Monsieur le président du CIO
Les dieux olympiens abaissaient parfois leur regard jusqu'aux pauvres humains. Mais vous, Herr Bach, avez accédé à des sphères d'une telle altitude que le sort de deux millions de personnes, condamnées à mourir de faim et de soif pour avoir survécu à des bombardements plus intensifs que ceux de Caen ou Dresde, ne vous importe pas. Vous fréquentez ces heureux élus qui ont tellement mérité leur fortune, ces marathoniens du compte en banque, ces escrimeurs au coup fourré: les sponsors.
Et eux, ils investissent dans le territoire occupé palestinien, semant peu et moissonnant beaucoup là où les oliviers millénaires tordaient leurs branches lourdes de fruits. A la place des mosquées obscures ils installent leurs enseignes tape à l'oeil, vinci et décathlon, carrefour et coetera; alstom se charge de les relier, axa les assure, thalès les rassure, avec dassault, safran et les autres. Et tout ceci finit dans le luxe, l'homme le plus riche du monde, qui nous fait l'honneur d'être français, rafle la mise.
Par conséquent, ces troupeaux d'enfants hagards, ces nouveaux-nés écrasés, quel poids ont-ils dans la balance olympique? La Charte, objet inanimé, n'a pas son mot à dire. Il y avait bien des colonies sous le baron de Coubertin, croyez-vous qu'elles nous tombaient toutes rôties dans le bec? Non, il fallait les rôtir nous-mêmes. Et c'est ici que les vieux démons, sombres idoles des froides contrées tant redoutées des Grecs, montrent leurs faces grimaçantes. Avides, ignares et cruels, ils se jettent sur l'orient subtil et le dépècent. Quand ils auront tout avalé, mourront-ils d'ennui ou d'indigestion, ou s'entretueront-ils dans une rixe nucléaire? Voilà un monde dont vous faites partie, Herr Bach, puisque votre personne médaillée a pu proférer des paroles aussi impertinentes que celles-ci: "Le comité olympique d'Israel et le comité olympique de Palestine coexistent pacifiquement depuis des dizaines d'années".
Etes-vous tombé de haut quand le CNO palestinien vous a officiellement saisi d'une demande d'exclusion du CNO israélien? Vous vous êtes sans doute exclamé: "Et moi qui les croyais amis!" Prenez donc le temps, entre deux repas d'affaires, de regarder Al Gezira. Vous verrez que Gaza est en ruine et que les athlètes israéliens signent les missiles adressés aux enfants palestiniens. Vous pourrez assister en direct à une rafle d'adolescents, avec embarquement vers une destination inconnue, peut être un stade dont les vestiaires servent de salles d'interrogatoire à forte valeur numérique ajoutée. Continuant sur cette lancée, lisez les 83 pages de l'avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice deux jours avant que Jibril Rajub vous saisisse. Vous verrez qu'il y est question d'apartheid, ségrégation, discrimination raciale, violence de genre systémique, résolution des conflits par la force, appropriation du bien d'autrui, tous les mots-clés de l'exclusion.
Mais, direz-vous, soixante-quinze ans d'injustice...pourquoi moi? Eh bien c'est tombé sur vous, c'est à vous qu'il revient de mettre fin à la collaboration entre le monde du sport et l'ethnocratie. Pour l'avenir de l'olympisme et celui de l'Europe qui en est le berceau, il vous faut dire : "C'est assez. Désormais chacun va paître son troupeau dans son propre champ. Vienne le temps des vaches maigres, qui bafoue nos principes subira l'exclusion, sans exception ni passe-droit. "
Et on replantera les oliviers.