Beaucoup d'entre nous auront affaire à la psychiatrie, au moins une fois dans sa vie. La psychiatrie peut très rapidement être définie comme une structure (des lieux, des "soignants" et autres personnels, et un ensemble de règle) visant à ordonner la société. Il s'agit, à l'aide de croyances ou d'idées, de participer au maintien d'un ordre dans la société où chacun aura une place pré-définie.
Afin de légitimer son action de contrôle sur ses patient-es, la psychiatrie peut utiliser le concept de la "folie". En définissant elle-même ce qu'est la folie, la psychiatrie se donne le rôle de s'occuper de certaines personnes. Mais certaines de ces personnes ne sont considèrent pas elles-même comme folles ; ou ne seraient pas considérées comme folles dans un autre pays. Le monopole de la définition de la folie par la psychiatrie est un élément important de son pouvoir.
De plus la psychiatrie s'occupe également de personnes qu'elle ne considère pas elle-même comme vraiment folles. Dans le sens où certain-es de ses soignant-es ont arrêté de mobiliser le concept de la folie pour préférer indiquer que leur travail s'adresse à des personnes qui sont dans le mal. Par exemple, certains diagnostics ayant été pour certaines personnes dé-stigmatisés ou assainis, la psychiatre se donne également le rôle d'accompagner tout un chacun vers le bien-être. En ayant le monopole de la définition du bien-être bien sûr.
La définition du bien-être de la psychiatrie est évidemment validiste, raciste, transphobe, sexiste... Par exemple, en France, bien être c'est travailler. Bien être c'est être blanc-he, faire comme les blanc-hes. Bien-être c'est être cis, faire comme les cis. Chaque personne concernée par un système de domination trouvera facilement des exemples.
Cette définition de la psychiatrie est beaucoup trop brève, mais permet de comprendre un peu ce qu'est la psychiatrisation.
La psychiatrisation au sens très large donc constitue le fait d'avoir affaire à la psychiatrie. Mais subissons-nous tous-tes la même psychiatrie ? Il est évident que non, notamment puisque chacun de nos privilèges peut servir à cocher des cases de ce qu'est le bien être aux yeux de la psychiatrie. La psychiatrie ne m'a jamais attaquée pour ma blancheur ! Ce n'est pas son rôle. Et plus que cela, le fait d'être blanche me permet de rendre acceptable aux yeux de la psychiatrie une folie qui ne serait pas acceptée pour une personne racisée. Quand bien-même je suis une femme trans pauvre diagnostiquée schizophrène, bipolaire, TDAH... je sais que j'ai, par exemples, une certaine possibilité à l’énervement ou à la contestation que d'autres n'ont pas.
Il est donc impossible avec ma seule expérience de pouvoir définir tout les types de psychiatrisation, et on ne peut que comprendre la variété des psychiatrisations qu'en incluant dans nos combats tous-tes ceux et celles qui subissent la psychiatrie.
Par ailleurs, et je le dis sans provocation, les personnes psychiatrisées (au sens très large) ne subissent même pas nécessairement leur psychiatrisation ! Être en contact avec le monde de la psychiatrie n'est pas synonyme de la subir, j'en ai la preuve dans les innombrables textes "féministes" de militant-es témoignant d'à quel point faire une thérapie : c'est génial.
En revanche, être en contact avec le monde de la psychiatrie entraîne la possibilité d'être entrainé-e dans ses tréfonds les plus dangereux. J'ai déjà parlé de cette porosité entre soutien et répression dans un texte. Par ailleurs, toutes les caractéristiques de ce que nous sommes ou assigné-es d'être entraîne également des possibilités d'être un jour psychiatrisé-e.
Afin de ne pas tomber dans un relativisme complet qui aboutirait à la conclusion "c'est différent pour tout le monde bon voilà", on peut analyser en un instant donné comment la psychiatrie entrave notre vie. Quelles libertés la psychiatrie m'enlève-t-elle maintenant ? Quelles modifications de mon comportement la psychiatrie m'oblige-t-elle à observer maintenant ? Quelles possibilités d'obtenir un travail ou de moins travailler ai-je, maintenant ? Quels risques pour ma santé, maintenant ? Etc etc.
Et pour le futur ? Si je suis diagnostiqué-e un jour tel diagnostic, quels sont mes chances d'avoir les AAH ? Quelles sont mes chances, en retour, d'être interné-e ?
Je ne veux pas vendre le rêve qu'il est possible pour tout le monde de choisir sa psychiatrisation à l'aide de ses connaissances du système et de son petit manuel de manipulation. Mais peut-être qu'expliciter clairement nos expériences après avoir dit que l'on est psychiatrisé-e pourra permettre d'avertir plus finement les futur-es psychiatrisé-es de ce qui peut les attendre. Quand aux personnes déjà psychiatrisées elles ont beaucoup à apprendre de leurs semblables qui ont réussi à naviguer dans ce système. Et surtout, elles se mettraient peut-être moins au centre du monde de la psychiatrisation si elles écoutaient ce qu'il se passe pour les psychiatrisées qui ne leur ressemble pas.
Si beaucoup peuvent légitimement s'exprimer sur la peur et l'angoisse de vivre un jour une psychiatrisation ultra répressive, ce type de témoignage ne peut remplacer les témoignages (et leur politisation) des personnes qui ont déjà vécu ou vivent encore ce type de psychiatrie.
Et si je pense qu'il est important de connaitre la psychiatrie pour tenter d'accéder à titre individuel à ses recoins les moins sombres, il ne s'agit pas d'adopter une position militante réformiste vis-à-vis de ce système. Car justement, si nous écoutons les témoignages de tout-es les psychiatrisé-es, nous ne pouvons arriver qu'au constat que la psychiatrie s'attaque depuis toujours et avec constance à certain-es d'entre nous, malgré les tentatives de réformes. Cette constance dans l’oppression est une des marques d'une structure de domination qu'il faut donc nécessairement abolir dans sa totalité.