Il est admis dans notre société occidentale qu'une ou un schizophrène doit prendre ses médicaments. Quand je dis que je n'en prends plus, on me demande toujours l'air inquiet : ton psychiatre est au courant ? Non, mon psychiatre n'est pas au courant. Tout simplement parce qu'il est persuadé - visiblement à tort - que je ne peux pas vivre sans tout un assortiment de molécule.
Afin de couper l'herbe sous le pied à un argument aussi maintes fois entendu, je précise que je suis sevrée de mes médicaments depuis assez longtemps pour avoir un réel recul sur mon expérience.
Ce texte n'est pas et ne sera jamais une injonction à suivre mon exemple et à arrêter tout médicaments. Ce texte est un appel à laisser aux schizophrènes - et à toutes les personnes psychiatrisées¹ - le choix. Le choix de prendre des médicaments, le choix de ne pas en prendre.
Une des raisons majeurs qui poussent les psychiatres à imposer - par la voie légale ou non - un traitement à quelqu'un est la volonté de modifier le comportement de cette personne afin qu'elle soit fonctionnelle dans notre société. Au delà de la schizophrénie, combien de personne en burn-out se sont vues prescrire des anti-dépresseurs avec pour but qu'elles puissent supporter leur travail ? Si seulement les médecins pouvaient - mais le voudraient-ils ? - prescrire des bonnes conditions de travail adaptées à tout un chacun...
D'autres raisons poussent à la prescription de médicaments, notamment l'idée statistiquement fausse qu'une personne diagnostiquée ne peut être que ingérable (voir violente) si elle n'avale pas quelques pilules.
Face au mal-être psychique, la médecine considère trop souvent que le mal est dans le corps, avant d'interroger ce qui à l’extérieur de nous même peut nous rendre en détresse.
Il en va de même pour la schizophrénie. Bien sûr, pour prendre un exemple concret, entendre des voix peut-être déplaisant... On peut avoir envie de prendre ces médicaments qui les suppriment. Mais si je vivais dans une société ou je pourrais parler à mes voix ; tout simplement prendre le temps de me concentrer sur moi-même dès qu'elles surgissent : j'aurai pu apprendre qu'il existe dans mon cas bien des moyens pour comprendre et embrasser ma folie sans prendre de médicaments.
Et de fait, si aujourd'hui j'ai pu arrêter les médicaments, c'est parce que je touche les Allocations Adultes Handicapés. Toucher ces allocations m'a permise de travailler beaucoup moins. Et donc, de pouvoir consacrer énormément de temps à moi-même. Et donc, de pouvoir avoir le temps de me consacrer à réduire mes maux psychiques sans tout simplement prendre un médicament.
Pour donner un exemple concret, si j'ai aujourd'hui des hallucinations en pleine nuit, je peux me consacrer à les gérer sans avoir peur d'être fatiguée pour me rendre à un travail le lendemain matin. Du temps. Voilà ce qu'il me fallait. Simplement du temps.
Beaucoup trop de psychiatres sont dans l'impossibilité de comprendre qu'il nous faut, pour beaucoup d'entre nous schizophrène ou fou et folles : du temps. Tout simplement. Bien sûr, on peut bricoler avec des médicaments, c'est une science parait-il, une petite molécule par-ci, une autre par-là, et voilà une schizophrène qui peut à peu près travailler 35 heures par semaines pendant encore quelques années... à quoi elle sert sinon hein ?
Ce texte, je le disais dans les premières lignes, n'est pas un pamphlet contre les médicaments. Je sais l’intérêt que peuvent avoir certaines molécules - légales ou non d'ailleurs - pour apaiser, calmer, accompagner quelqu'un.
Le problème est donc bel et bien celui du choix. Car, en France, personne n'a le droit de remettre en cause la supposée expertise d'un médecin. Alors vous pensez bien qu'une schizophrène comme moi... Et de fait, la psychiatrie a verrouillé son pouvoir en imposant l'idée arbitraire que si moi, schizophrène, je refuse de prendre mes médicaments : c'est un signe supplémentaire que je suis en mauvaise santé, et donc qu'il me faut plus de médicaments. Absurde cercle infernal.
Si il existe en France des possibilités légales d'obligation de soin, l'obligation de prendre des médicaments s'opère souvent en dehors de tout cadre légal. Je refuse de prendre des médicaments ? Je prends le risque d'être internée pour "dégradation de mon état de santé". Face à cette menace diffuse, combien de personnes psychiatrisées n'ont pas d'autres choix que d'obéir ?
La famille et les proches, qui n'ont souvent aucun autre paradigme que celui de la psychiatrie, ne s'opposent que rarement à l'avis des psychiatres.
Et si aujourd'hui je veux dire haut et fort que je suis diagnostiquée schizophrène, que je ne prends pas de médicaments, et que mon psychiatre ne le sait pas : c'est pour revendiquer cette liberté d'avoir réussi à choisir, liberté acquise le secret, et espérer que d'autres personnes me lisant sachent que peut-être est-ce également possibles pour elles.
¹ une personne psychiatrisée est une personne ayant affaire à la psychiatrie