cléa latert

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Billet de blog 15 janvier 2023

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Mon père , Homme de la Mer.

Comme son père, son grand-père , son arrière grand-père, mon père est devenu marin pêcheur , un matelot. le métier se transmettait de père en fils, il a embarqué jeune sur les bateaux et à appris sur le tas.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet homme courageux  qui n' a pas vu grandir ses enfants , ne parlait pas beaucoup.Il partait du lundi au samedi , une longue  semaine l'attendait , une semaine  qu'il savait éprouvante .Il s'en allait, qu'il pleuve, qu'il vente , qu'il neige , sauf bien sûr quand une  grosse tempête était annoncée et que le bateau restait à quai.

Mon père aimait son métier,  mais  ,il était malheureux de laisser sa femme et  ses enfants seules toute la semaine, toutefois , les retrouvailles n'en étaient que plus joyeuses.

Le travail est  pénible sur le pont, les marins ,( sept en général) sont revêtus de leur lourd ciré jaune   et de cuissardes qui  protègent du froid et de la pluie. , du vent. L'équipage travaille par quart, 4h, sur le pont à relever les chaluts (les filets) , remplis  de poissons, qu' il faut ensuite trier , mettre dans les caisses , les recouvrir de glace et les descendre dans la cale.

Quand, le matelot a terminé ses 4h , il peut descendre dans la cabine où se trouve les couchettes, se reposer, ( tout en restant habillé )il lui arrive de s'endormir , malgré le bruit des machines.   au bout d'1 h, il remonte , ainsi de suite jour et nuit , jour après jour.

Un matelot doit savoir tout faire, cuisiner, peindre ,réparer les filets déchirés.

le pire étant qu'une grosse tempête se déclare  , alors que le bateau est parti par temps calme ,  celui-ci se met à tanguer, les vagues le recouvrent  et un matelot peut vite se retrouver   à la mer.Je me souviens , que nous possédions un gros poste de radio qui nous permettait  de recevoir des nouvelles de mon père, alors , tous les soirs à 19 h , nous attendions  avec impatience qu'il nous rassure.

Et le samedi arrive , ma mère s'empresse de prendre le linge sale , qu'il faudra laver le jour même , pour  que tout soit prêt , le lundi matin et bien sûr , le bon poisson que nous mangerons dans la semaine.

Pendant ce temps,mon père se prépare , car , c'est jour de partage, c'est à dire que le  patron pêcheur réunit son équipage autour d'une table , dans un café pour distribuer les salaires, il leur tend à chacun , une enveloppe remplit de billets , la liasse peut être mince,  comme elle peut être , un peu plus épaisse . Ce ne sont jamais de gros salaire.

Ensuite , mon père revient , le dîner l'attend  et à aucun moment , je ne l'entendrai se plaindre de son travail.Jamais.

C'est le boulot et c'est tout.! Nous ces enfants , le samedi nous le laissons tranquille, car nous savons que le lendemain ,dimanche , il se lèvera tôt, apportera une tasse de café à sa femme( ce qu'il fera jusqu'à la fin de sa vie) et ira nous chercher une baguette viennoise , sur laquelle , je me jetterai. Vers  11h  , il aidera ma mère à la cuisine, car il savait très bien préparer le lapin  et le court bouillon , cuisiné avec le poisson qu'il avait ramené . Il ira également à la pâtisserie nous chercher , à chacun un gâteau .L'après -midi, s'il fait beau , nous irons tous nous promener.Et la semaine se termine, une autre recommence.

Mais ce bonheur , ne va pas  durer, une nuit, nous entendons tambouriner à la porte d'entrée .Ma mère descend en premier , suivi , de nous ,les enfants. Elle ouvre la porte et se retrouve devant 2 gendarmes qui viennent lui annoncer que son mari  a   été victime  d'un  accident ( les chaînes du treuil qui servent à relever les filets se sont  enroulés autour de sa taille) et qu'il a été transporté à l'hôpital , qu'il n'y a rien à craindre et que demain matin, on pourra prendre de ses nouvelles.

Ma mère n'est pas très rassurée , mais que faire, elle n'a  ni permis , ni voiture .Tout le monde retourne donc se coucher. le lendemain matin, à la  première heure, elle téléphone a l'hôpital  où , on lui apprendra que son mari est décédé d'une hémorragie interne.

Mon père avait 52  ans, il devait prendre sa retraite  dans 3 ans.

10 ans , plus tard , le même cauchemar se reproduit , cette fois -ci, c'est mon frère de 38 ans, matelot sur un chalutier , la veille de noel , en pleine nuit, le bateau  chavire , le patron n'a pas eu le temps de faire un appel .Cette tragédie fera 7 morts.

Lui, non plus comme son père n'aura pas profité de sa retraite.

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