer dans la naissance. Cette jeune femme et toutes ces femmes, avec leur partenaire, qui font un tel choix pour la naissance, sont-elles si peu informées, voire écervelées et inconscientes, à l’heure où tous les usagers surfent sur internet, les réseaux d’informations et de débat, avec accès aux plus grandes banques de données, y compris médicales ? Quelles motivations, quels objectifs pour un tel choix que le principe de la dangerosité balaye aussitôt avec le risque mortel pour la mère et l’enfant ; où l’effroi fait écho à l’adage d’autrefois « Femme grosse a un pied dans la fosse » ?  Quelle alternative à l’hôpital, quel autre choix lorsque les obstacles sont toujours légions à l’ouverture des maisons de naissances pourtant légalisées en 2020. Les autorités publiques s’étaient engagées à permettre l’ouverture de 12 d’entre elles pour l’année 2022 mais il n’en a rien été. Pourtant, en 2020, un sondage IPSOS[1] indique que 9 femmes sur 10 les plébiscitent et confirme une forte augmentation des demandes jusqu’à estimer que près d'une femmes sur 5 souhaite ou aurait souhaité de manière certaine un accouchement en maison de naissance. Ce qui représenterait 130 000 naissances par an sur les 723 000 de l'année 2022 [2]. Et quelle soumission réclamée des femmes pour qu’elles viennent mettre au monde leur enfant à l’hôpital dont l’organisation des soins et la médicalisation n’ont cessé de devenir plus inhumaines ? Où les sages-femmes fuient leurs conditions de travail faute de pouvoir humaniser la technique et les protocoles par le temps relationnel nécessaire, faute d’associer « une femme-une sage-femme » ? Alors qu’elles dénoncent médiatiquement qu’elles sont otages de ces conditions, rendues potentiellement maltraitantes, et qu’elles vivent avec la peur de ne plus pouvoir assurer la sécurité des femmes et des bébés même à l’hôpital ?

Autour de nous, d’autres pays à forts revenus comme le nôtre, avec un accès aux soins similaires et une médecine à niveau avec les standards internationaux maintiennent, développent et proposent aux femmes des alternatives à la naissance hospitalière avec une offre généralisée de maisons de naissances, mais aussi l’accouchement à domicile. Sont-ils plus inconscients ou méconnaissant de sa dangerosité ? La différence reste invariablement que cette alternative fait partie de l’organisation des soins, qu’elle est intégrée, coordonnée et organisée avec les relais nécessaires en termes de professionnels de santé et de structures au cas où surviendrait un accident ou une complication.  Chez nous, c’est l’inverse. Le rejet des alternatives conduit au rejet d’une telle organisation, alors que tout accident vient au contraire légitimer un système de soins restrictif pour le choix des femmes et des couples. Les femmes ne sont pas irresponsables de vouloir vivre l’accueil de leur enfant dans des lieux moins exposés, plus intimes, plus familiers alors que tout accouchement passe par leur sexe. Elles ne sont pas moins orgueilleuses de vouloir y puiser le sentiment de leur propre valeur, à leurs yeux, aux yeux de leur enfant et de ceux des autres tant les conditions d’un accouchement laisse de profondes empreintes dans les liens. Quelles réponses politiques, médicales, sociales sont apportées à toutes ces questions qui traversent la maternité des femmes plutôt que la persistance de  la stratégie de l’ignorance qui selon la sociologue Linsay Mc Goey[3] est au service de rapports de pouvoir des groupes dominants sur les groupes dominées, soit les femmes et les sages-femmes. Il n’est que trop temps d’abandonner les idéologies corporatistes et patriarcales qui persistent à vouloir contrôler le corps des femmes, leur désir et leur choix.  Tout autant que nos voisins, nous avons-nous aussi les moyens d’ouvrir en nombre des maisons de naissance et d’organiser la sécurité de l’accouchement à domicile. Il n’est que trop temps d’humaniser la naissance.

[1]  Une étude menée par Ipsos pour le Collectif des parents des Maisons de Naissance auprès de 1000 femmes interrogées en ligne selon la méthode des quotas et constituant un échantillon représentatif de la population féminine française âgée de 18 à 45 ans, 26 février 2020.

[2] Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Bilan démographique 2022, 17 janvier 2023.

[3] McGoey L. 2012. The logic of strategic ignorance. The British journal of sociology, 63(3), pp. 533-76

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