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Billet de blog 8 juin 2015

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Nicolas Sarkozy entre Monsieur Thiers et Monsieur Tiers

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rien n’est anecdotique dans le changement de nom de l’UMP qui prétend se baptisait « Les Républicains™ ».

C’est un révélateur.

A travers l’appropriation d’un mot, d’une idée et d’un bien commun, c’est toute une machinerie révisionniste qui se met en place. Non pas pour apporter les Lumières de la vérité mais pour entretenir la confusion des sentiments et des genres en permettant à l’UMP, devenue pour un temps « Les Républicains™ » de prétendre incarner à elle seule la République tout en recyclant les thèmes du Front national.

Dans une tribune parue dans le journal « L’Opinion », Olivier Aubert explique sans rire que « les républicains ne sont ni de gauche … ni de gauche ». Comment vous ne connaissez pas Olivier Aubert ? Allons, il s’agit de ce publicitaire, roi de l’oxymore, qui fait avouer à un acteur populaire qu’il a « rêvé d’une banque ». Signe des temps, lorsque la gauche s’exprime par ses intellectuels historiques (Jean-Noël Jeanneney, Marcel Gauchet, …), la droite confie la mission de révéler les secrets de l’histoire de France à un homme doué pour la propagande commerciale…

Il faut relire à deux fois cette tribune une pour pleurer devant la piètre démonstration, l’autre pour s’esclaffer « ainsi ils ont osé ». Car la thèse principale de ce libelle est que la gauche a flanqué la République dans le fossé à trois reprises  et qu’il a appartenu à des hommes de droite de la restaurer. Dit autrement, la gauche est indigne de se réclamer de la famille républicaine.

Bien évidemment, il faut comprendre qu’aujourd’hui, face à une quatrième menace d’extinction de l’action républicaine, un homme surgit de la nuit et va sauver et la République en enfourchant le cheval de l’alternance. Passons sur cette démonstration de vendeur de savonnette porteur de Rolex et arrêtons-nous un instant sur le grand petit-homme qui est présenté comme un grand Républicain. Car la comparaison est troublante, elle permet de mettre en évidence une permanence du discours conservateur qui se pare des vertus du mouvement tant il est vrai que « tout doit changer pour que rien ne change »

Qui est donc l’homme providentiel qui semble inspirer le président de « Les Républicains™ » ?

Le retour en grâce d’Adolphe Thiers ?

De haut de ses 1m55, Adolphe Thiers a été la premier « chef de l’exécutif » du régime né après le Second Empire dans le chaos lié à une défaite militaire face à la Prusse (1870). La nature exacte du régime est en débat : ce n’est plus l’Empire de Napoléon le petit, ce n’est pas la monarchie car une querelle byzantine oppose légitimiste et orléaniste et c’est vaguement la République, en attendant d’y voir plus clair.

Au crépuscule de sa vie politique, Thiers, âgé de 73 ans, est ce que l’on peut appeler un « républicain par défaut » car selon lui, « la République est le gouvernement qui nous divise le moins ».

Et côté « division », il en connait un rayon s’il on en croit sa riche carrière politique qui permet de suivre l’histoire de France au XIXème siècle dans ses hésitations constitutionnelles.

Sa carrière est d’ailleurs surprenante tant elle ressemble au nouveau sauveur de la République soi-disant en danger.

Jeune avocat à Aix-en-Provence, élevée par les femmes, il se découvre un talent pour la communication, qui lui ouvre les portes des salons et des lieux de pouvoir. A l’époque, foin de télévision, mais la presse à grand tirage tient le haut du pavé, fait et défait les réputations. Qu’à cela ne tienne, à son arrivée à Paris, M. Thiers devient journaliste dans une obscure gazette … allemande.

Débordant d’une ambition évidente, sans le moindre scrupule, attiré par l’argent (il devient vite le protégé de banquiers influents et épouse la fille de sa maitresse qui était l’épouse volage d’un agent de change, vous suivez ?), le jeune Adolphe est un vrai personnage de roman qui inspira le « Rastignac » de Balzac.

Lancé dans le monde par un Talleyrand vieillissant mais toujours influent et intriguant, Adolphe Thiers est doté d’une réputation de « parvenu », ce à quoi le diable boiteux répond avec malice « Thiers n’est pas un parvenu, il est arrivé ».

Et pour cause, tour à tour Ministre des travaux publics, à l’époque du boom immobilier parisien où la spéculation, l’agiotage et la prévarication est monnaie-courante - un peu comme dans les Hauts-de-Seine à une certaine époque ? - il devient au fil des gouvernements ministre de l’Intérieur puis des Finances.

Tiens, tiens, comme le président de « Les Républicains » passa de la Place Beauvau à Bercy.

En 1830, Thiers ne doit son arrivée aux faîtes du pouvoir qu’à son rôle de journaliste à la pointe du combat contre la censure des ultras de Charles X. Soutient du nouveau « roi des français » Louis-Philippe, il est ainsi récompensé par des ministères de plus en plus importants.

Il trouve dans le banquier Casimir Périer un  chef du gouvernement conforme à ses vœux lorsque ce dernier  déclare « il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation ».  Il fallait bien un peu de chômage pour tenir ces ouvriers aux réclamations insensées : Pensez donc interdire le travail des enfants, mais la France va perdre en compétitivité ! Et pourquoi pas la journée de 8 heures de travail ?

Lorsque, devenu Ministre de l’Intérieur, Thiers doit faire face à la révolte des Canuts lyonnais, il fait preuve d’un sens de l’ordre particulièrement injuste puisqu’il réprime à tout va : plus de 600 morts et plus de 10.000 arrestations.

Reniant sa lutte contre la censure qui l’a pourtant portée au pouvoir, il fait adopter les lois de Septembre 1835 en réaction à un attentat commis par un corse nommé Fieschi. Lois de circonstance ou plutôt circonstances permettant d’imposer des lois d’exception, on connait bien la mécanique qui a servi à plusieurs reprises sous le quinquennat du président de « Les républicains™ ».

Ministre des finances, il facilite les bonnes affaires de ses amis banquiers, on n’est pas très loin des pratiques douteuses constatées avec certains hommes d’affaires impliqués dans le scandale du Crédit Lyonnais et bénéficiant, par le fait du petit prince, d’une manne de 405 millions d’euros en raison d’un arbitrage de complaisance.

Mais, en raison de ses liens par trop évidents avec Louis-Philippe, Thiers rate le coche de la révolution de 1848 : il est écarté du gouvernement provisoire de la Deuxième république. Il ne participe donc pas à la rédaction au Décret « Schœlcher » du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage sur tout le territoire de la toute jeune et fragile République.

Thiers n’accepte pas l’arrivée d’un candidat bonapartiste qu’il croyait, un temps, pouvoir maitriser mais qui va accaparer le pouvoir à partir du 2 décembre 1851. La lecture de la proclamation du Louis-Napoléon Bonaparte dans sa proclamation justifiant son brumeux coup d’Etat résonne comme un écho du discours du 30 mai 2015 prononcée devant une salle à moitié vide : « Français ! La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. (…) Les provocations, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible, Mais aujourd'hui que le pacte fondamental n'est plus respecté de ceux-là mêmes qui l'invoquent sans cesse, (…)  mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France : le Peuple. »

Le choix entre Thiers et Napoléon III est parfois difficile, tant il est vrai que le président de « Les républicains™ » hésite souvent entre Foutriquet et Badinguet.

Les événements de 1870 permettent à Thiers de revenir au pouvoir et d’assouvir sa haine du peuple, cette « vile multitude ».

Réfugié à Versailles, il accepte les conditions déshonorantes de la paix imposée par Bismarck. Thiers a recours à l’emprunt pour payer les 5 milliards de francs-or exigé par la Prusse en dédommagement de la guerre initiée par Napoléon III. La France perd l’Alsace et la Lorraine ; l’Empire allemand est proclamé dans la Galerie des Glaces de Versailles (18 janvier 1871) et, après la reddition de Paris, les soldats prussiens défilent sur les Champs-Elysées (1er mars 1871).

Alors le peuple de Paris, exsangue après un siège et un hiver non moins vigoureux, se révolte. De 18 mars au 28 mai 1871, c’est la Commune de Paris.

Egal à lui-même, Thiers mène une politique autoritaire de répression. Il noie la révolte dans le sang. Et les historiens s’accordent sur le chiffre hallucinant de plus de 15 à 30.000 communards fusillés, assassinés ou exécutés, sans parler de nombreuses relégations aux antipodes. C’est au prix du sang versé par le peuple  que Thiers achète son autorité sur une assemblée dominée par les monarchistes.

Il appartient encore à Georges Clemenceau de résumer d’un trait d’esprit le caractère de cet homme « Thiers est le type même du bourgeois cruel et borné qui s’enfonce sans broncher dans le sang ».

Voilà donc le portrait sans retouche de ce petit homme avide de pouvoir et d’argent qui souhaitait une république « socialement conservatrice et politiquement libérale ».

Vous comprenez pourquoi à présent la référence à Adolphe Thiers, présenté comme un héros républicain, a quelque chose d’inquiétant surtout quand on connait le goût pour la division, la rupture et l’agression gratuite du président de « Les républicains™ », y compris (et surtout ?) dans son propre camp.

Mais ce détour par l’histoire ne doit pas nous faire oublier le temps présent et l’avenir qu’il reste à construire.

L’improbable retour de Monsieur Tiers ?

En changeant le nom de l’UMP, le parti de la droite conservatrice commet un « hold-up » sémantique et braque les deux Français sur trois qui ne votent pas pour ce parti.

Ainsi, un parti représentant bon an mal an, un petit tiers de l’électorat s’arroge le contrôle d’un mot commun appartenant à tous les Français.

Ne serait-ce que pour cette raison, on comprend mieux l’indignation des milliers de français qui revendiquent leur qualité de républicains mais ne souhaitent pas être confondus le fan club d’un homme qui fait siffler ses adversaires lorsqu’ils montent à la tribune du congrès de l’UMP.

Peut-être que la référence à Thiers peut se comprendre comme un jeu de mot : l’UMP qui se prévalait d’être « populaire », pourrait prétendre représentait le Tiers-Etat face à un François Hollande supposé incarner l’expectative et l’inaction.

L’argument n’est pas sérieux.

D’abord parce que les principaux reproches portaient contre l’actuel président de la république ne concernent pas son inaction mais son trop plein de changement, de réformes qui ne correspondent pas à celles attendues d’un président « de gauche » qui avait pris – croyait-on – des engagements clairs lors du Discours du Bourget.

Ensuite, il faudrait être sacrément culoté pour prétendre que l’UMP incarne la classe moyenne ou les territoires populaires. Si la comparaison historique s’impose,  l’UMP rassemble plutôt les aristocrates de l’Ancien régime refusant de participer au paiement de l’impôt (libérez nous seigneur de cet ISF qui entrave notre désir d’entreprendre) et les membres d‘un clergé catholique imputant aux protestants et aux juifs, jadis, et aux musulmans aujourd’hui, tous les maux d’une société en plein renouvellement.

Enfin, le débouché politique proposé par l’UMP, même après s’être changée pour un temps en « Les Républicains™ », c’est un décalque malhabile du discours de Marine Le Pen : débat sur l’identité nationale basée sur le sang plutôt que sur la communauté d’idées et d’espérance[1], instrumentalisation de la laïcité contre l’islam tout en affirmant, dans le discours de Latran, la supériorité du prêtre sur l’instituteur ; refus de toute repentance et reprise de vieux discours néocolonialiste sur le fait que l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire, etc.

Même le logo du nouveau parti, en verticalité pour imiter le drapeau français et affirmer une autorité qui ferait défaut, constitue, selon la plupart des spécialistes, un clin d’œil appuyé au logo du FN.

Mais au-delà de ces tristes évidences, la révélation de ce changement de nom est ailleurs.

Lorsqu’il parle des valeurs de la République, le président de « Les Républicains™ » ne parle pas des valeurs de la République française. Il faut le signaler avec force, le marteler même.

Que nous dit-il ?

La République, c’est la liberté

La République, c’est l’autorité

La République, c’est le mérite

La République, c’est l’effort

La République, c’est la laïcité

La République, c’est l’unité

Quand je lis cette liste de courses issue du marketing politique, ce qui me choque le plus c’est l’absence de deux valeurs républicaines sans lesquelles la République française perd son identité, son autonomie et son intégrité.

Car si le message de la Révolution française a présenté un caractère si universel, c’est bien parce que la liberté était complétée, encadrée et équilibrée par deux principes essentiels : l’égalité et la fraternité.

La liberté sans l’égalité et la fraternité, c’est la démocratie américaine où l’argent et les lobbies sont les véritables maitres du jeu. C’est le jeu des intérêts privés qui l’emporte sur l’intérêt général.

En affirmant que la liberté, l’égalité et la fraternité sont indissociables et doivent inspirés ensemble toute l’action collective pour déterminer le bien commun, la République française affirme un idéal pour lequel nous continuons au quotidien à nous battre comme l’on fait nos anciens. Car, si les marchés financiers sniffent à outrance la liberté, l’égalité et la fraternité les répugnent.

En oubliant deux des trois piliers de notre République française, le président de « Les Républicains™ » peut être qualifié de « Monsieur tiers » car il propose une vision tronquée de la République, une république au rabais, une république de camelot.

Alors, immanquablement, on pense à la phrase de Marx selon laquelle « L’histoire se répète toujours deux fois : la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce ».

Dommage que la farce se joue aux dépens de la République et des républicains. A moins, à moins, que le peuple français ne s’exprime différemment par la voix de la justice rendue en son nom.


[1]     Ernst Renan, Qu’est-ce qu’une Nation ?, Conférence prononcée le 11 mars 1882 à la Sorbonne « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes » est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie. » (…)

« Ce qui distingue les nations, ce n'est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur  qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances. Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie, c'est ce qu'on aime. Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est française. »

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